L'ARCHE t.1-3 (Jérôme Félix / Vincent Mallié)

Discutez de L’arche

À la suite de Hong Kong Triad et des Aquanautes, les dessinateurs Joël Parnotte et Vincent Mallié se séparent, allant travailler sur des projets différents. Le hasard fait qu’ils vont illustrer deux récits écrits par Jérôme Félix. Si Parnotte dessine donc Un pas vers les étoiles chez Soleil (dans la très ambitieuse collection « Latitudes »), Mallié se retrouve aux commandes de L’Arche, une trilogie de science-fiction également publiée par Soleil.

Arche01_01022003

Le principe est simple, en apparence du moins : un enquêteur soupçonne la société Cadillac de détourner une cargaison au contenu mystérieux et se retrouve pris en chasse par des hommes de main sans scrupule. Mais un jeune étudiant, pour se faire mousser devant sa belle, fait croire à celle-ci que les tueurs sont à ses trousses. Le mensonge bénin d’Émilio Menez va bientôt avoir des conséquences fâcheuses.

arche01p

Jérôme Félix, je l’ai déjà souligné ici et là, aime les personnages naïfs au grand cœur. Le jeune Emilio est de cette trempe. Cela permet donc au scénariste d’opérer une comparaison entre un candide et les représentants du monde cruel dans lequel il vit. Le premier tome, tout en faisant la part belle aux poursuites, avance déjà quelques pions dans la description du cynisme ambiant.

Arche_31012003

Au dessin, Vincent Mallié décrit un monde futuriste où s’opère un autre contraste, celui des personnages, très humains et très vivants, et de leur milieu urbain, au contraire fait d’angles, de lignes droites et de surfaces lisses. L’ensemble est très fouillé et assez agréable, notamment grâce aux couleurs de Delphine Rieu, qui ose des collisions chromatiques plus poussées que dans Les Aquanautes.

Jim

Dans le deuxième tome, le jeune Emilio comprend que ses mensonges ne vont pas le mener bien loin. En effet, il a fait croire à sa dulcinée qu’il était poursuivi par des hommes en noir parce qu’il aurait découvert que des entités générées par Internet allaient conquérir l’humanité et que la société Cadillac dissimulait ce secret, dont elle était complice. Tenté à plusieurs reprises de tout avouer à sa belle, il ne sait pas encore qu’il n’a pas mis si loin de la cible…

arche02_21102003

En effet, l’astuce de la trilogie L’Arche, c’est, pour paraphraser une phrase célèbre souvent attribuée à Churchill, d’avoir enveloppé un mystère dans une énigme cachée dans un secret. Le scénariste, Jérôme Félix, parvient à éplucher son intrigue comme un oignon, dévoilant à chaque nouvelle couche une réalité différente. Et dans ce second tome, la sale petite affaire de Cadillac s’inscrit dans la tradition cyberpunk, à savoir que la société de technologie de pointe aurait fabriqué une première génération d’implants neuraux, défectueux, testés sur des mineurs spatiaux qui seraient tous morts. Sauf que le corps retrouvé dans le premier tome appartiendrait à l’un de ces infortunés, et sa découverte remettrait en cause le monopole de la société, et provoquerait une instabilité à la fois boursière et politique, menace qui justifie que Cadillac envoie des tueurs nettoyer tout le bazar. Bien entendu, la réalité, pour continuer le jeu des paraphrase, est ailleurs…

arche02p

Le monde que décrivent Félix et Mallié, celui d’une société cyberpunk futuriste ultra-libérale, est classique mais solide. La description de la société Cadillac, parangon de l’entreprise supra-nationale qui s’émancipe des lois des pays afin de devenir un État à part entière, est ingénieuse. Et surtout, le scénariste évite de présenter des personnages qui s’en étonnent, prenant soin de bien montrer que, pour les gens de l’époque, c’est un fait acquis, qu’être citoyen de Cadillac est autant un honneur qu’un privilège (déclinaison d’un thème fréquent dans la littérature cyberpunk, le fossé entre classes sociales).

Au dessin, Mallié s’éclate à donner à ses personnages des mimiques et des attitudes très « slapstick ». La scène dans le bar, qui joue sur des ressorts vaudevillesques (confusions, méprises, portes qui claquent…) est assez hilarante. Pour l’anecdote, l’établissement s’appelle le « Bunny’s Bar », du même nom que la boîte dans laquelle Jeff tient son rendez-vous, dans le deuxième tome de Hong Kong Triad, de Parnotte et Mallié.

Jim

Le troisième et dernier tome de la série apporte une conclusion surprenante à l’intrigue. Effectivement, si tout tourne autour des implants neuraux commercialisés par Cadillac (suscitant un tel succès que l’entreprise peut devenir indépendante et se constituer en État), le voile est levé sur les circonstances qui ont conduit cette société à déposer des brevets novateurs : en fait, il s’agit d’une technologie extraterrestre.

arche03v_46335

À ce moment, l’histoire bascule, et l’expression « sauver le monde » prend alors une dimension toute nouvelle. Le mensonge d’Emilio est éventé, à l’image des différentes dissimulations entretenues par tous les autres personnages, y compris Pad, l’enquêteur disposant du CD-Rom qui contient la clé du récit. Les différents éléments posés par Jérôme Félix au fil des tomes précédents, et apparemment disparates, prennent une nouvelle signification dans son plan d’ensemble, et conduisent certains personnages à agir, parfois contre leur nature. L’ironie voulant que, si le monde est sauvé à la fin, c’est par l’entremise de sentiments négatifs, tels que la colère, la jalousie ou le désir de vengeance.

arche03p

Vincent Mallié maintient la qualité, consacrant de nombreuses cases à l’expression de la solitude et de la tristesse. Ses décors sont riches et ses personnages particulièrement vivants.

Jim

La série aura droit à une intégrale chez Soleil en 2007.

Couv_65463

Signalons de plus que la série profite désormais d’une réédition chez Vents d’Ouest, en 2011, sans doute afin de mettre en avant l’une des prestations du dessinateur du Grand Mort.

134685_c

137344_c

142116_c

Jim

On ne le sait pas beaucoup, mais Jérôme Félix dessine aussi.
En fait, il a commencé comme dessinateur, dans différents fanzines, parmi lesquels une publication intitulée Kamasutra-Cocaïne, à laquelle votre serviteur a eu l’honneur de participer (et avant cela, je l’ai connu alors qu’il bossait dans un mag amateur titré, de mémoire, The Pecno’s Productions, quelque chose comme ça).
Et il lui arrive encore de dédicacer quelques albums. Un peu comme moi, Jérôme n’a jamais travaillé son trait, préférant écrire pour les autres, mais il a encore une patte sympathique, et visiblement, certains internautes pensent comme moi.

felix-arche-2l

felix-arche-2k

Jim

Bah oui, dis donc !

Récemment, il m’a signé un exemplaire de son adaptation de L’Aiguille creuse, et le lascar l’a fait sans crayonné.

Jim

Jaloux !

Un peu aussi.

Jim