LE TUEUR t.1-13 (Matz / Luc Jacamon)

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Je n’ai jamais été très fan du Tueur, de Matz et Jacamon. Je crois que cela tient à la gestion de la voix off. C’est le pari de la série, l’astuce stylistique qui fait son identité, mais justement, je trouve l’ensemble assez contreproductif.

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Le premier tome tourne autour d’un nouveau contrat de ce personnage qui nous est présenté comme un professionnel froid et calculateur. Or, si les premières pages nous permettent de palper l’agacement qui le saisit à rester dans sa planque pendant des jours, la voix off, très tôt dans l’album, nous assène des considérations générales (relevant de ce que j’appelle de la philosophie de comptoir) sur l’horreur, la violence, la capacité au mal, mobilisant carrément le spectre de l’Allemagne nazie. On ne connaît même pas ce personnage qu’il joue déjà les donneurs de leçons.

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Cela crée un équilibre très étrange dans l’économie du récit. La voix off insiste (avec lourdeur selon moi), sur le fait que le personnage n’a qu’une seule motivation, l’argent, et ne s’implique jamais dans quelque choix moral que ce soit. C’est fait avec tant d’insistance que cela cesse très vite d’être crédible. De la même manière, on a droit au portrait d’un homme méticuleux et calme, mais dans la structure même du récit, on a droit déjà à la description de la mission qui a mal tourné dans le passé : si on ajoute à celle-ci le souvenir de son premier contrat, qui dérape dans la violence, et le déroulement de la mission en cours, qui tourne au massacre, on a donc le portrait d’un gars instable, aux antipodes de ce qu’on veut nous faire croire. Sauf que cette opposition n’est pas construite sur des contrastes volontaires et affichés, et arrive de toute façon trop tôt dans la série. Là encore, on le connaît à peine, on nous dit qu’il est stable mais on nous le montre instable, il est donc trop tôt pour que le lecteur soit en mesure de déterminer s’il s’agit d’un jeu narratif sur le point de vue (le personnage se voyant plus solide qu’il n’est) ou simplement d’une maladresse.

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Cette voix off, ainsi que son lettrage (taille, densité et disposition) est pour beaucoup dans le sentiment mitigé qui peut s’emparer du lecteur. L’album se lit très vite, signe qu’il n’est pas dense, même si chaque bulle est envahie de considérations introspectives. J’ai pour ma part l’intégrale dans la collection « Haute densité », et le lettrage me semble déjà gros : je n’ose imaginer ce que c’est au format normal. Donc d’une part, selon moi, le lettrage est trop gros. D’autre part, il est mal réparti dans la planche, en ce sens qu’il est disposé en gros blocs épais, certains auraient gagné à être découpés en plus petits rectangles, un peu à la manière d’un Frank Miller ou d’un Brian Bendis, afin de créer un flux de pensée (et des lignes de lecture visuelles). De même, certaines cases auraient gagné à être muettes, afin de matérialiser la solitude du tueur, et de là ses moments de doute.

Enfin, je crois que l’album aurait gagné à être plus dense en textes. Des textes qui, au lieu d’énumérer les génocides de l’histoire humaine en guise de justification maladroite du personnage, auraient pu servir à nous faire visiter ce que Smolderen baptisait (à propos de Miller), la « boîte noire des héros ».

Jim

Le deuxième tome continue sur la lancée du premier, mais en proposant un équilibre plus convaincant des ingrédients.

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Épuisé par son dernier contrat, le tueur s’est mis au vert au Vénézuéla. Mais il est pris en filature par un flic français. Après avoir réglé son compte à ce dernier, il revient à Paris où il interroge son associé et notaire, qui lui trouve ses contrats et gère son argent. Le tueur va bientôt récupérer son argent, mais il doit d’abord s’acquitter d’un dernier service. Jusqu’à ce qu’il découvre qu’on l’a doublé…

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La voix se fait moins présente, les scènes dialoguées sont plus nombreuses, et assez fluides, et les considérations générales cèdent un peu la place à l’expression des doutes intérieurs. L’ensemble est plus fluide et ne reproduit pas les maladresses du premier tome.

Jim

Débarrassé du policier qui le suivait, et du notaire qui l’avait balancé, le tueur commence à découvrir que le contrat qui l’avait tant fait patienter au début du premier tome n’est pas sans conséquences, puisqu’il se retrouve à devoir rembourser une dette auprès « d’hommes d’affaires » colombiens.

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L’album est construit autour des rencontres et négociations entre le personnage principal et ses nouveaux clients. Ce qui est plutôt pour le mieux en termes de rythme, puisque le récit tourne beaucoup autour des dialogues. La voix off est réservée aux réflexions du tueur qui se retrouve dans une situation nouvelle. L’écriture semble donc ici avoir trouvé son équilibre, un équilibre plus convaincant qu’à ses débuts.

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Jacamon demeure fidèle à lui-même : les cases sont fonctionnelles, aérées, peu nombreuses, ce qui contribue à une lecture rapide, peut-être un peu trop rapide.

Jim

Dans la foulée du précédent, le quatrième tome fait un léger saut dans le temps. Le tueur doit gérer une situation tendue alors que sa maison a été incendiée et que sa compagne a été blessée. Il se retrouve donc à Paris, dans un appartement qu’il a acheté en cachette de son notaire (preuve qu’il ne lui faisait pas confiance, mais que Matz avance également des pions nouveaux en changeant un peu la donne), et dans lequel il soigne la jeune femme.

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Dans le même temps, il fait la connaissance d’un voisin, qui s’avère être policier, et il est retrouvé par Mariano, le « filleul » du mafieux colombien pour lequel il travaillait jusque-là. Ce dernier a identifié les incendiaires, mais il a également retracé le parcours de trois riches bourgeois français mêlés à un trafic de drogue, ce qui éclaire d’un jour nouveau la première mission à laquelle on a pu assister, dans le premier tome. Mariano propose au tueur de se venger, puis mène une opération qui tourne mal. Visuellement, les deux séquences de violence, gérées en double pages bordéliques, ne me semblent pas fonctionner, justement à cause de l’aspect chaotique du dessin. C’est certes destiné à restituer l’aspect frénétique et incontrôlable des séquences, mais le résultat confine à la bouillie visuelle.

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Question scénario, Matz place son personnage dans une situation qui contredit ce qui a été affirmé précédemment, puisque le tueur se retrouve entouré d’un aréopage de compagnons aux motivations diverses. La voix off est repoussée dans un coin, les dialogues l’emportent, ce qui donne beaucoup plus de présence aux personnages.

Jim

Le cinquième tome, qui conclut le premier cycle, affiche une identité assez intéressante. Le récit s’ouvre sur l’une des considérations existentielles dont la série a le secret (et qui, personnellement, me lassent). Mais par la suite, tout cela s’articule d’une manière intéressante.

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D’une part, les propos intérieurs du personnage, dans cette ouverture, trouvent un écho dans la suite de l’intrigue, ce qui fait sauter l’aspect de paroles gratuites qu’ils avaient jusque-là. D’autre part, la construction même du récit, qui alterne plusieurs moments (entre l’interrogatoire et les séquences qui l’entourent), promeut une narration éclatée d’excellente facture.

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Alors certes, l’album se clôt sur un énième flot de considérations philosophiques envahissantes, mais la lecture en demeure tout de même agréable. Ce qui me semble un exploit pour une série dont le premier tome m’a toujours paru rebutant.

Jim

Le Tueur: Cycle 1 - intégrale - Nouvelle édition

Le Tueur est l’autobiographie d’un tueur professionnel. Un homme solitaire et froid, méthodique et consciencieux, qui ne s’embarrasse pas de scrupules ni de regrets. Alors qu’il guette sa prochaine victime, nous partageons ses pensées, nous apprenons à le connaître, nous découvrons sa vie à travers de nombreux flash-back. Plus l’attente dure et plus il s’énerve, il nous entraîne dans des abîmes de violence, jusqu’à l’explosion finale. Mais les cartes seraient-elles truquées ? Gare aux éclaboussures… Les cinq premiers tomes de la série dans une magnifique intégrale. Cette intégrale comprend : Long feu, L’Engrenage, La Dette, Les Liens du sang, La Mort dans l’âme.

  • Éditeur ‏ : ‎ CASTERMAN (6 octobre 2023)
  • Langue ‏ : ‎ Français
  • Relié ‏ : ‎ 304 pages
  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2203249420
  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2203249424
  • Poids de l’article ‏ : ‎ 875 g
  • Dimensions ‏ : ‎ 18.4 x 2 x 26 cm
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C’est vraiment, parmi les différents trucs de Matz que j’ai lus, celui qui me tombe des mains. Je ne suis pas client non plus du dessin froid et inexpressif de Jacamon, même s’il me semble qu’il est en adéquation avec le propos.
Au point que je n’ai jamais tenté leur série de SF.

Jim