LE POUVOIR DES INNOCENTS t.1-5 (Luc Brunschwig / Laurent Hirn)

Onzième billet de Luc Brunschwig, posté le 3 juin 2024 sur le forum BDGest :

  1. LE SOURIRE DU CLOWN est sur le point de sortir et je veux que Laurent ait entre les mains le scénario du tome 1 des ENFANTS DE JESSICA. Alors, je me cale deux mois et je m’immerge totalement dans cette suite qui est aussi une nouvelle histoire, tout en préparant en parallèle le scénario de CAR L’ENFER EST ICI pour David (en n’oubliant pas que les deux histoires doivent se répondre). Pfuiiiii ! Chaud !
    Mais grand bonheur.
    Le découpage du premier tome des Enfants tombe facilement. S’en est même assez jouissif.
    Et puis, le dernier tome du Sourire du Clown sort et là, il se passe une chose qu’on n’avait pas prévue.
    L’accueil est loin, très loin, de l’enthousiasme et de l’excitation qui avait accompagné la sortie du dernier tome du Pouvoir. Ca nous blesse un peu.
    On a l’impression que les gens voulaient revivre quelque chose d’identique au Pouvoir des Innocents, et que le fait qu’on ait opté pour une fin heureuse (que certains prennent simplement pour un banal « happy end ») semble grandement les perturber (alors que, curieusement, le Sourire reste aujourd’hui un de mes albums clés).
    Quelque chose grippe la machine.
    Un petit grain de sable pour l’instant, mais qui va s’agglomérer à d’autres contrariétés.
    A l’époque, je suis directeur de collection chez Futuropolis, mais la maison veut revenir à une production plus raisonnée. Je propose donc qu’on supprime mon poste afin de laisser la place à ceux dont c’est l’unique métier.
    Mais, soyons honnête ça me fiche un coup (même si je ne m’en rends pas compte tout de suite). Être directeur de collection me permettait de donner leur chance à des gens dont j’avais vu le talent. C’était une espèce de super pouvoir génial qui m’autorisait à bouleverser des destins d’auteur en les publiant et d’offrir aux lecteurs des choses surprenantes, un peu décalées, qui n’auraient peut être pas vues le jour si je n’avais pas eu ce poste.
    Ca a été dur de ne plus pouvoir faire ça.
    A la même période, Dupuis m’annonce qu’ils vont arrêter MAKABI, qui devait être ma série phare, le coeur de mon activité, le personnage dont j’aurai aimé raconter le destin jusqu’à la fin de ma carrière. Je veux sauver ce personnage et je vais courir pendant des mois après un nouvel éditeur pour que LLOYD et sa famille ne disparaissent pas.
    Mais ce n’est pas tout. Je dois me lancer dans l’écriture du tome 3 et ultime de la Mémoire dans les Poches, sans me rendre compte que je vais aborder des sujets super lourds, comme mon histoire familiale mais surtout la mort de mon père. J’étais absent au moment de son décès et comme un andouille, je décide de profiter de ce tome 3 pour écrire ce moment que je n’ai pas vécu.
    Je me le prends pleine face. J’ai peur de ne pas être à la hauteur de ce qui doit être dit, et moi, qui arrive toujours plus ou moins à trouver le bon chemin dans mes histoires, je m’y perds complètement, hésitant sur le moindre détail, jusqu’au moment, où je ne sais plus du tout ce que je veux.
    Ca contamine tout mon travail. Impossible de trancher entre tous les possibles qui se dessinent devant moi. Chaque choix devient un enfer. Et mon cerveau devient une chambre des tortures où tout tourne en boucle sans que j’arrive à donner un terme à ces boucles.
    Pour couronner le tout, je suis à la fois sur Car l’Enfer et les Enfants. J’avais réussi quelque chose de définitif dans ma carrière avec le Pouvoir des Innocents.
    J’avais une série dont on pouvait dire qu’on était allé jusqu’au bout en rendant les gens heureux, mais non, comme un con, il a fallu que je prenne le risque d’égratigner tout ça.
    Je suis dans la confusion la plus totale. Des millions et des millions de chemins se dessinent devant moi et je ne sais pas lequel choisir. Les mois passent. Je n’arrive plus à écrire, mais je n’ose pas le dire à ma femme.
    Je perds le sommeil.
    Je sombre dans une dépression qui va durer deux ans et dont je ne me relèverais qu’en 2011, année de la sortie de 3 albums essentiels (Les Enfants de Jessica tome 1, Car l’enfer est Ici tome 1 et Urban tome 1).

Source : Enfants de Jessica (Pouvoir des Innocents) : Bande Dessinée Franco-Belge - Page 16

Jim