LE MÉCANO DE LA "GENERAL" (Buster Keaton & Clyde Bruckman)

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REALISATEURS

Buster Keaton et Clyde Bruckman

SCENARISTES

Buster Keaton, Clyde Bruckman, Al Boasberg et Charles Henry Smith

DISTRIBUTION

Buster Keaton, Marion Mack, Glenn Cavender…

INFOS

Long métrage américain
Genre : aventures/comédie
Titre original : The General
Année de production : 1926

Le Mécano de la « General » (également écrit Le Mécano de la Générale sur certaines affiches et copies) est depuis longtemps considéré comme l’un des chef d’oeuvres de Buster Keaton et l’un des plus grands films américains de l’époque du muet. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Lors de sa sortie, peu de temps avant l’avènement du parlant, cette production, la plus coûteuse de Buster Keaton, fut un flop, véritable tournant dans la carrière de celui qu’on appelait « l’homme qui ne rit jamais ».

Entre 1917 et 1926, Buster Keaton a joué dans une quarantaine de films, courts et longs métrages, tout d’abord en tant que partenaire de Fatty Arbuckle, autre grande star de la comédie avant de devenir assez populaire pour occuper le haut de l’affiche. Sa spécialité était un style d’humour très physique (il faisait ses cascades lui-même et beaucoup étaient extrêmement risquées, ce qui lui a valu plusieurs passages par la case hôpital) joué avec cet air éternellement stoïque, la « Great Stone Face » comme disaient les américains. Comme Charlie Chaplin, Buster Keaton s’est vite mis à la réalisation et il enchaînait les tournages. Mais la réception négative du Mécano de la « General » a mis un frein à ses ambitions. À l’arrivée du parlant, Keaton a signé un contrat avec la MGM, une décision qu’il a qualifié de « pire erreur de sa carrière » car il perdit alors son indépendance, le studio limitant ses apports créatifs.

Le Mécano de la « General » est inspiré par un véritable fait survenu pendant la Guerre de Sécession, le Raid d’Andrews, le vol d’un train confédéré afin de perturber une importante voie de chemins de fer. Grand amateur de train, Buster Keaton y a vu l’occasion de mettre en scène une poursuite épique. Il interprète le rôle de Johnnie Gray, le mécano d’une locomotive appelée la « General », qui appartient à une compagnie de chemins de fer de l’Est américain. Il n’a que deux amours : son train et la belle Annabelle Lee.

Lorsque la Guerre éclate, Johnnie essaye de s’engager, mais il est refusé car il est trop important en tant que mécano. Suite à un quiproquo, Annabelle le prend pour un lâche et elle lui refuse son amour. Un peu plus tard, la General est volée par des espions alors qu’Annabelle était à son bord. Johnnie se lance alors à leur poursuite…

J’ai survolé quelques critiques d’époque et il ressort que le mélange des genres ne fut pas du goût de tout le monde, tout comme la décision de Keaton de tourner une comédie qui se déroule pendant la Guerre Civile. Pour ma part, je trouve que ces différents éléments fonctionnent bien ensemble. Les petites touches dramatiques ne sont pas pesantes et l’humour, s’il ne provoque pas forcément l’hilarité à chaque gag, joue sur un comique de situation savoureux et réglé à la perfection.

Le gros morceau de bravoure du Mécano de la « General » est la poursuite en locomotive. Une péripétie assez longue (et en deux temps) mais qui ne connaît pas de chutes de rythme grâce à une inventivité dans les situations qui tire bien parti des possibilités offerts par l’engin et par les décors naturels bien mis en valeur par Buster Keaton et son fidèle collaborateur Clyde Bruckman. Les cascades sont souvent étonnantes et le film ne manque pas de scènes spectaculaires, notamment dans le dernier acte qui propose quelques uns des plans les plus chers de l’histoire du muet. Des dépassements de budget qui ont précipité l’échec financier de l’oeuvre dont Keaton était le plus fier, le public n’ayant pas suivi. Soixante ans plus tard, Le Mécano de la « General » deviendra l’un des premiers films retenus pour figurer au National Film Registry pour son « importance culturelle, historique ou esthétique ».

J’adore ce film, incroyable tour de force dont on mesure mal l’importance, même rétrospectivement. Orson Welles disait par exemple qu’en tant que film sur la Guerre de sécession, c’était un film bien plus important et réussi que « Autant en emporte le vent ». Bel hommage…

La structure de la très longue séquence de poursuite, en deux temps et en aller-retour, est un modèle de pureté cinématographique, et un exploit en termes de mise en scène (les gags sont millimétrés comme c’est pas permis, c’était la grande force de Keaton).
Et quel interprète !!! On a souvent rapporté que c’est le passage au parlant qui avait « tué » Keaton, tant il était virtuose dans le registre « muet », mais ce sont plutôt les embrouilles de studio que tu évoques qui ont eu sa peau.
D’ailleurs, pour l’anecdote, le Clyde Bruckman qui est crédité à la co-réalisation est un simple homme de paille du studio désigné pour « surveiller » Keaton durant le tournage, mais il n’a concrètement rien fait : c’est bien Keaton qui est l’auteur total du film.

La partition que le japonais Joe Hisaishi (collaborateur régulier de Miyazaki et Kitano) avait signée pour le film il y a une quinzaine d’années est également une pure merveille.

Tout Keaton vaut le coup. c’était un très grand du muet. Chaplin le considérait comme un maitre, et ce n’est pas pour rien qu’il l’avait invité sur les Feux de la Rampe.

Les cascades de folie, l’inventivité dans le rythme… Je suis un grand fan.

Buster Keaton a eu plusieurs fois des co-réalisateurs crédités sur ses films et j’ai l’impression que beaucoup se sont demandés au fil des années quelle était l’importance du travail de ces collaborateurs. Mais « homme de paille » pour Bruckman, ça me semble un peu trop. Je pense que Keaton avait une équipe régulière (Bruckman est aussi crédité pour l’histoire de Sherlock Jr et La Croisière du Navigator) mais que le résultat final portait principalement sa marque.
C’est ce que ressort d’un extrait d’interview de Clyde Bruckman publié dans une étude de The General :

You seldom saw [Keaton’s] name in the story credits. But I can tell you - and so could Jean Havez if he were alive - that those wonderful stories were ninety percent Buster’s. I was often ashamed to take the money, much less the credit. I would say so. Bus would say, « Stick [Bruckman], I need a left fielder », but he never left you in the left field. We were all overpaid, from a creative point of view. Most of the direction was Keaton’s, as Eddie Cline will tell you. Keaton could have graduated into a top director […] if Hollywood hadn’t pushed him down and then said « look how Keaton had slipped ». Comedian, gagman, writer, director…then add technical innovator.[…]

Keaton était fidèle aussi. Il a engagé Clyde Bruckman sur sa série télé des années 50 quand ce dernier avait du mal à garder un travail (à cause de son alcoolisme qui lui a coûté sa carrière)…

Ah, tiens, intéressant, j’ignorais qu’ils avaient des rapports finalement cordiaux, à ce que tu rapportes là…
Bon, il est clair que Keaton était le principal géniteur des films portant sa signature, mais je pensais en outre qu’il voyait d’un très mauvais oeil la présence d’un Bruckman sur le plateau. Tu me détrompes, et c’est intéressant je trouve.