J’ai bien avancé dans le roman. Les deux premiers chapitres constituent effectivement deux exercices de style particulièrement difficiles à aborder : comme les autres chapitres, ils sont écrits à la première personne et donnent à lire les pensées de personnages qui disposent d’un langage encore restreint. L’éveil à la sensualité, la confrontation à autrui, la douleur et la mort, gérés avec un vocabulaire réduit ou un seul temps de narration, quel exploit.
Chose intéressante, le deuxième chapitre, s’il propose un vocabulaire plus conséquent, est donc uniquement écrit au présent. L’effet de contraste est fort quand on passe au troisième chapitre, qui intègre le passé dans la narration, et donc l’histoire, le rapport cause / conséquence, ainsi que la mort, l’absence, le deuil et le ressentiment. Et d’une certaine manière, le péché. Dans un texte qui parle de folie et de perte de la conscience de soi !
Ce qui est intéressant, outre les échos de motifs récurrents (notamment le feu, qui, avec l’assimilation de la conscience des choses passées, devient un fil rouge encore plus évident), c’est la manière dont l’établissement d’un langage de plus en plus structuré permet d’éclairer la narration et d’affiner la perception des personnages (et donc de leur voix). Il est logique que le langage, en se structurant, apporte des concepts plus complexes, mais cela témoigne surtout de la volonté de Moore de jouer autant sur le fond que sur la forme, et de trouver des manières pour que l’une réponde à l’autre.
Comme en BD, en fait : son travail de créateur consiste bien souvent à mettre au diapason le fond et la forme. Pour l’heure, après trois chapitres en quelques 130 ou 140 pages, c’est peut-être un peu tôt pour en parler, mais j’ai l’impression que je ne suis au bout de mes surprises ni littéraires ni thématiques.
Il me semble qu’il fait tout à fait la même chose vers la fin de « La Coiffe de Naissance », ce texte assez court mis en images par Eddie Campbell (« From Hell »), et c’est tout aussi réussi d’ailleurs.
C’est d’ailleurs intéressant de comparer les deux, car dans « La Coiffe… » c’est une dévolution en quelque sorte, alors qu’ici tu décris plutôt un crescendo…
Fini assez récemment, à l’occasion d’un voyage en train (car c’est pas le genre de bouquin qui se lit dans la bousculade, faut du temps et du calme).
Assez impressionnant : les différentes voix, les choix littéraires propres à chaque chapitre, le fil rouge (simple mais bien construit)… Pour qui connaît les autres œuvres de Moore, on retrouve des obsessions (Remember Remember the Fifth of November), des motifs récurrents, l’envie de tout englober dans un projet narratif…
Chose intéressante : le dernier chapitre (le dernier du bouquin : Neil Gaiman précise qu’on peut commencer le bouquin à n’importe quel chapitre, puisqu’un cercle n’a pas de début…) propose l’apparition de l’auteur (chose rare chez Moore) et donc une mise en abyme, assez prodigieuse. Là, pour le coup, Moore renoue avec ses obsessions (la magie, la création, le mystère, l’œuvre) qui ont déjà hanté Promethea, bien entendu, ou encore Supreme. Et ce dernier chapitre contient des passages proprement mémorables, notamment autour de l’impossibilité pour l’auteur de résumer, d’expliquer, de verbaliser son œuvre.
Et ce rapport de l’auteur à l’œuvre, de l’œuvre à la ville, de la ville à l’auteur, me laisse presque dire qu’il y a peut-être dans La Voie du Feu le fantôme de Big Numbers, sa fameuse « symphonie inachevée », qui mettait déjà en scène une écrivaine et sa ville. Un auteur et le vaste tout auquel il appartient.
Cela consolera peut-être un peu ceux qui se désespèrent depuis une grosse vingtaine d’années de ne jamais avoir la suite de ce projet gigantesque.
Ouf, j’ai fini par retrouver ce thread… (j’oublie toujours qu’il y a un site en amont du forum) : ActuSF a mis en ligne un court entretien avec Patrick Marcel, individu bien connu des anciens services de Superpouvoir, et ci-devant traducteur de la Voix du Feu d’Alan Moore, à l’occasion de sa ressortie chez Hélios.
Ouais, interview très sympa et pas mal riche quand même. Mais c’est vrai qu’on a envie d’en avoir plus (et quand t’écoutes Patrick parler, t’as pas trop envie de l’arrêter … en même temps, ce n’est pas facile de l’arrêter ! )
Merci Louis !
Pour les amateurs et les amateures de bons romans qui n’auraient pas encore franchit le pas en lisant celui-ci, ou pour ceux qui veulent s’y replonger le temps d’un premier chapitre, et quel premier chapitre
Je propose donc Le cochon de Hob, du moins pour l’instant un extrait (le début).
Si cela vous intéresse ou aiguise votre curiosité, sachez qu’il est rédigé avec le vocabulaire d’un enfant attardé vivant à l’Âge de pierre ou supposé tel par Moore, une seule adresse Pour en savoir +
La traduction est assurée brillamment par l’ami Patrick Marcel, un gage de qualité s’il en est !
Ce n’est pas un problème, tu peux allègrement « sauter » ce premier chapitre et lire la suite sans soucis et, y revenir ensuite le cas échéant.
Ou pas.
Neil Gaiman précise d’ailleurs dans la préface de « La Voix du Feu » que l’on peut commencer par n’importe lequel des chapitres, « un cercle se mesurant à partir de n’importe quel point », nous dit-il…