Judas
Voici le voyage de Judas Iscariot à travers la vie et la mort, cherchant un sens et une place dans " La plus grande histoire jamais racontée ", puisque toutes les histoires ont fondamentalement besoin d’un vilain.
Judas Iscariot est l’une des figures les plus tragiques de la Bible - un acolyte, un traître, un antagoniste. Mais sans Judas, l’histoire de Jésus ne fonctionnerait pas. Avant sa naissance, il était déjà esclave de l’histoire et dans une religion fondée sur la rédemption et le pardon, un homme devait se sacrifier pour sauver l’humanité… mais cet homme ne se nommait pas Jésus. Voici son histoire, depuis son suicide jusqu’au tréfonds des enfers.
Écrit par Jeff Loveness ( Apparition dans le ciel de Berlin-Est, Nova…), nominé aux Emmy Awards et WGA, et illustré par Jakub Rebelka ( Le Dernier Jour de Howard Phillips Lovecraft), Judas est une odyssée visuellement saisissante qui suit Judas Iscariot à travers les profondeurs de l’enfer dans une histoire puisée entre les lignes de la Bible et des supposées hérésies dont l’Évangile de Judas fait partie.
- ASIN : B0D2H5BYDM
- Éditeur : 404 Editions (24 octobre 2024)
- Langue : Français
- Relié : 136 pages
- ISBN-13 : 979-1032408292
Intéressant.
Très intéressant, en effet.
Dans une certaine mesure, l’approche semble aller un peu dans la direction du traitement de Judas dans « La Dernière Tentation du Christ » de Martin Scorcese (adapté du roman de Nikos Kazantzakis), où le traître le plus célèbre de tous les temps (incarné par Harvey Keitel en l’occurrence) n’est pas un perso si négatif, conscient qu’il est du rôle qu’il a à jouer dans le grand récit global.
Enorme baffe au final en ce qui me concerne à la lecture de « Judas » de Loveness et Rebelka. Ce dernier époustoufle par ses visions de l’Enfer judéo-chrétien, à mille lieues des clichés habituels. Quelles planches !!
Quant à Loveness, rien de ce que je connaissais de son travail auparavant ne m’avait préparé à une telle inspiration, c’est réellement bluffant et poignant au possible, tout en simplicité et en épure, mais basé sur deux ou trois idées incroyablement fortes en termes scénaristiques…
« Judas » sera au sommaire de l’émission « Tumatxa! » de cette semaine, où j’aurai l’occasion de m’entretenir longuement au sujet du titre avec Aurélien Lemant, qui l’a traduit pour 404, avec un investissement assez dingue pour un premier travail de traduction dans le domaine de la BD.
Grosse déception pour ma part, j’ai trouvé ça très mauvais en terme de scénario. C’est de la grosse ficèle à plus quoi savoir en faire, j’ai plutôt tout vu à l’avance, déception.
Lire une bd consacré à Judas, ça ne m’attire carrément pas. Et l’avis du Kab ne m’y incite pas…
Bon ça, je comprends tout à fait. Mais ça…
Tu veux parler des rebondissements scénaristiques ? Grosses ficelle en quel sens ? il y a tant de BD que ça qui aborde ce registre « biblique » pour qu’on puisse repérer les grosses ficelles ?
Je ne comprends pas trop. Mais bon, je ne vais pas essayer de te convaincre que c’est bien hein, manifestement ton opinion est faite et bien faite. ^^
Tu n’as pas été bluffé par les dessins, quand même ?
Pour ma part, vu que je suis sourd, est-ce que, après l’émission, pourrais-tu mettre par écrit ton avis ? (Wooow, j’espère que tu m’as compris malgré ma maladresse, j’avoue avec ma fatigue… pas simple d’écrire…)
Parce que ça m’intéresse ! On en parle très peu de ce personnage, sûrement à cause de sa trahison prévisible et son suicide : il a toujours été très mal vu chez les catholiques, un maudit, quoi… merci !
et ce n’est pas grave si ça t’ennuie, j’essayerai d’embêter ma femme pour l’écouter
D’un coup, il devient plus intéressant.
Voilà ! Tu as tout compris ! Tu es bon chat !
Et le truc fort est que Jésus le savait et lui a dit de le faire ! Et Judas ne s’est pas gêné !
Je prendrai le temps de le faire, pas de souci… je ne le fais plus assez souvent ici, faute de temps.
En même temps, sans Judas, pas de condamnation, pas de chemin de croix, pas de crucifixion (bon, sans le peuple qui a préféré faire libérer Barabas non plus)…
Tori.
En fait tout est de la faute de Judas donc… bon il me redevient antipathique.
Alors ce sera beaucoup plus bref qu’à la radio, parce que j’ai quand même échangé une heure et quart avec Aurélien Lemant… ^^ Mais en gros : déjà, il faut saluer le travail du polonais Jakub Rebelka, qui réalise ici, quelques années avant le chef-d’oeuvre « Le Dernier Jour d’Howard Phillips Lovecraft », un travail déjà très impressionnant. Quelques trouvailles discrètes mais très porteuses, comme cette auréole noire sur la tête de Judas, et un côté monumental et froid à ces Enfers très loin des clichés habituels du moins en Occident (en gros : des flammes et du soufre). La mise en page est plutôt classique, simple mais très efficace… Sur le plan graphique, je trouve que c’est une réussite sur toute la ligne.
Sur le plan scénaristique c’est plus impressionnant encore pour moi. Avec une économie narrative assurée, Loveness relate ce que l’on sait de l’histoire de Judas en trois ou quatre petites pages (c’est un personnage très peu connu si l’on se se base sur le Nouveau Testament, finalement), avec un apport tout de même : Judas a perdu sa mère, et l’a veillé dans ses derniers instants. Loveness n’en fait pas des caisses, mais cet élément (peut-être que ça a marché plus spécifiquement avec moi, je ne saurais dire) apporte une empathie « naturelle » à l’égard du personnage, d’emblée. C’est aussi évidemment le grand projet du récit dans son entièreté.
Se pencher sur la figure de Judas n’est pas inédit : on peut citer trois exemples. Deux sont issus de la culture populaire ou assimilé : il y a le cas du Judas dans la comédie musicale (puis le film qui en est issu) « Jesus Christ Superstar », où le récit est pratiquement narré du point de vue de Judas, qui a des doutes (assez légitimés par le contexte) sur le Christ. Un Judas déjà bien plus complexe que le traître sans nuance des Evangiles.
Il y a aussi celui que l’on retrouve dans le film de Scorcese, « La Dernière Tentation du Christ » (adaptation d’un roman de Nikos Kazantzakis), où le Judas incarné par Harvey Keitel est parfaitement conscient de son rôle dans le grand plan divin et devise avec Jésus de l’imminence de sa trahison inévitable et souhaitable… Allant encore un peu plus loin dans la réhabilitation du personnage, il y a le texte apocryphe appelé l’Evangile de Judas (150 après JC, à peu près), que l’on rattache au corpus gnostique, cette hérésie chrétienne violemment combattue par l’Eglise dans les premiers siècles de son existence, où Judas est considéré comme une figure majeure du plan divin (Aurélien Lemant, c’est à préciser, relativise les points communs entre cet « évangile » et la BD de Loveness et Rebelka).
On a affaire à une tentative de ce type ici.
Judas va donc confronter Jésus, dont on découvre qu’il est condamné aux enfers, logiquement, après avoir pris sur lui tous les pêchés de l’humanité, idée géniale de Loveness que je ne crois pas avoir lu où que ce soit par ailleurs.
A la fin, que je ne dévoile, il est question de grand plan divin plus subtil qu’on ne le croyait, de pardon, de phare dans la nuit (ou aux enfers), et pour le résumer comme Aurélien Lemant le fait : « la morale de l’histoire c’est que si on se retrouve en enfer c’est toujours mieux d’y trouver un pote sur lequel on peut compter »… ce que devient Judas pour tous les damnés, faisant de lui une figure incroyablement lumineuse.
Rajoutons à ces belles trouvailles de scénariste un Lucifer impérial, qui doit un peu au Lucifer Morningstar ambigü de Neil Gaiman et surtout beaucoup au Lucifer de Michael Moorcock dans « Le Chien de guerre et la misère du monde », c’est à dire celui de Milton. Un Lucifer bad-ass et retors, certes, mais aussi mélancolique et touchant.
Non, franchement, sacrée réussite de mon point de vue. Un récit simple, relativement peu dramatisé, c’est vrai, mais reposant sur deux trois vraies bonnes idées de scénariste, avec des figures pourtant pas si simples à manipuler.