GREEN ROOM (Jeremy Saulnier)

DATE DE SORTIE FRANCAISE

27 avril 2016

REALISATEUR & SCENARISTE

Jeremy Saulnier (Blue Ruin)

DISTRIBUTION

Anton Yelchin, Imogen Poots, Patrick Stewart, Alia Shawkat, Mark Webber…

INFOS

Long métrage américain
Genre : thriller/horreur
Année de production : 2015

SYNOPSIS

Au terme d’une tournée désastreuse, le groupe de punk rock The Ain’t Rights accepte au pied levé de donner un dernier concert au fin fond de l’Oregon… pour finalement se retrouver à la merci d’un gang de skinheads particulièrement violents. Alors qu’ils retournent backstage après leur set, les membres du groupe tombent sur un cadavre encore chaud et deviennent alors la cible du patron du club et de ses sbires, plus que jamais déterminés à éliminer tout témoin gênant…

Le premier teaser :

Je l’attends avec beaucoup d’impatience, celui-là, et c’est un euphémisme…

on devrait aussi ?

Hmm, ça dépend.
Je me base surtout sur l’excellente impression que m’avait laissé « Blue Ruin », le précédent film de Saulnier. Celui-ci a été présenté dans de nombreux festoches et se trimballe une belle réputation.

La thématique colorée (Blue, Green) est-elle consciente ?

Absolument.
Il est flagrant en tout cas sur « Blue Ruin » que la thématique de la couleur est cruciale pour ce réalisateur, et c’est finalement plutôt rare : comme le dit très bien le philosophe Alain Badiou (bien calé en cinoche), « dans la plupart des films, on voit bien que la couleur est en trop » ; il veut dire par là qu’il n’est généralement pas fait d’usage narratif de cet élément graphique, que ce soit symbolique, métaphorique ou autre. Les films en question sont en couleur parce que ça contribue au « naturalisme », mais ça ne vient pas enrichir l’arsenal narratif.

sauf dans star wars évidemment. ^^

pff c’était vachement fin, rapport aux sabres lasers tout ça…

Ah. J’avions pas compris. :wink:

bah ouais quoi. comment on comprend qui est le gentil et le mechant sans les sabres rouge et bleu ? Et luke a vachement évolué boom : sabre vert.

so much just by color

La bande-annonce :

Il prend bien aux tripes ce Green room.

Jeremy Saulnier a puisé dans ses souvenirs de jeunesse pour développer le cadre de son troisième long-métrage. Le réalisateur a en effet fait partie d’une formation musicale dans les années 1990, il est de fait familier de ces moments de galères de la vie d’un groupe relatés au début du film, lorsque les musiciens écument les routes et rament pour trouver des salles où se produire. Au fil des années, Jeremy Saulnier a gardé cette envie de faire un huis-clos autour de la « green room » qui donne son titre au film, soit la pièce intermédiaire qui sert de loge aux musiciens pour y déposer affaires et matériel avant d’entrer sur scène.

A partir de cette idée de départ, le réalisateur déroule un contexte où le groupe de musiciens du film enchaîne les galères et se retrouve à jouer dans un rade tenu par un gang de néo-nazis, dans une ambiance électrique. Si le concert se déroule sans trop de heurts, bien que la reprise de Nazi punks fuck off des Dead Kennedy en ouverture fasse monter la température d’un cran, le retour dans la green room voit la troupe découvrir un cadavre et le film d’embrayer sur un survival intense et éprouvant opposant les musiciens au gang néo-nazi, bien décidé à faire disparaître ces témoins gênants.

Passé cette phase de mise en place, Saulnier va s’ingénier à faire monter le suspense sur la façon dont l’affrontement s’installe, d’abord psychologique puis physique, et progresse au gré des péripéties distillées par le scénario, souvent désarçonnant. A partir d’une situation figée (un groupe barricadé dans une pièce sans possibilité de s’enfuir), ce sont les personnages qui vont amener l’histoire à pencher dans une direction ou dans l’autre. Ainsi, si le gang est décrit par la hiérarchie stricte qui le régit avec l’implacable Darcy à sa tête (Patrick Stewart, formidablement inquiétant dans ce rôle à contre-emploi) et que les musiciens font bloc dans un premier temps, chacun est ramené à sa propre individualité à terme. Le propos du film ne réside d’ailleurs pas dans l’opposition idéologique punk/nazis, le réalisateur/scénariste réduisant chaque camp au fur et à mesure à un instinct de survie primaire pour lequel chacun se positionne au gré de l’instant présent. De ce fait, c’est des agissements des personnages, erratiques, souvent imprévisibles et parfois cocasses, que découlent les avancées du film. A ce titre, Gabe, incarné par Macon Blair, à un rôle de passeur, coincé entre son allégeance mise à mal par l’horreur grandissante et sa propre survie, qui incarne bien tous ces aspects en plus de contribuer à l’humanisation du gang.

Ce pivotement des personnages est aussi figuré visuellement par le travail sur les décors et la photographie du film, notamment dans le traitement des couleurs convoquées. Si le vert du titre est une couleur dominante dans la première partie du film, des vues aériennes des forêts de l’Oregon du début aux éclairages du couloir menant dans la green room, il va s’effriter pour disparaître complètement au moment de la première confrontation. Le décor du bar, débarrassé de toute vie et privé de lumière, s’enfonce dans une noirceur angoissante, rehaussée par les quelques touches de rouge (le néon au-dessus de la sortie, les lacets de chaussures) qui agissent comme des déclencheurs que le spectateur comprend au même moment que les personnages, souvent trop tard. L’affrontement brutal qui survient achève de transformer en profondeur les protagonistes, qui en ressortiront profondément marqués pour ceux qui en réchapperont. Les plans extérieurs nocturnes jouent aussi sur ce contraste noir/rouge, avec quelques plans sanglants qui détonnent dans la nuit sombre. Le vert resurgira dans le dernier acte du film, à la croisée des chemins pour les survivants, et soulignera d’autant plus la transformation qui s’est opérée pour un personnage en particulier, aussi bien physique que psychologique, puisqu’il n’est plus seulement question pour lui de sauver sa peau.

Pour contrebalancer les événements traumatisants, Jeremy Saulnier se permet des pointes d’humour à froid par le biais des dialogues des « héros » (la méthode du siphonnage), qui viennent dédramatiser l’espace d’un instant les manigances sordides de Darcy mises au jour. Le film s’achemine logiquement, une fois l’ultime affrontement mené à son terme, vers ce final où le temps reprend difficilement son cours; la discussion amorcée plus tôt dans le film dont on s’attend à avoir le fin mot est coupée avec un humour qui souligne la futilité de la chose au regard de ce qui s’est passé.

Ouaip, un sacré coup de boule filmique que ce « Green Room » puissant comme c’est pas permis. Saulnier confirme tout le bien que l’on pouvait penser de lui après son excellent « Blue Ruin ».
Après le « revenge-movie », le « survival » (mâtiné de home-invasion ici, sauf que les proies sont en territoire ennemi), donc. Le cinéaste aime s’inscrire dans des genres bien codifiés, mais il transcende sans problème toute limitation catégorielle. Saulnier réalise des films aboutis, point.

Je ne refais pas le pitch puisque Benoît l’a fait ci-dessus. J’ignorais, comme il le signale également, que le réalisateur avait une connaissance pratique de la scène rock underground, mais il en livre en tout cas (et du coup on comprend mieux comment) un tableau qui me semble tout à fait fidèle.
Il est exact que Saulnier est relativement peu intéressé par l’opposition punk/skinhead. De manière très intéressante, il suggère d’ailleurs que d’un point de vue extérieur, c’est un peu la même chose : une attitude agressive et une musique qui ne l’est pas moins. Très subtilement, le cinéaste va plutôt opter, en lieu et place de l’affrontement manichéen attendu, pour une sorte de glissement : dans les films de Saulnier, il y a toujours un personnage qui se métamorphose (y compris physiquement) en son antagoniste c’est d’ailleurs un ressort classique du survival. Mais il y a aussi du Friedkin dans cette démarche.
La musique, tant qu’on y est, est également utilisée, très finement là aussi, comme un outil narratif ; elle devient subtilement plus sombre, et le chant plus guttural, à mesure que la menace se précise. Saulnier est un auteur décidément fort compétent, avec cette compréhension de ses effets, ce script ultra-bien huilé et écrit merveilleusement (les persos sont instantanément attachants et les « méchants » tout sauf caricaturaux, malgré leur look folklorique), et cette direction d’acteurs fabuleuse (Stewart, tout en retenue, est fabuleux mais tout le cast est très bon).

Pour la mise en scène, c’est encore plus fort.
Sans effets ostentatoires, Saulnier emballe un huis-clos carpenterien en diable (la chute du film fait très Carpenter, d’ailleurs), ultra-bien pensé et exécuté, avec une utilisation toujours aussi intelligente des couleurs. D’une certaine manière, les persos sont bloqués « dans le vert » dès l’entame du film (le champ de maïs) puis dans les forêts de l’Oregon (pour le début, avec ses vues aériennes, et le final du film) avant même d’être coincé dans la fameuse « pièce verte » du titre. Plus fort encore, le cinéaste se permet de jouer sur différents niveaux de signification, utilisant le rouge ou le noir sur le plan allégorique (symboles des idéologies présentées par le récit) et purement sensoriel, avec ses « alertes rouges » qui affleuraient déjà dans « Blue Ruin ». C’est d’autant plus louable comme effort narratif que c’est rare, comme je n’arrête pas de le rabâcher.

Saulnier s’impose en deux films seulement (pas vu le premier, « Murder Party », mais je crois que je vais me pencher là-dessus vite fait) comme un auteur au sens plein et entier du terme : il a des persos types (ces mecs qui se transforment, comme on l’a dit plus haut) et ses figures narratives (l’engrenage de la violence qui entraîne la violence alors que chaque étape de l’escalade aurait pu avoir une issue différente, si les persos n’agissaient pas en fonction de leur déterminisme). Ici, en poussant la logique des idéologies mises en jeu par le récit dans leurs derniers retranchements (dans tous les cas une issue/impasse : la violence puis la mort), il semble émettre « en négatif » un sous-texte gonflé et pas évident à promouvoir : on a beau ne pas se sacquer, il va bien falloir se démerder à se supporter pour vivre ensemble.

Et le tout, on le rappelle car c’est trop beau et hélas trop rare, dans le cadre d’une modeste série B comme on les aime (aimait), de facture presque artisanale (même si le film a une sacrée gueule, hein) et d’une ambition pourtant presque insensée dans la production américaine actuelle : faire du cinéma.
Avertissement de rigueur tout de même pour les âmes sensibles : le film est très difficile de par sa sécheresse et sa violence ; ça ne se joue d’ailleurs pas tant dans le côté graphique de la chose que dans l’impact du surgissement de la violence, optimisé par la mise en scène et le montage impeccables.

Un coup de boule doublé d’un crochet au bide, ce film.

Tiens, un petit bonus : histoire de faire le pont entre les différentes scènes musicales décrites ici, voilà une reprise par les anglais de Napalm Death, la légende du grindcore de Birmingham, du « Nazi Punks Fuck Off » des Dead Kennedys, le morceau que reprend aussi le groupe de punk du film. La musique de Napalm Death fait pourtant autant penser à la musique de Slayer dont les skinheads de « Green Room » se repaissent…

[quote=« Photonik »]…]Avertissement de rigueur tout de même pour les âmes sensibles : le film est très difficile de par sa sécheresse et sa violence ; ça ne se joue d’ailleurs pas tant dans le côté graphique de la chose que dans l’impact du surgissement de la violence, optimisé par la mise en scène et le montage impeccables.

Un coup de boule doublé d’un crochet au bide, ce film.[/quote]

Je me souviens avoir trouvé l’article de Mad Movies un brin excessif sur la violence du film après coup; le rédacteur mettait l’accent sur l’aspect gore prononcé du long métrage et ça ne m’avait pas frappé pendant la séance. Le film est violent et difficile à certains moments (j’en menais pas large dans mon siège) mais plus par son surgissement brusque ménagé par le son, le montage, que par les débordements sanglants.

Quelques temps après, j’ai lu un retour sur le film qui faisait état de potentielles coupes dans le montage diffusé en salles, précisément sur des plans où la violence graphique était très prononcée. Ceci expliquant peut-être le décalage par rapport à l’article paru dans Mad Movies, le distributeur français ayant sans doute voulu éviter l’interdiction au moins de 16 ans pour l’exploitation en salles. En consultant la fiche de la sortie blu-ray, il est précisé qu’il s’agit du director’s cut, ce qui confirmerait les coupes de la version cinéma. C’est tout de même malheureux, j’aurais bien voulu profiter du montage intact en salles.

ça me donnera une raison de me pencher sur le blu-ray dans quelques mois. En attendant, ton message me rappelle de regarder Blue ruin, ça tombe à pic.

Aaaaaahhhhh Napalm, un bon petit groupe ça. La dernière fois que je les ai vu c’était il y a 4 ans. Ca détend toujours autant.

Je n’avais pas encore regardé de film de Jeremy Saulnier, j’ai finalement vu ce Green Room récemment et j’ai été happé par ce suspense d’une grande intensité, sec et violent. Photonik et Benoît ont tout dit ci-dessus à l’époque de la sortie et je partage leurs avis…c’est bien ficelé, prenant du début jusqu’à la fin grâce à une réalisation maîtrisée et une interprétation impeccable. Un survival d’une redoutable efficacité…

Pour l’actualité du bonhomme, Jeremy Saulnier a connu pas mal de problèmes dans la production de son nouvel opus, le thriller d’action Rebel Ridge. Tournage reporté à cause de la pandémie (le printemps 2020 était un mauvais timing), départ de l’acteur principal (John Boyega) peu de temps après le début des prises de vues en 2021…mais Saulnier tient bon et après recasting, la production reprendra à la fin du mois…

Ah, je me demandais justement ce que faisait Saulnier en ce moment ; tant mieux s’il a pu reprendre le chemin des plateaux…