GIOVANNISSIMA ! t.1-4 (Giovanna Casotto)

Je ne sais pas si je veux me poser en « expert » de la question :sweat_smile: mais il me semble tout de même qu’il y a deux problèmes qui se croisent dans ce que tu dis : d’une part une généralisation abusive (dans les deux sens d’ailleurs : les comics U.S. ont aussi leur part de production « cul » très bas de gamme à tout point de vue), possiblement liée à ce que tu décris comme ta méconnaissance du genre, mais aussi, d’autre part, un problème même de définition.

Sur le principe, je crois comprendre ce que tu veux dire quand tu parles d’histoires qui « dépassent rarement leur prétexte érotique » (même s’il y aurait déjà matière à disserter largement sur la formulation, les biais impliqués, les problèmes soulevés, etc.). Je suis plus surpris par le choix des contre-exemples que tu choisis pour illustrer ça. Alors que je n’aurais pas nécessairement tiqué là-dessus si tu avais cité Filles perdues de Moore et Gebbie, mettons, à côté de Black Kiss, je suis perplexe que tu cites Small Favors. Je veux bien que le titre ait un certain nombre de qualités, mais je ne le créditerais pas en priorité de « dépasser son prétexte érotique » alors les scènes de jambes en l’air y occupent 90% des pages au bas mot (estimation au doigt mouill… euh, disons « à la louche »), et que l’histoire n’est qu’un guère prétexte (justement) à introduire de nouveaux personnages dans lesdites scènes. :thinking:

Côté BD européenne (plus que franco-belge, donc), le premier contre-exemple qui me viendrait à l’encontre de ton propos, c’est Valentina de Guido Crepax. Série dont la production s’étend de 1965 à 1993, et dont, bon, malheureusement, on n’a que des fragments en France : un volume sorti en 69 chez Éric Losfeld, un autre en 76 chez Charlie, un chez Dargaud en 83, quatre en 85-86 chez Futuropolis, puis plus rien avant les deux volumes d’une tentative d’intégrale (non-chronologique) en 2015 chez Actes Sud, mais comme aucun autre n’est sorti depuis, je suppose que ça a fait un flop. :roll_eyes:

La dimension érotico-porno y est certes, dans l’ensemble, primordiale, il n’y a pas de doute sur l’étiquette en la matière, pour autant elle est présente de façon variable en fonction des épisodes, sur un spectre pouvant aller du plus omniprésent au plus accessoire — je pense à « Chute d’anges », par exemple (dans le deuxième volume d’Actes Sud, celui titré « Fréquentation dangereuses »), un des plus beaux récits sur Venise que j’ai lu/vu tout médium confondu… et dans lequel l’héroïne n’apparaît déshabillée que sur deux ou trois planches. Aux côtés des aventures sexuelles réelles ou fantasmées de Valentina, il y a ainsi de la place pour des éléments d’intrigue fantastique ou de science-fiction (il faut dire qu’elle est apparue initialement comme personnage secondaire dans la série Neutron) et tout simplement la vie d’une femme qui mûrit, vieillit au fil des années, a un fils (lequel meurt dans un attentat dans les années 80, époque des Brigades rouges en Italie), etc. Le tout dans un style graphique très particulier qui n’appartient qu’à son auteur. De façon générale, je suis tenté de dire que tout ce qu’a produit Crepax vaut le coup d’œil.

Un autre titre qui me vient en tête, dans une toute autre approche, parmi les « classiques », est Blanche Épiphanie de Lob et Pichard (1967-1985, intégrale en trois tomes dispo chez La Musardine), série que j’ai tendance à évoquer comme la version X d’Adèle Blanc-Sec de Tardi : les deux s’amusent des mêmes références, revisitant le même imaginaire de romans-feuilletons populaires, même si … de manière différente, bien entendu. Je suis moins fan, et je n’aime guère le trait de Pichard, mais la dimension de pastiche / parodie est assez fun.

Même si on est sans doute plus dans le cadre des « intrigues prétextes » et « secondaires » que tu stigmatisais initialement, j’ai quand même bien envie de citer Les 110 pilules de Magnus — adaptation graphiquement tourneboulante d’un épisode du classique chinois Jin Ping Mei (fin XVIe / début XVIIe siècle) — ou encore Erma Jaguar de Varenne — avec sa fabuleuse ambiance nocturne (quoique très typée années 80).

Parmi des titres plus récents, j’ai déjà fait la retape de Mâhârâjâ, excellent titre de Labrémure et Artoupan (2012, chez Drugstore) ; titre complété depuis de deux albums « préquelles » chez Clair de Lune, Nuits indiennes (plus décidément porté sur le côté farce, mais sympa aussi) et maintenant Le Cinéaste, sorti il y a trois semaines et sur lequel je n’ai pas encore mis la main. On peut aussi mentionner Esmera de Zep et Vince (2015, chez Glénat), conte plutôt réussi dont le personnage principal traverse les décennies en changeant de sexe à chaque orgasme.

Et puis, dans le fossé que tu veux tracer entre BD européenne et américaine, où placer Sunstone (l’anti Cinquante nuances de machinchose) du Croate Stjepan Šejić, qui le publie d’abord en ligne sur son compte DeviantArt puis a décroché un contrat pour l’éditer aux U.S. avec Image ? Que faire du Québecois Jimmy Beaulieu, dont je tiens notamment la Comédie sentimentale pornographique (paru en 2011 dans la collection Shampoing de Delcourt) pour un des meilleurs albums, tout genre confondu, de la décennie qui s’achève ?

Bref, le « cul » en BD franco-belge-au-sens-large, ça ne se limite heureusement pas au niveau du Déclic :stuck_out_tongue: (titre qu’au demeurant je n’apprécie pas des masses).