Fantastique/horreur
Long métrage japonais
Réalisé par Masaki Kobayashi
Scénarisé par Yoko Mizuki, d’après « Kwaidan ou histoires et études de choses étranges » de Lafcadio Hearn
Avec Tatsuya Nakadai, Rentaro Mikuni, Tetsuro Tamba, Keiko Kishi…
Année de production : 1964
Publié à l’origine en 1904, Kwaidan ou histoires et études de choses étranges est un livre signé Lafcadio Hearn, écrivain irlandais passionné par le Japon au point de prendre la nationalité japonaise et d’y passer les dernières années de sa vie. Dans Kwaidan, Lafcadio Hearn a rassemblé plusieurs histoires de fantômes (ou kaidan), contes folkloriques complétés par une collection de textes sur les insectes et leur signification dans les croyances chinoises et japonaises. L’ouvrage a servi de base au long métrage Kwaidan distribué par la Toho en 1964.
Le réalisateur Masaki Kobayashi a débuté sa carrière en 1952 par un film de commande avant de s’attaquer à des sujets plus personnels. L’une de ses oeuvres maîtresses est La Condition de L’Homme (1959), une trilogie pour laquelle il s’est inspiré de son expérience à l’armée afin de dénoncer les horreurs de la guerre. Après le film de samouraï Hara-Kiri, Kobayashi a livré l’une des plus importantes contributions à la tradition du kaidan eiga (terme désignant les films de fantômes dont certains des premiers représentants sont Le Manoir du Chat Fantôme et Horreur à Tokaido de Nobuo Nakagawa) avec Kwaidan, fresque de trois heures composée de quatre histoires sans être reliées par un fil rouge comme c’est souvent le cas dans les films à sketches.
Dans Les Cheveux Noirs, un samouraï qui ne supporte plus la pauvreté de la vie qu’il mène décide de quitter sa femme pour se remarier avec l’héritière d’une riche famille. Mais il déteste son acariâtre épouse et ses pensées ne cessent de retourner vers son ancienne demeure et la femme aux longs cheveux qui ne quitte pas son métier à tisser. Dans cette première partie, l’hantise vient principalement de la culpabilité ressentie par le personnage principal. Le fantastique intervient dans les dernières minutes, une plongée dans la folie efficacement accentuée par le travail sur le son et l’utilisation de percussions inquiétantes.
Teint pâle, longs cheveux de jais, kimono blanc…l’apparence de La Femme des Neiges est marquante et n’a pas manqué d’influencer des représentations fantomatiques à venir. Elle se matérialise devant deux bûcherons pris dans une tempête de neige, tuant le plus vieux et épargnant le plus jeune s’il accepte de garder le secret sur ce qui est arrivé cette nuit-là. L’homme retourne chez lui, se marie, a des enfants et mène une vie paisible…mais le souvenir de la femme des neiges ne l’a jamais quitté. Dès ce deuxième récit, Masaki Kobayashi renforce l’étrangeté des événements par l’utilisation de toiles peintes représentant un ciel où des globes oculaires se mêlent aux étoiles, comme si des puissances supérieures étaient témoins du drame qui se déroule. Une esthétique magnifiquement travaillée…avant une fin empreinte de mélancolie et de tristesse…
Hoïchi sans oreilles est le segment le plus long de Kwaidan, mené sur un rythme lancinant, presque hypnotique. Il débute par le Heike Monogatari, l’histoire de la bataille navale de Dan-no-nura qui opposa deux clans ennemis en 1185. Ce classique de la littérature nippone a été mis en musique et chanté par un musicien aveugle qui s’accompagne du biwa, un luth à manche court. La voix de Hoïchi est le seul accompagnement de ces scènes guerrières ressemblant à une estampe prenant vie (parallèle illustré par la mise en scène). L’aveugle va être hanté et progressivement vidé de sa force vitale par les sujets de sa chanson à travers une suite de nuits à l’atmosphère envoûtante. Les tableaux concoctés par Masaki Kobayashi sont visuellement splendides et à une certaine poésie morbide succède l’horreur lors de la scène très forte des tatouages censés protéger le pauvre Hoïchi…
Kwaidan se referme sur Dans un bol de thé, son histoire la plus courte, une réflexion sur les contes inachevés. Un samouraï est perturbé lorsqu’il regarde dans son bol de thé et y voit un visage railleur le fixer. Il avale tout de même le breuvage mais il va recevoir la visite nocturne du spectre et de ses serviteurs pour un affrontement que l’homme ne peut gagner. Encore une fois, l’ambiance est accrocheuse tout en étant moins axée sur l’aspect contemplatif…et comme il s’agit d’une histoire qui n’a pas vraiment de fin, l’interprétation de l’intrigant dernier plan est laissée à l’imagination du spectateur, rejoignant ainsi le discours du narrateur…