Les deux tomes de Leela et Krishna sont sur mes étagères depuis plus d’une vingtaine d’années, et je m’aperçois que je ne les ai jamais lus. Parcourus, feuilletés, admirés, certes, car c’est très beau. Mais pas lus. Sans doute par méfiance de trouver un conte aux relents jodorowskiens.
Je viens de lire le premier, et la surprise est des plus agréables. Tout commence avec un décor paradisiaque, une côte de palmiers au-dessus de laquelle planent des mouettes. Puis des vaches apparaissent : on n’est ni en Californie, ni en Corse.
Et effectivement, une voix off nous précise où nous sommes, nous plante le décor. Sauf que le décor vient d’être planté et que la voix est un peu décalée. Et très vite, on comprend qu’il s’agit de l’auteur, qui discute avec sa compagne et qui lui raconte son projet de récit. Un récit qu’il semble improviser au fil de l’eau, piochant son inspiration en croisant des gens du cru dans la rue. Petit à petit, les deux marcheurs découvrent le conte qui prend forme, l’homme en racontant les prochaines péripéties et la femme en commentant de manière ironique, critique et parfois cruelle le déroulement de l’action.
Leela et Krishna est donc à la fois un conte, le récit d’un conte et une réflexion enjouée sur les affres de la création, le mystérieux travail du conteur. C’est marrant, décalé, à tiroir, on pense notamment à la première fin évoquée, que la compagne du créateur trouve expédiée et violente, et qui est reléguée au rang de scène de rêve. Le dessin de Bess, magnifique, sans couleurs, au trait, est parfaitement maîtrisé, et il convient parfaitement aux moments où le récit cherche des éléments : par exemple quand il s’agit de définir l’allure du méchant.
Lecture étonnante, commentaire métacritique, ce premier tome de Leela & Krishna apporte son lot de sourire, en plus d’être une démonstration de force graphique.
Jim