LE CASSE t.1-6 (Christophe Bec, Henri Meunier, David Chauvel, Fred Duval, Luca Blengino, Herik Hanna / Dylan Teague, Richard Guérineau, Denys, Christophe Quet, Antonio Sarchione, Trevor Hairsine)

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Dans cette série d’one-shots thématiques, dont l’axe narratif est de décrire un braquage (souvent de nature inattendue), j’avais été un peu échaudé par le premier tome, écrit par Christophe Bec. Du coup, je n’avais pas jeté de regard sur les suivants. Et puis, récemment, j’en ai trouvé deux, et j’y suis allé, le premier pour le sujet qui me semblait saugrenu, le second pour le scénariste.

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La Grande escroquerie (référence explicite à The Great Rock ‹ n › Roll Swindle, la bande originale du film homonyme de Julian Temple où s’illustrent les Sex Pistols, entre autres) se déroule en 1977, alors que les Sex Pistols s’apprêtent à donner un concert sur la Tamise au moment d’une cérémonie royale. Le récit nous donne à suivre différents personnages (un policier qui a mal au dos, un jeune drogué qui doit de l’argent, un voyou qui joue les guetteurs pour la mafia, un flic français qui traque la « French Connection »…). Le récit avance toutes ces trames en parallèle, s’offrant le luxe de quelques retours en arrière afin de bien montrer au lecteur que les choses sont encore plus foutraques et compliquées que l’on peut le croire. L’ensemble s’articule autour de destins croisés, et les liens entre les différents personnages sont révélés au fur et à mesure. Dans une logique non linéaire (et assez punk), le flux de l’histoire est parfois interrompu par une case qui fait office de commentaire. C’est plutôt astucieux, et la dernière planche vient expliquer que le véritable braquage n’est, là non plus, pas celui qu’on croit.

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Au dessin, on retrouve Christophe Quet, que les lecteurs du label « Série B » connaissent pour avoir illustré Travis. Sur cet album, il adopte un encrage plus sec, plus brouillon, plus cassant, qui donne une impression de premier jet, et ne serait pas loin d’évoquer un Bachalo première période, ou certains illustrateurs de Hellblazer, le tout dans une ambiance vaguement Vertigo qui n’est pas innocente, esprit british oblige.
Signalons qu’il ouvre chacune de ses planches par une case qui part à la coupe, et qu’il les numérote de chiffres qui évoquent tantôt des graffitis tantôt des collages propres aux pochettes des groupes de l’époque.

Jim

Ah bah tiens, tu viens de me donner envie pour cet album.

Cool, alors !

Jim

Non mais t’as vu les mots que tu as mis en gras. Comment veux-tu rester indifférent ?

J’ai déjà dit combien j’appréciais le travail du scénariste Luca Blengino. Je lui trouve plein de qualités, notamment un sens du rythme assez maîtrisé (ses albums n’ont jamais de fin précipitée ni de séquence trop longue), des dialogues naturels, une aisance dans les récits historiques (il me semble qu’il a fait des études d’histoires) aussi grande que dans les histoires de science-fiction (je conseille encore une fois sa série R.U.S.T.). Bref, en général, quand il fait un truc, je vais voir (mais je n’ai pas encore tout lu).

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Ici, dans le cadre de la série « Le Casse », il choisit comme décor la ruée vers l’or dans le Yukon à la fin du XIXe siècle. On suit deux escrocs, anciens associés (le séjour en prison du plus jeune ayant mis un terme à leur association), qui décident de traverser la frontière, de se rendre au Canada et d’escamoter la plus grosse pépite d’or jamais déterrée (on en entend parler au début et on la voit en milieu d’album, et effectivement, elle est GROSSE). Le temps presse car la loi canadienne impose que les filons sortis de terre par des Américains passent la frontière avant la fin de l’année, à défaut de quoi ils seront considérés comme une propriété canadienne. Or, l’action commence en septembre, il reste donc trois mois à nos deux compères pour rassembler une équipe et faire l’un des plus gros tours de passe-passe de l’histoire.

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L’album se décompose donc en plusieurs parties, dont la première est constituée d’un voyage aux allures de quête, les complices rencontrant de vieilles connaissances et mettant sur pied, petit à petit, leur braquage. Arrivés dans la ville de mineurs, ils sont confrontés à un ancien colonel qui était leur supérieur avant leur désertion, ce qui rajoute une couche personnelle à leur entreprise. Hélas pour eux, ils ne passent pas inaperçus, et doivent redoubler de prudence avant d’engager leur projet. Bien entendu, il y a anguille sous roche, trahison, alliances diverses… Jusqu’à la révélation finale du véritable braquage, qui occasionne une suite de révélations et de retournements de situation qui n’est pas sans rappeler l’avalanche de coups de théâtres à la fin de Quand les aigles attaquent.

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Les références cinématographiques sont multiples, d’ailleurs, et l’un des ressorts narratifs permettant le bon déroulement du braquage rappellera le prétexte de base de Et pour quelques dollars de plus. Blengino parvient à masquer avec astuces ces clins d’œil, notamment en situant son action dans un décor enneigé bien loin des sols arides privilégiés par Sergio Leone.

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Graphiquement, Antonio Sarchione assure comme un beau diable. Ses pages sont jolies, aérées, laissant la place aux décors majestueux, ses personnages sont plutôt agréables, bien équilibrés, expressifs et distincts, la gestuelle de ces derniers est naturelle et les scènes d’action plutôt convaincantes. J’avais déjà apprécié son style à l’occasion de l’album 7 Merveilles qu’il avait illustré (encore une série de Blengino dont je conseille la découverte, même si la partie graphique est inégale et si l’on sent parfois une certaine précipitation dans le lettrage). À l’occasion de ce Gold Rush, je trouve à son trait une parenté avec celui de l’Américain Tom Grummett, ce qui n’est pas pour me déplaire.

Jim

J’ai déjà manifesté mon goût pour les polars de Frédéric Chauvel. J’ai lu récemment Soul Man, qui s’inscrit dans la collection « Le Casse », et cela confirme mon impression général.

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L’album s’ouvre sur une séquence montrant une voiture traversant un désert, tandis qu’une voix off, qu’on n’a pas encore identifiée, raconte l’histoire d’une « cagnotte » de la mafia barbotée sous le nez de celle-ci sans qu’on sache comment. Le récit embraie ensuite sur l’arrivée d’un jeune prisonnier dans le pénitencier d’Attica, placé dans la cellule d’un des détenus les plus dangereux. La mécanique de l’intrigue consiste donc à savoir pourquoi il est arrivé à cet endroit, laissant supposer qu’il y a une raison cachée à sa présence en ces lieux.

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L’album aligne les fausses pistes, les plans cachés, dans une intrigue à tiroir dont la résolution accumule les retournements de situations (et les trahisons). Au point d’ailleurs que la couverture, qui semble énoncer certains rapports de force, ne fait que perdre le lecteur davantage.

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C’est brillamment construit, avec des ruptures abruptes mais pertinentes entre le présent et le passé. La construction des planches est à l’aune de l’ensemble, millimétrée (au pire pourra-t-on reprocher des calages de textes - lettrage manuel - qui auraient pu être meilleurs). Une petite merveille de mécanique.

Jim

Jim