J’ai donc lu « Land of no tears », première série reprise dans le recueil de 2018 (grand format, couverture souple, pour mon exemplaire). Et c’est très sympa.
Ainsi que le dit Pat Mills dans son introduction, les séries publiées dans les revues de science-fiction destinées aux jeunes filles faisaient la part belle à l’émotion, à l’expression des sentiments. Et le scénariste, auteur de la bande, jouera donc à fond de ce ressort.
La jeune Cassy Shaw souffre d’un handicap, une jambe plus courte que l’autre. Elle profite de ce désavantage pour s’attirer les bonnes grâces d’un peu tout le monde (l’épicier qui lui offre un paquet de bonbons, l’institutrice qui ferme les yeux sur ses retards fréquents…) jusqu’à ce que l’hôpital débloque une date pour l’opération. Elle n’est guère ravie, mais elle se soumet au calendrier. Hélas, elle fait une complication sur le billard et tombe dans le coma. C’est alors que son esprit est projeté dans le futur, un futur inquiétant et eugéniste où les hôpitaux ont été rasés puisque plus personne ne tombe malade. Mais dans ce monde, les handicapés sont des citoyens de seconde zone, des « gammas », alors que les « alphas » ont tous les droits. Cassy n’est donc plus en position de force.
Devant s’adapter à sa nouvelle condition, Cassy apprend assez vite à jouer sur le système : si une « alpha » la brutalise, elle lui rétorque qu’elle risque de se salir à la toucher ainsi. Et puisque les émotions sont prohibées (pleurer est interdit, c’est le « pays sans larmes »), elle cherche à provoquer la colère des citoyens de premier ordre afin de prouver qu’ils ne sont pas meilleurs. L’intrigue tournera autour d’une compétition sportive et des manigances de la rusée héroïne pour inscrire son groupe. Mais bien sûr, ça va mal tourner quand le système informatique de ce monde futuriste se rendra compte que Cassy n’a pas d’existence légale.
Derrière le récit pour un jeune public, on retrouve la ruse et la rouerie de Pat Mills (dont, personnellement, j’aime beaucoup les premiers travaux : je le trouve plus limpide, plus fluide et moins abscons que dans certaines de ses réalisations plus connues, où les ellipses sont souvent nombreuses et envahissantes voire malvenues). Mais on identifie également ses obsessions d’auteurs. Chez Mills, ceux qui prônent la tolérance sont souvent intolérants, ceux qui dénoncent la corruption sont souvent corrompus… Bref, c’est un auteur qui pointe du doigt l’hypocrisie. On retrouve tout ça dans « Land of no tears », un monde d’exclusion et de domination.
Le dessin de Guy Peeters, que je découvre, est classique, très matiéré, fait pour une édition en noir & blanc. Ses compositions sont denses, parfois au détriment du sens de lecture, mais toujours agréable. Classique, sans éclat, mais au service de la narration.
On pourra peut-être reprocher à la série de privilégier l’intrigue de la compétition en laissant de côté certaines idées du début (la maison de Cassie convertie en musée du XXe siècle) et une fin assez abrupte et téléphonée (Cassie sort de son coma, l’opération s’est bien déroulée, et elle conserve une preuve de son voyage dans le temps, qui n’était pas qu’un rêve…), mais la série vaut pour le témoignage historique autour des débuts de carrière d’un auteur important et pour la vision angoissante d’une Angleterre aux mauvais penchants.
Jim