JUDGE DREDD CLASSICS #1-2 (Collectif)

Je suis en train de lire quelques recueils de Judge Dredd qui sont dans ma bibliothèque et que je n’avais fait que survoler, précédemment. Je me dis que les évoquer ici n’est peut-être pas une mauvaise idée.
Donc, j’ai commencé par les deux tomes compilant Necropolis.

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S’il y a plusieurs éditions, celle que j’ai, datant du début des années 2000, est ornée par des illustrations inédites de John Cassaday. Du tout où il était encore convaincant. L’ensemble compose un menu copieux : en effet, Necropolis s’étale sur vingt-six chapitres publiés dans 2000 AD, auxquels se rajoutent d’autres récits, dont « A Letter to Judge Dredd », « Tales of the Dead Man » et « Countdown to Necropolis ». En tout, plus d’une cinquantaine de chapitres en deux tomes.

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L’intrigue en elle-même marque un tournant, pas seulement parce qu’elle se conclut au numéro 699 afin de marquer une nouvelle ère pour la sept-centième livraison, mais aussi parce qu’elle est profondément ancrée dans la continuité, résolvant plusieurs fils d’intrigue en même temps.

L’histoire commence alors que Dredd commence à avoir des doutes sa mission. Des récits précédents ont montré qu’il y avait dans la population entassée dans les « blocks » une appétence pour la démocratie, à laquelle le vieux justicier au cuir épais finit par être sensible. Parallèlement à cela, la hiérarchie lui a confié un « rookie », une bleusaille qu’il doit former sur le terrain. Or, ce dernier n’est autre que Kraken, le dernier des Judda. Et les Judda, ce sont des hommes formés par Morton Judd, le scientifique fou à l’origine du programme de clonage dont le héros est issu. Se souvenant des précédents (dont Rico, incarné par Armand Assante dans le film de 1995 avec Stallone), Dredd estime que son « apprenti » n’est pas fiable, mais c’est aussi un peu la goutte d’eau qui met le feu aux poudres, comme on dit : lassé de son rôle, Dredd démissionne puis entame la « Long Walk », le départ vers les déserts radioactifs pour le dernier voyage attendant les Judges à la retraite.

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C’est donc Kraken qui le remplace. Les Judges estimant que le bon peuple serait rassuré s’il était persuadé que Dredd patrouille toujours, ils profitent de la ressemblance entre ce dernier et Kraken pour lui assigner l’identité du célèbre Judge. Hélas, les prévisions de Dredd s’avèrent validées par les événements qui suivent : une force surnaturelle plane sur Mega-City One, orchestrée par le Judge Death, les Dark Judges et les Sisters of Death, des ectoplasmes féminins qui ouvrent un portail entre leur dimension de la mort et la Terre. Kraken est le premier à tomber sous leur influence, il parvient à piéger Kit Agee, une Judge appartenant à la Psi-Division, et dont les pouvoirs mentaux servent d’ancre aux Sisters of Death. Ainsi, elles assoient leur emprise sur la ville qui tombe bien vite dans le chaos.

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Le scénariste, John Wagner, déplie son intrigue selon deux axes : dans la ville à feu et à sang, il suit un petit groupe de cadets de l’académie qui tentent de résister aux Judges contrôlés par les Sisters of Death, tandis qu’il nous montre le parcours de Dredd, devenu un ermite errant dans le désert. Et même loin de la ville, il sent la vague psychique qui la submerge, et décide de rentrer.

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Si certains épisodes amorçant la saga ont été dessinés par Will Simpson et Jeff Anderson, c’est Carlos Ezquerra qui se charge de l’ensemble des épisodes de Necropolis. Il dessine et peint, faisant se percuter des palettes voyantes, dans une sorte d’explosion de mauvais goût qui sert totalement le propos, ce surgissement du mal et de la mort dans un univers déjà étouffant. Qui plus est, ses chocs visuels sont assez narratifs et servent très bien à véhiculer les informations et les émotions.

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L’ensemble fonctionne très bien, malgré quelques ellipses parfois un peu brutales. Wagner n’hésite pas à zapper la chute de Mega-City One, pour se consacrer à l’après, mais il est parfois un peu rapide dans son exécution. De même, si ses dialogues sont secs et fonctionnels, il est beaucoup moins à l’aise dans l’utilisation de récitatifs, qui parfois tombent à plat. Petit bémol sur une intrigue qui a du souffle et qui tient en haleine.

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Ezquerra quant à lui profite de l’occasion (un récit d’action et de fureur sur de nombreux épisodes) pour livrer de grandes cases où son goût du grotesque s’affirme. Ça se lit vite, et on en a plein la vue.

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L’intrigue frappe par son ampleur. On sent la volonté de secouer le cocotier, de résoudre des intrigues au long cours, d’implanter Necropolis dans la continuité (le retour de la Chief Judge McGruder s’inscrit dans cette logique). Pour ceux qui ont découvert Dredd par les éditions des années 1980 et qui ont gardé le souvenir d’une série satirique et grinçante, on a toujours ça, mais doublé de tout un univers cohérent (et joyeusement riche et foutraque). De sorte que la saga est une sorte de synthèse du mythe.

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C’est aussi, si je comprends bien, une sorte de tremplin pour l’après. Garth Ennis viendra rédiger d’autres histoires marquantes autour du personnage en partie sur les bases de Necropolis, qui nourrira d’autres récits par la suite. Et, en bon découvreur tardif, je ne peux m’empêcher (mais c’est sans doute une platitude) de voir dans cette saga un laboratoire d’idées qui auront, de l’autre côté de l’océan, des déclinaisons nouvelles, de No Man’s Land à Blackest Night.
Bref, un jalon intéressant.

Jim