Quel album !
Bon, vous le savez déjà, je n’ai aucune culture musicale. Je confonds les groupes, je ne connais pas le nom des membres, bref, ça me passe au-dessus de la tête. Mais le pitch de Judee Sill m’a fait dresser l’oreille, à cause de sa dimension biopic largement romancée (car, faute de documentation sur cette artiste disparue, les auteurs ont comblé et tricoté), et les quelques planches de promotion m’ont vraiment plu.
Et bien m’en a pris : c’est une lecture formidable.
Déjà, l’aspect biopic : quelques petits textes en fin d’ouvrage expliquent que la discographie de Judee Sill est maigre (deux albums de son vivant, quelques compilations, inédits et enregistrements live par la suite) et que la documentation à son endroit n’est pas riche non plus. On devine que le scénario a dû combler les vides, et de quelle manière. Le récit s’ouvre sur la découverte de son corps, et la scène est vraiment astucieuse et bien écrite.
Puis l’album va dérouler les différentes étapes marquantes de la vie de la chanteuse, mais pas de manière chronologique. Les auteurs s’autorisent la possibilité de sauter d’une époque à l’autre, dans le désordre, induisant un portrait en creux, composite. C’est d’autant plus efficace que le récit s’intéresse à d’autres personnages, en suivant notamment le parcours d’une « lettre de suicide » qui passe de main en main. C’est l’occasion de croiser un journaliste, un disquaire, un policier, un producteur… et d’évoquer le souvenir que laisse la chanteuse. Émouvant, avec une pointe de cynisme…
Quant à l’aspect formel, c’est étourdissant. Graphiquement, Jesús Alonso Iglesias a un style réaliste qu’il épure à l’extrême, à base d’un encrage épais qui m’évoque tour à tour et en vrac Michael Walsh, Chris Samnee, Mitch O’Connell, et j’en oublie sans doute, et des plus évidents… Sa restitution des trips sous acide est étourdissante, avec une compréhension des formes et des couleurs assez saisissante. Sa capacité, aussi, à déformer le trait en fonction de ce qu’il veut dire !
Et puis il y a le lettrage. Cette idée lumineuse de donner une couleur à la police des paroles de Judee. Les grosses lettres des changements de séquence. Les séquences de narration par écran télé (à la Dark Knight !!!) où les blocs de textes restent parfaitement accessibles. Formellement, c’est à la limite du nickel (quelques queues de bulles un peu trop longues, quelques guillemets à la française qui auraient dû être à l’anglaise…)
Vraiment, une lecture conseillée, un album réussi, qui montre que, parfois, il est encore possible, en franco-belge, d’accorder autant d’attention à la forme qu’au contenu.
Jim