LE ROI DU MONDE t.1-2 (François Corteggiani / Dominique Cèbe)

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Surfant sur l’air du temps mais aussi sur le succès du premier roman mettant en scène Robert Langdon (le Da Vinci Code confirmant l’engouement en 2003), la collection « Loge Noire » de Glénat se propose dès 2002 d’explorer l’imaginaire ésotérique et complotiste qui reprend de la vigueur après le 11 septembre. Le label connaîtra un grand triomphe, Le Triangle secret (qui générera des déclinaisons), mais contient quelques pépites.
C’est le cas du Roi du monde.

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Ce diptyque est écrit par François Corteggiani, baroudeur de la bande dessinée depuis les années 1970, scénariste et dessinateur touchant à tous les genres, et illustré par Dominique Cèbe (identifié en tant que « Cébé » sur la couverture du premier tome. Et l’astuce du scénario consiste à proposer un univers occulte totalement accessible.

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En effet, on suit Bastien Larkos, un professeur de Sorbonne enseignant les lieux imaginaires (dans le cadre d’un cours de sémiologie ou de littérature comparée, ce n’est pas précisé). Il est l’ami d’un libraire spécialisé en ouvrages rares, à qui il confie ses recherches et ses rencontres autour d’un café dans l’arrière-salle de sa boutique. Tremplin idéal pour le lecteur, puisque tout ceci donne la sensation que l’univers ésotérique est à portée de main, pour peu que l’on pousse la porte du magasin.

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Dans le cadre d’une collection ésotérique, Corteggiani fait feu de tout bois. Il convoque les thèmes classiques (initiés, Agartha, terre creuse, cités perdues, livres maudits, immortalité, personnages fictifs néanmoins réels, golems, et bien entendu une intrigue qui s’étire sur plusieurs générations voire plusieurs siècles…), multiplie les références et les clins d’œil afin d’ajouter des couches aux couches, et donc de brouiller des pistes, en poussant très loin l’adage voulant que « tout soit dans tout et inversement ». Plus qu’à Dan Brown, on pense au Pendule de Foucault, d’Umberto Eco, et son atmosphère d’abord ludique où des personnages issus du milieu de l’édition glissent lentement vers la terreur.

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Là où Le Roi du monde est doublement inscrit dans les pas d’Eco, c’est que Bastien, son ami et les autres personnages (alliés ou non) se lancent à la poursuite d’un livre, mais pas un grimoire maudit ou un livre qui rend fou : non, ils cherchent une BD (un peu comme le héros de la Mystérieuse flamme de la reine Loana). Et pas n’importe laquelle, ils cherchent le douzième tome des aventures de Marko le Petit Prince.
Les épisodes précédent font écho aux mésaventures de Bastien, le parcours du prince et du prof s’avérant parallèle. Cette bande dessinée (dans la bande dessinée) est une clé. Cèbe, en reproduisant des extraits de la série, s’ingénie à dessiner à la manière de Devi. Car, oui, Marko est un reflet de Mirko le Petit Duc, héros du dessinateur italien Devi, que les lecteurs des pockets Semic connaissent bien.

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Et là, le récit prend une dimension nouvelle, en jouant sur les codes du support, sur les références culturelles et sur la profondeur de champ (qui est le héros, qui est fictif, où est la réalité ?). C’est aussi une sorte de roman à clé, dans le sens où le destin de certains personnages du récit fait écho à celui de protagonistes réelles : Antonio d’Aquila, le dessinateur de Marko, disparaît à un moment, comme Antonio De Vita, créateur de Mirko, l’a fait dans la vie réelle. Enfin, c’est en plus un vigoureux hommage à une bande dessinée populaire aujourd’hui un peu oubliée (Devi a fait l’objet de recherches et d’un ouvrage de Jean-Yves Guerre qui a permis d’exhumer cet auteur prolifique), certains personnages portant le nom de dessinateurs ayant œuvré dans des supports tels que Pif.

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Rajoutons à cela une narration performante, dans laquelle présent, passé, événements rapportés ou extraits de BD composent un tout parfaitement limpide malgré un grand nombre de transitions d’une scène à l’autre. C’est parfaitement maîtrisé, et Cèbe prête son trait influencé par la ligne claire à cette aventure trop tôt écourtée. En effet, la dernière case annonce un troisième tome. Mais ce premier cycle en deux volumes se lit très bien tout seul, et constitue un tout cohérent.

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Ah, et puis, le premier tome fait partie de ces albums dans lequel l’humble signataire de ces lignes apparaît. Tel Stan Lee ou Hitchcock, ou plus modestement Philippe Castelli dans les films de Bébel, il m’arrive d’apparaître au détour d’une case dans les bouquins des copains. Et là, pour une fois, j’ai droit à quelques courtes lignes de dialogues. À vous de me repérer. C’est facile, on dit mon nom, à un moment.

Jim

C’est malin : Tu as attiré mon attention sur ce titre, mais il est en arrêt de commercialisation depuis un moment… Il va falloir que je trouve ça d’occasion, maintenant ! ~___^

Ça le définit bien, ça. Il manque l’adjectif prolifique, aussi.
Il est même ami avec Gô Nagai (et depuis plus de trente-cinq ans), qu’il a rencontré grâce à Tezuka.

Un sacré bonhomme, ce Corteggiani.

Tori.

C’est ça qui est drôle et rigolo !
Y a un défi, là, maintenant !

Et c’est très bien fait, dis donc…

J’avais acheté le premier à sa sortie (y a encore le prix dessus). Le second, je sais pas, pas d’étiquette. Mais pas de marque au crayon sur la première page non plus, donc je ne l’ai peut-être pas acheté sur les quais. Sachant que ce sont deux potes aux commandes, je pense que je l’ai aussi acheté en librairie.

On s’y tromperait, hein ?
Bon, la planche avec le dinosaure, je me demande si ce n’est pas, tout simplement, un « sample », comme dirait Reed Man. Mais qu’importe, la distance demeure suffisante avec le matos d’origine, et le doute (copie ou hommage ?) renforce l’aspect référentiel, je trouve.

Jim

Mon idée, c’est de discuter de la richesse du franco-belge au gré de mes lectures, et parler de petits trucs passés (peut-être) sous le radar, c’est encore plus intéressant.

C’est peut-être un truc qui risque de se reproduire : j’ai pas mal de bouquins chez moi que j’ai lus il y a longtemps et dont je garde un souvenir flou, ou alors que je n’ai pas lus du tout. Et s’ils sont un peu vieux, ils ne sont peut-être plus commercialisés.
Mais qu’importe : les bouquinistes, les vide-greniers ou les sites internet sont autant de sources possibles pour se les procurer. Et si je donne envie à des lecteurs potentiels de les trouver, c’est cool. Partager un plaisir de lecture, c’est toujours agréable.

Jim

Oh, mais je râlais pour le principe… Avec Corteggiani sur la couverture, je me serais de toute façon intéressé à ce titre si j’étais tombé dessus… Mais maintenant, je vais le chercher, en plus !

Tori.
PS : saleté de correcteur automatique qui remplace « râlais » par « t’aimais » ! O____o

Et je ne l’ai pas pris comme tel. D’autant que ça fait toujours plaisir, ce genre de réactions.
Mais c’est clair que ma manière d’animer cette section se prêtera à des discussions du même type.

Lapsus révélateur de sa part.

Jim