LEELA ET KRISHNA t.1-2 (Georges & Layla Bess)

Discutez de Leela et Krishna

Les deux tomes de Leela et Krishna sont sur mes étagères depuis plus d’une vingtaine d’années, et je m’aperçois que je ne les ai jamais lus. Parcourus, feuilletés, admirés, certes, car c’est très beau. Mais pas lus. Sans doute par méfiance de trouver un conte aux relents jodorowskiens.

Je viens de lire le premier, et la surprise est des plus agréables. Tout commence avec un décor paradisiaque, une côte de palmiers au-dessus de laquelle planent des mouettes. Puis des vaches apparaissent : on n’est ni en Californie, ni en Corse.

Et effectivement, une voix off nous précise où nous sommes, nous plante le décor. Sauf que le décor vient d’être planté et que la voix est un peu décalée. Et très vite, on comprend qu’il s’agit de l’auteur, qui discute avec sa compagne et qui lui raconte son projet de récit. Un récit qu’il semble improviser au fil de l’eau, piochant son inspiration en croisant des gens du cru dans la rue. Petit à petit, les deux marcheurs découvrent le conte qui prend forme, l’homme en racontant les prochaines péripéties et la femme en commentant de manière ironique, critique et parfois cruelle le déroulement de l’action.

Leela et Krishna est donc à la fois un conte, le récit d’un conte et une réflexion enjouée sur les affres de la création, le mystérieux travail du conteur. C’est marrant, décalé, à tiroir, on pense notamment à la première fin évoquée, que la compagne du créateur trouve expédiée et violente, et qui est reléguée au rang de scène de rêve. Le dessin de Bess, magnifique, sans couleurs, au trait, est parfaitement maîtrisé, et il convient parfaitement aux moments où le récit cherche des éléments : par exemple quand il s’agit de définir l’allure du méchant.

Lecture étonnante, commentaire métacritique, ce premier tome de Leela & Krishna apporte son lot de sourire, en plus d’être une démonstration de force graphique.

Jim

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Je vois que j’ai encore de la marge.

Oh oui.
Et je te parle pas des romans.

Jim

Ouais, alors là, j’avoue que je suis pas mal aussi. Pas en nombre, mais en durée.

Le deuxième tome continue sur la lancée. Avec son lot de décalage dû à sa dimension méta : la « deuxième partie » a été montrée à la fin du tome 1, donc l’amorce du second est qualifiée de fin d’entracte, et les deux marcheurs continuent à commenter le récit tout en tâtonnant dans son exploration.

L’effet de surprise n’étant plus là, la tonalité est différentes à plusieurs niveaux. Davantage de références au monde de la bande dessinée (le mot lui-même est prononcé), notamment à Tintin et à l’Oncle Paul, une insistance sur le rapport au lecteur (ici articulé autour de la représentation de la violence, là où le premier tome s’arrêtait sur la représentation de la sensualité)… Le récit met en vedette Goa, l’enfant à tête de cochon né des amours de Leela et Krishna (ça, c’est la version officielle), et les discussions au sein du couple de narrateur, qui continue sa balade en bord de plage, se penchent sur les « pouvoirs » et l’apparence du jeune homme.

C’est souvent amusant, ça creuse encore davantage le rapport entre le raconteur et sa création, il y a même un passage parodiant les délires jodorowskiens (et les pages consacrées aux critiques sont succulentes). Comme de juste, le récit se conclut sur une interrogation liée à la manière de choisir et de mettre en scène la fin. Ou les fins. Ou l’absence de fin. Le tout avec un clin d’œil visuel qui revient sur la manière dont la fiction envahit et nourrit la réalité.

Pour ce deuxième tome, l’éditeur, Carabas, a changé de papier. Il a choisi un papier brillant, qui rend bien entendu justice aux aplats noirs, plus profonds, là où le papier mat du premier tome apportait un peu de douceur au trait magnifique et à la richesse des planches.

Jim

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Tu sais donner envie.

Tori.

J’en suis le premier surpris. C’est la lecture du Lama Blanc qui m’a donné envie de me replonger dans ces deux tomes qui somnolaient chez moi depuis longtemps. Et je ne m’attendais pas à prendre autant de plaisir à cette lecture. C’est vraiment chouette. Bon, passé le postulat, on n’a guère de surprise, mais vraiment, il tient bien l’exercice sur la durée et se moque gentiment des différents acteurs du milieu : le lecteur, le critique, l’auteur… C’est bien, ouais.

Jim

L’éditeur et le libraire aussi ?

Ça serait une idée, tiens…

Jim

Ah ouais, ils sont protégés en fait !

Des privilégiés.

Jim

Bon plan possible : si vous avez un Noz du côté de chez vous, allez jeter un œil, car il y a du stock de Carabas, l’éditeur de Leela et Krishna. Dans le mien, pas mal d’exemplaires du tome 1, et quelques exemplaires du tome 2.

Jim

Arf …