GUERRE DES MONDES ! (Jean-Pierre Andrevon)

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Bouquin globalement chronologique, qui s’arrête avec la version Spielberg (mettant en scène Tom Cruise…), le livre d’Andrevon propose de parcourir les différentes déclinaisons, en passant par le feuilleton radiophonique d’Orson Welles ou la bande dessinée Killraven de McGregor et Russell… Parmi les étapes, il y a une détour intéressant autour des déclinaisons du roman de base (rencontre entre mes Martiens et Sherlock Holmes, nouvelles aventures du voyageur temporel, par Christopher Priest…). Je ne partage pas son enthousiasme pour la version de Spielberg, mais j’apprécie beaucoup sa capacité à prendre les éléments constitutifs du roman de base et à voir leurs échos dans des productions plus récentes (le virus remplacé par une chanson dans Mars Attacks, par exemple).
Un bouquin assez court (moins de 200 pages), richement illustré (ah, les couvertures des romans) et globalement agréable à lire.

Jim

J’ai revu hier la version de Spielberg avec Tom Cruise dans le rôle du personnage principal. Et, en plus de savourer diverses choses que j’avais déjà vus, quelques tours de force visuels (la fuite en voiture, qui enchaîne un effet spécial spectaculaire, le pont routier qui s’écroule sur les maisons, et l’étourdissant plan séquence autour de la voiture), un discours sur l’indicible par le truchement d’images reproduites ou reflétées (à travers une caméra dont il faudra cependant qu’on m’explique comment elle fonctionne toujours alors que tout s’est éteint, ou via les reflets sur les vitres, les pare-brise, les lunettes) ou par le biais d’un personnage qui voit avant les autres (Rachel…), j’ai pris conscience d’un truc qui m’avait échappé jusque-là.

En effet, j’ai toujours trouvé le personnage incarné par Tom Cruise assez creux, tendance branleur qui se la pète. Je suis de ceux qui pensent que c’est un excellent acteur (qu’on revoie Né un 4 juillet, par exemple) qui s’est enfermé dans son rôle de héros bellâtre et volontariste à l’excès. Pour moi, cette Guerre des mondes, c’était le retour au personnage m’as-tu-vu de Cocktail ou Top Gun, l’insupportable frimeur, ici coincé dans son échec : une impasse en guise de statue.
Et puis en revoyant le film, j’ai fait le constat, que je sentais sans jamais l’avoir formulé, que les enfants sont les vrais adultes du trio. Ce nouveau visionnage m’a permis de pousser plus loin le raisonnement : ils sont déjà adultes, et c’est maintenant à leur père de devenir adulte à son tour. Ray est entouré de gens plus jeunes que lui, il porte la casquette, c’est un éternel ado qui refuse son rôle de père parce qu’il ne veut pas vieillir (et là, ça devient méta, ça renvoie à l’acteur éternellement et faussement jeune, l’inaltérable jeune premier qui pourtant ne cesse de prendre de la bouteille). Et ça fait sens dans le cinéma de Spielberg, hanté par le récit initiatique, le passage à l’âge adulte, le « coming-to-age » de la fiction anglosaxonne (que sa génération de cinéastes a d’ailleurs fortement contribué à façonner). Mais cette fois, c’est l’adulte qui suit ce parcours. À la fin du film, il devient comme sa fille, celui qui voit les choses avant les autres, celui qui se pose les bonnes questions, celui qui sait regarder. L’enfant est un père pour l’homme, dit-on : c’est le cas ici.

Sorte d’anti-Hook, cette Guerre des mondes propose d’ailleurs certaines des scènes les plus noires du cinéma « grand public » spielberguien. Une scène est marquante à ce niveau : quand Ray ressort de la cave, après avoir perdu Rachel, il se trouve dans un décor qui, justement, est composé, éclairé et mis en scène comme un décor, c’est-à-dire comme un environnement artificiel fait pour suggérer la réalité plus que pour la reproduire. On est clairement et ouvertement dans un studio, pas au grand air, ce ne sont pas des prises de vues « réelles ». Le récit devient proprement cauchemardesque (le père a perdu sa fille, l’humanité est transformée en engrais), donc on passe du tournage extérieur au décor de studio. Mais dans le même temps, les couleurs chaudes et contrastées éclairent l’ensemble et composent un tableau assez joli, dans une sorte de version infernale de spectacles féériques passés. Le film étant aussi un jeu de citations (la vieille version de Byron Haskin, le propre E.T. de Spielberg…), quelle serait la citation, ici ? Peut-être Le Magicien d’Oz, Cruise courant le long de ce qui ressemble à une petite route de briques ? Le film désenchanté, rencontre du troisième type qui tourne mal, serait donc à ce moment une version cauchemardesque du Pays d’Oz ?

Autre chose qui m’a frappé. Le film est sorti en 2005. Fatalement, la critique y a vu, et sans doute à raison, l’une des premières réponses de la fiction à l’horreur qu’ont été les attentats du 11 septembre. Pour certains commentateurs, la poussière des morts vaporisés dont Ray s’ébroue en retrouvant ses enfants, comprenant qu’il porte sur lui les derniers vestiges des martyrs de sa ville, évoque les flammes des deux tours qui ont réduit en cendres les occupants et la structure en béton.
Mais le film est traversé d’image d’horreurs assez hallucinantes : les cadavres au fil de l’eau, le train en flammes… Dans ce cycle s’inscrit cette vision suggestive mais non moins effrayante, celle des vêtements qui tombent du ciel, peu après l’attaque du ferry, je crois. En la revoyant, je me suis interrogé sur sa signification. Bien sûr, c’est un nouveau marquage de l’interrogation que pose le film, à savoir : que reste-t-il de nous qui puisse témoigner de notre existence après notre mort ? Les vêtements vides décrivent la place physique que prenaient les gens avant leur disparition. Là encore, leur chute au ralenti rappelle les papiers, les débris et sans doute les vêtements que l’on voyait descendre au gré des vents le long des façades de verre des Twin Towers. Mais ils induisent un autre questionnement : le récit nous a expliqué que les rayons bleus des Tripodes vaporisent les gens pris pour cibles, vêtements compris. Ces tissus qui tombent du ciel constituent le deuxième indice, après les tentacules allant repêcher les passagers du ferry, d’un plan plus inquiétant des envahisseurs, qui sera développé par la suite autour de l’herbe rouge.
Et là, le scénario développe une autre allégorie. On passe de l’agression violente (métaphore de l’attentat) à l’industrialisation du massacre. L’homme réduit à l’état de matière première sert d’engrais à la végétation martienne, de carburant à l’invasion. Dès lors, le film, s’il parle sans doute du 11 septembre, évoque aussi et très clairement la Shoah, dont l’ombre spectrale teinte le film d’une nouvelle lumière.

Revoir le film hier soir me l’a fait redécouvrir. Dès que je trouve une minute, je relis les passages qu’Andrevon lui consacre. Il est lui-même très enthousiaste par rapport à cette version, un enthousiaste que je n’ai jamais partagé, mais je vais tâcher de redécouvrir, à leur tour, ses arguments.

Jim

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Pour moi ce fut évident au cinéma. Tu a l’image des vêtements flottant dans l’eau mais celle qui m’a pris à la gorge fut celle du train. Il faut se rappeler aussi qu’en 2015, Spielberg ne sort pas que ce film mais également Munich. Autre grosse morceau qui s’interroge sur le devenir d’un peuple après un événement traumatique et médiatique. Pour le coup c’est vraiment un film post 11/09 avec la question de la vengeance et de la division/réconciliation au centre du récit (mais là, va falloir que je le revois je ne l’ai pas vu depuis sa sortie) et comme souvent chez Spielberg, les deux films communiquent entre eux.

Et avec d’autres films de Spielberg. La Guerre des Mondes c’est aussi le reflet de Rencontre du 3ème Type. Un rencontre dévastatrice et non plus pacifique, une armée qui protège au lieu de dissimulé et un père qui fait tout pour retrouver sa famille, là où Roy Neary abandonne la sienne.

Oui, je crois que ça cumule les deux traumatismes, mais la proximité de l’attentat rendait celui-ci plus prégnant, à mes yeux, mais apparemment je n’étais pas le seul. Avec le recul, la convergence des deux me semble évidente.

Et ouais, c’est la réponse à E.T., qui est cité clairement (le vélo dans la cave), mais aussi, par extension, à Rencontre, tu as raison.

Jim

Très chouette billet. Ca aurait mérité une place dans le ciné-club (il y a aussi quelques films du début des années 2000, hein ^^)…

Mais pas celui-là, ou bien ?

J’avais la flemme d’en ouvrir un, mais bon, pourquoi pas.

Jim

Pas celui-là…mais c’est toi qui vois…^^