LA SAGA DES BOJEFFRIES (Alan Moore / Steve Parkhouse)

Alors, personne ne l’a lu finalement ? Après les Bolland Strips, j’ai profité du long weekend férié pour continuer mon exploration des raretés british des années 80 proposées par Komics Initiative en me plongeant enfin dans cette Saga des Bojeffries. Quand on pense à Alan Moore, l’humour n’est pas forcément ce qui vient à l’esprit, même si les récits où le sorcier de Northampton se prête à l’exercice ne manque pas, surtout dans les années 80 lorsqu’il écrivait pour 2000 AD, que ce soit sur Tharg’s Future Shocks ou DR & Quinch (Delirium devrait logiquement finir par reprendre ces histoires sorties déjà chez Soleil). Débutée dans Warrior #1 en 1983 (aux côtés de Marvelman et V For Vendetta, gros départ pour Moore !), les différentes histoires courtes mettant en scène cette famille ont été publiées de manière discontinue chez différents éditeurs jusqu’en 1991. Ce mode de diffusion et le manque de compilation ultérieure jusqu’en 2013 (date à laquelle une ultime histoire est également dévoilée) va compliqué son accès à un large public, ce qui n’a pas empêché le titre d’avoir une solide réputation chez les connaisseurs.

Comme le titre l’indique, le récit est centré sur la famille Bojeffries, un groupe de personnages excentriques (et surnaturels !) vivant dans une grande maison délabrée dans un quartier de la classe ouvrière dans le Grande-Bretagne des années 1980. Les Bojeffries sont présentés comme une version prolétarienne et dysfonctionnelle de la famille Addams ou des Munsters, confrontée aux difficultés quotidiennes de la classe ouvrière anglaise de cette époque. Comme leurs modèles, leurs singularités et décalage avec le monde qui les entoure sont des vecteurs de situations savoureuses, et parfois aussi un peu bizarres. Gros coup de cœur de ma part sur Raoul Zlüdotny, l’oncle loup-garou aussi enthousiaste que totalement inconscient de ce qui lui arrive (notamment dans le cadre socio-professionnel, étant employé dans une usine locale), et son frère le vampire Festus qui se retrouve systématiquement dans des situations compliquées (mais drôles) ne raison des vulnérabilités inhérentes à sa condition de mort-vivant.

L’humour à la fois absurde et mordant et typiquement britannique, est évidemment une satire de l’Angleterre de Margaret Thatcher (mais quel titre de la nébuleuse 2000 AD ne l’était pas alors ?). Alan Moore doit sans doute aussi puiser dans ses propres souvenirs : originaire d’une famille prolétarienne, il vivait enfin dans une grande maison délabrée de style victorien en plein quartier ouvrier. A côté des dérives de la société (misère sociale, montée des partis extrêmes…), Moore et Parkhouse abordent aussi des soucis du quotidien, comme en premier lieu la difficulté des foyers les plus pauvres à payer le loyer dans l’histoire qui ouvre le recueil (et qui est peut-être la plus fameuse).

Moore et Parkhouse s’amusent également beaucoup sur la forme : jeu sur le langage (déjà pour Moore !) avec notamment Raoul s’exprimant dans un anglais très particulier, ponctué de majuscules et de tournures de phrases étranges, tandis que les phylactères de Festus ne sont remplies que de caractères indéchiffrables, mais aussi des expérimentations plus poussées comme un épisode… muscial, les personnages s’exprimant en chanson tout du long ! Un très bel hommage est rendu à la Famille Adams à travers un récits de vacances de la tribu Bojeffries : initialement, les Adams sont des dessins humoristiques paraissant dans les journaux, les représentant dans des situations qui leurs sont propres, un texte en-dessous de la case rapportant les faits ou les dialogues. Pour narrer les tribulations estivales de leurs étranges héros, Moore et Parkhouse adopte ce format, un très bel hommage pour qui saisit la référence. Un récit de 2013 complète l’ouvrage, montrant ce que les Bojeffries sont devenus plus de deux décennies après qu’on les ait quittés, mettant un terme semble-t-il définitif à leur saga.

PS : J’ai retravaillé cette critique pour la poster sur le compte Instagram de Comics Office.

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