J’aurais tendance à dire que l’expression « indépendant » (independent) date de la fin des années 1970, et désigne les petites structures éditoriales qui fleurissent sur le marché des librairies spécialisées, et qui se distinguent des deux gros que sont Marvel et DC. En gros, ça désigne Eclipse Comics, fondé en 1978, Pacific Comics, en 1981, Capital Comics, en 1981 aussi…
Comme dit dans le paragraphe ci-dessus, les « Indépendants » (« Indies » en américain, « Indés » en français) sont souvent opposés aux deux mastodontes, comme si le marché n’était composé que par eux. Ce qui en soit est un peu faux, puisque Dell / Gold Key, quoique en perte de vitesse, continue ses activités à cette période. On peut citer aussi Harvey Comics, qui s’arrête en 1986, ou Archie Comics, qui continue encore de nos jours.
Donc en fait, ce qui distingue les « Indés », ce n’est pas seulement l’opposition aux deux gros, c’est surtout le réseau de distribution / diffusion. Là où Marvel et DC continuent de publier à travers les kiosques en cette fin de décennies, les jeunes concurrents misent sur le réseau de librairies spécialisées qui s’est développé durant les années 1970, à la fois autour des « underground comics » et autour de société de distribution qui font, entre autres, de l’import. Pacific et Capital, par exemple, ce sont à l’origine des sociétés qui distribuent des comics, américains ou étrangers, qui disposent donc d’un réseau de points de vente qu’ils alimentent, et qui se tournent vers l’édition sur le tard.
Un autre point important pour définir les « Indés », c’est de considérer que puisque ces sociétés naissent dans les années 1970 et sont distribuées en librairie et non en kiosque, elles ne sont pas soumises au Comics Code, dont elles ne sont pas signataires (ni partenaires), puisqu’elles sont apparues après. C’est à mon sens un détail important, expliqué dans un instant.
Donc, pour résumer, les « Indés », ça désigne les maisons d’édition qui naissent à la fin des années 1970 et au début des années 1980, à une époque où Marvel et DC deviennent majoritaires (d’où l’expression de « Majors », un peu disparue de nos jours), et qui ne sont pas soumises au Comics Code.
Ce dernier point est important parce qu’il permet de distinguer, par exemple, Eclipse et Pacific d’Atlas Seaboard, la société fondée en 1974 par Martin Goodman et son fils Chip quand le premier a vendu Marvel et quitté la direction. Les parutions de cette maison d’édition portaient le sceau du Comics Code, ce qui suffit pour moi à les distinguer des autres « Indés ».
Si l’on remonte plus loin, par exemple aux années 1960, on quitte le schéma des deux « Majors ». Jusqu’en 1965, en gros, Dell était le premier ou le deuxième éditeur de comics, notamment avec les succès qu’étaient Tarzan ou Magnus. Marvel n’était de toute façon que troisième dans le meilleur des cas, et on ne pouvait pas dire du marché qu’il était dominé par deux structures. Donc il était impossible de définir les « Indies » en opposition aux « Majors ». Et ce raisonnement est applicable à toute la période précédente, jusqu’aux années 1930.
Reste le souci des « Underground ». Ils pourraient correspondre aux « Indies », mais ils paraissent à partir de la seconde moitié des années 1960, quand la situation de « monopole à deux » décrite plus haut n’est pas encore installée. Donc ça ne correspond pas. Deuxième détail, ce sont bien souvent des tirages modestes (mais pas toujours), auto-édités et/ou associatifs, et distribués dans les « head shops », des boutiques où l’on pouvait trouver des disques, des posters, de la marijuana. Personnellement, je considère que le réseau des « head shops » est un peu l’ancêtre du réseau des librairies spécialisées (même si c’est sujet à discussion, ne serait-ce que par l’implantation : les « head shops » étaient plutôt à l’ouest, en Californie, là où les comic shops ont finalement essaimé partout), donc on peut voir dans la diffusion des « Underground » une sorte de crash-test de celle des « Indies ».
Dernière grosse distinction entre les « Indies » et les « Underground », c’est que les premiers cherchaient à faire, grosso modo, ce que les « Majors » faisaient, à savoir de l’aventure grand public, là où les seconds voulaient explorer des thématiques interdites notamment par les règles du Comics Code (le sexe, la drogue…). Chez les « Underground », il y a une volonté de parodie, de pastiche, de provocation voire de militantisme que tu ne retrouves pas chez les « Indies ».
Jim