LETTRAGE : Crac ! Boum ! Hue !

Voilà

Quelques années avant (dans Judge Dredd Magazine) :

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Oouuh magnifique ça

Jim

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Jim

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Bruno Redondo pour Detective comics #1100:

Phil Hester & Eric Gapster:

Excellent.

Jim

Je fais une pause dans ma relecture de New X-Men 152 pour essayer de comprendre cette fin de run et vous partager cette page

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Frank Quitely !

Ha non pas ce passage là tiens
Ça c’est Silvestri sur l’arc de fin dans le futur « Here Comes Tomorrow »

Allez, comme promis. ça parle pas forcément « onomatopée », mais ça va lettrer, pendant 4 interviews datant de l’époque où je sévissais sur feu france-comics.com.
Publication dans leur jus !

On démarre par Eric Bufjens, le sympathique patron de feu les éditions Kymera

Interview Eric Bufkens
**> **
> Quand on est un petit éditeur, on doit un peu savoir tout faire. Après la traduction, Eric Bufkens a bien voulu nous parler du lettrage qu’il effectue depuis quelques albums chez Kymera.

Salut Eric. Je pense qu’il n’est plus nécessaire de te présenter à nos fidèles lecteurs. Pourquoi as-tu souhaité lettrer tes dernières parutions ?

Par nécessité.

Mon collègue n’ayant plus le temps, j’ai préféré faire le lettrage moi-même plutôt qu’il fasse une mise en place sommaire que j’aurais dû corriger de manière extensive.

As-tu fait une formation particulière pour savoir lettrer ?

Non, absolument pas.

Mais avant de m’y mettre j’avais quand même relu et corrigé quelques milliers de pages de BD et harcelé de pauvres lettreurs qui ne m’avaient rien fait pour que tout soit nickel.

En quoi consiste le lettrage ? Peux-tu décrire ce métier à nos lecteurs ?

Déjà en matière de traductions, la tâche du lettreur revient majoritairement à remplacer les textes originaux. C’est donc un travail différent de celui du lettreur américain qui lui décide de la forme des bulles, de leur placement, des effets, etc.

On est plus dans une logique de placer le texte de manière harmonieuse dans la bulle, se demander s’il vaut mieux couper un mot pour suivre la forme de la bulle ou pas, de mettre en gras ce qui doit l’être. Mais évidemment tout dépend de la BD, lettrer un épisode de Superman et lettrer un album de Chris Ware n’ont rien à voir. J’imagine que pour certains albums, on a encore recours au bon vieux lettrage manuel.

Le tout est de s’adapter au matériel original. Par exemple lorsque nous avons repris la publication de Strangers in Paradise, nous avons gardé un format identique à celui de l’éditeur précédent mais avons changé la police de lettrage. Nous voulions en utiliser une qui permette d’avoir du texte en minuscules lorsque les personnages murmurent. C’est du détail, mais cela permet de respecter le travail et les intentions de Terry Moore.

Et pour toi, le lettrage peut comprendre également la maquette du titre, les onomatopées ou du texte hors bulle situé au cœur les dessins ?

Oui bien sûr.

Mais là encore, quand on évolue dans l’adaptation de comics, les logos des titres existent déjà en général. Et les onomatopées passent généralement bien en français, elles ressemblent aux nôtres. Le problème n’est pas le même dès lors qu’il s’agit d’adapter un manga.

C’est le non-lecteur de manga qui pose la question : les codes sont si différents en japonais ?

Oui, ça n’a rien à voir.

Déjà la première question à se poser, c’est garde-t-on les onomatopées originales ? Si oui, ajoute-t-on leur traduction en petit à côté ? Lorsqu’il faut les remplacer, ça demande un énorme travail de nettoyage et de reconstruction des pages et le résultat n’est pas forcément du plus bel effet. Comme en plus les lecteurs de manga sont généralement pointilleux (j’imagine qu’on ne fait pas mieux avec les comics), il s’agit en plus de ne pas dénaturer l’œuvre originale, ça peut donc devenir un vrai casse-tête.

Ensuite il y a des choses totalement intraduisibles dans les onomatopées japonaises, ils ont une approche du son entièrement différente. Je me demande même s’il n’y en a pas une qui exprime le silence, d’ailleurs… Mais je ne suis pas expert en la matière non plus.

Quelle est ta méthode de travail ? Traditionnel ? Moderne ?

Je ne suis pas certain de ce que tu entends par là, mais j’ai l’habitude d’utiliser Quark XPress. Et bien sûr Photoshop quand il faut bidouiller des textes « spéciaux ».

Tu travailles donc totalement sur support informatique. Quels matériels utilises-tu pour lettrer ? Un simple ordinateur, une souris et un clavier suffisent ?

Oui, voilà.

Aujourd’hui les éditeurs US fournissent les planches sur support informatique. Oubliée l’époque pas si lointaine où il fallait scanner avec une qualité suffisante les planches, voire se débrouiller avec des films !

Comme en plus tous les imprimeurs travaillent à partir de PDF, un simple PC de bureau suffit, plus besoin de Mac.

Cela t’est déjà arrivé de travailler sur des films ? Comment cela se passe ?

Pas directement, mais dans une « vie antérieure » j’ai pu y assister.

Déjà il faut pouvoir les scanner, et si c’est de la couleur tu peux avoir des films séparés. Soit il faut passer par une entreprise spécialisée, soit tu y parviens avec un scanner basique. Suivant la taille des planches, tu dois peut-être t’y reprendre à plusieurs fois puis les reconstituer.

Si tu veux une bonne qualité de l’ouvrage, tu envoies en général les films à l’imprimeur pour qu’il les utilise. Tu fournis la maquette du livre, et l’imprimeur l’intègre aux films.

Bref c’est très compliqué !!! Heureusement l’informatique a simplifié tout cela.

Mais ça pose encore un problème aujourd’hui pour la réédition de matériel ancien qui n’existe que sous forme de films (quand ils n’ont pas été égarés). Il faut traiter tout ça pour le remettre en format digital plus facile à gérer.

Donc, si je comprends bien, même avec du vieux matériel, on ne revient pas à l’ancienne méthode. As-tu besoin parfois de retravailler les bulles ?

Là je te parlais de ce que j’ai pu entendre dire par des éditeurs US. Mais ils ont effectivement tout intérêt à digitaliser au maximum leur fond de bandes dessinées. Quand je vois qu’'IDW ressort les vieux Grimjack par exemple, je me dis qu’ils ont dû bien s’amuser. Next Men aussi n’existait que sur film quand Dark Horse gérait encore les droits.

Je pense que chez Delcourt on pourrait t’en dire plus à ce sujet, je crois bien que le problème s’est posé avec Savage Dragon.

Pour ta question, oui cela peut arriver, principalement lorsque tu as de l’image derrière le texte.

Par exemple si tu prends la page 48 de SiP 13, j’ai dû refaire la bulle « Enceinte ! » puisqu’il était impossible d’effacer le texte original en gardant le fond. Donc j’ai dû copier le bébé le plus complet que j’ai trouvé, effacer tout le contenu de la bulle, reconstituer un bébé entier à partir de celui que j’avais puis le coller en plusieurs exemplaires dans la bulle avant de mettre le texte.

Je t’avouerai, et j’ai un peu honte de dire ça, que j’aurais sûrement lu cette bulle sans me poser la moindre question sur le travail effectué par le lettreur !

Je prends ta remarque comme un compliment. Si tu t’étais posé des questions, c’est probablement que le boulot aurait été mal fait. Puisque tu n’as rien vu, j’en déduis que le résultat semble naturel.

Tu n’as jamais reçu des Américains des fichiers vectoriels avec les bulles séparées du dessin ?

Il me semble bien qu’on a eu ça une fois, mais je ne sais plus du tout de quoi il s’agissait. Peut-être bien 100 Girls.

Penses-tu que le fait de traduire ces bandes dessinées t’aide à les lettrer ? Ou inversement ?

Je pense que ça aide à rester réaliste quant à la longueur des textes. Il faut parfois faire des compromis entre ce qu’on aimerait écrire et les capacités de la bulle.

Lorsque j’ai travaillé sur une BD historique par exemple (ce n’était pas pour nous) qui sortait à la fois en français et en anglais, je me suis copieusement pris la tête avec des anglais (je ne me souviens plus exactement s’il s’agissait de traducteurs ou des historiens eux-mêmes) qui insistaient pour qu’on change tel ou tel texte et refusaient de comprendre que c’était impossible à faire entrer dans les bulles (dessinées par rapports aux dialogues originaux en français). C’est bien joli de faire des effets de style, mais si ça oblige à réduire la taille du texte par rapport aux autres bulles le résultat est ridicule.

As-tu déjà créé une police de caractère ? Parce que pour certains personnages, elles sont souvent différentes (Robot, Moyen-âge, …) quand même.

Non. Déjà parce que je ne saurais pas le faire. Ensuite avec toutes les polices disponibles aujourd’hui, on trouve généralement son bonheur.

Il nous est déjà arrivé de rajouter les accents sur une police US par contre.

Quel est ton avis de la mise en gras de certains mots dans les bulles ? Est-ce aussi important en français que cela l’est en anglais ?

Franchement c’est aussi une question que je me pose ! ^^

C’est devenu plus une question d’habitude qu’autre chose je crois. Est-il réellement utile de « guider » le lecteur vers les termes importants d’un dialogue, voilà une question qui me laisse assez perplexe. Ça me rappelle les musiques « du méchant » et « du gentil » dans les films et séries US, des fois que les spectateurs ne comprennent pas que le type masqué avec la machette c’est le méchant et la jeune fille qui court bêtement devant lui la gentille (qui va accessoirement mal finir). Mais bon, ça fait désormais partie des codes de la BD, ce qui n’oblige pas pour autant à les suivre aveuglément.

Dans la mesure où nous adaptons des œuvres anglo-saxonnes, nous suivons ce qu’a fait l’auteur original. Il semble normal de respecter son choix.

Vu que tu es à la fois l’éditeur et le lettreur, l’autocritique ne doit pas être simple. Travailles-tu avec un relecteur comme pour la traduction ? Si non, est-ce qu’il t’ait déjà arrivé de te désavouer, de refaire une planche ?

Non, en général c’est moi qui revois tout, ce qui, je l’admets, est le meilleur moyen de laisser passer des erreurs. On repère toujours mieux les erreurs des autres que les siennes.

J’essaie au maximum de bien placer les textes du départ. Ainsi il reste principalement des corrections de détail, mots à déplacer pour un résultat plus harmonieux ou bulles à décaler un peu, d’autant que ce qu’on voit à l’écran dans Xpress ne correspond jamais exactement à la page en PDF.

Tu dois donc visionner un album page par page PDF pour être sûr que tout colle à l’impression ?

Oui, mais de toute façon c’est la même chose si ce n’est pas moi qui fais le lettrage puisque je suis « l’editor ». Je vérifie et refais (ou fais refaire) les PDF ou sorties papier autant de fois que nécessaire, ce qui d’ailleurs empêche rarement que je trouve encore des choses à corriger sur le traceur fourni par l’imprimeur.

C’est pour ça que j’ai rarement envie de relire un ouvrage qu’on a édité puisque je le connais déjà par cœur (et qu’en plus ce serait l’occasion de voir toutes les pétouilles que j’ai pu laisser passer).

Est-ce qu’il y a des différences entre le lettrage pour un comic-book et celui pour un livre ?

Pour un roman, c’est purement de la mise en page.

Il suffit de copier le texte de chaque chapitre, et voilà. Puis vérifier que tout est là, qu’il n’y a pas des ponctuations qui se baladent en début de ligne, si on peut éviter certaines césures, etc.

Et par rapport à un artbook ?

Là c’est encore différent, il faut évidemment une adéquation entre le texte et l’image pour un résultat harmonieux.

Mais mon expérience en la matière est trop limitée pour que je puisse t’en dire plus. Le seul que nous ayons édité, c’est le tirage limité dédié à Ma Yi que nous avons fait pour le dernier festival d’Angoulême (avis aux amateurs, il en reste quelques-uns, à commander sur www.unebd.com) et qui contient très peu de texte.

Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans ce métier de lettreur ?

Hmm… Voilà une question étrange dans la mesure où on ne peut pas réellement dire que c’est mon métier. Comme pour beaucoup d’autres choses, j’y suis venu sur le tas (tiens, ça nous ramène à la traduction).

Mais là comme pour le reste, j’aime que ça soit bien fait. Si c’est pour mal faire, autant ne rien faire du tout ! J’ai vérifié tellement de textes et pages de BD que dès que je lis quelque chose (là je parle des publications des autres), je ne peux pas m’empêcher de tiquer à la moindre faute d’orthographe ou bulle qui aurait pu être mieux présentée.

Alors une autre question étrange : qu’est-ce que tu n’aimes pas dans le lettrage ?

De devoir parfois faire des compromis sur la traduction afin que le texte puisse entrer dans la bulle.

Ou alors il faut commencer à changer la taille de la police d’une bulle à l’autre, mais on ne s’en sort plus. Je le fais parfois lorsque la différence est infime mais nécessaire, sinon ça devient du n’importe quoi et le lecteur n’a plus de repères pour savoir si un personnage parle normalement ou murmure.

Qu’est-ce que tu trouves le plus facile à faire ?

Importer un chapitre de roman dans la maquette !

Plus sérieusement, ce n’est pas très compliqué de mettre du texte dans des bulles (je parle uniquement de l’aspect « technique », pas de la recherche de la police adéquate à faire en amont), ça demande juste du soin et de l’attention.

Et le plus difficile à faire ?

C’est un domaine qui ne me concerne pas, mais probablement le lettrage de manga lorsqu’il faut remplacer les onomatopées japonaises et « redessiner » en dessous. C’est fastidieux et difficile.

Quel est lettrage le plus compliqué que tu es eu à faire ?

Aucun, je te rappelle que je n’ai fait que quelques albums pour le moment.

Chaque album va plus ou moins vite selon le nombre de bulles et la quantité de textes en gras ou de changements de taille de la police.

Tu aurais pu rencontrer une vraie difficulté dans tes quelques albums. Quelles sont, à ton avis, les qualités requises pour être un bon lettreur ?

De la patience et le goût du détail.

Un certain sens de l’esthétique aussi (par exemple quiconque utilise encore la police Comics sans MS mérite d’être banni à tout jamais dans les limbes) et un bon niveau en graphisme numérique pour les lettrages les plus compliqués.

Tu sais que sur France-Comics, on a l’habitude de terminer nos interviews par une forme de tribune libre. Alors imagine des bulles sans texte et si tu veux rajouter quelque chose à ton témoignage, c’est le moment :
- Quelle question aurais-tu aimé que je te pose ?

La question à laquelle personne ne pense, je ne la connais donc pas.

- Quelle question aurais-tu aimé que je ne te pose pas ?

Quelle est la plus grosse bourde de lettrage que tu aies faite ?

- Et quelles auraient été les réponses ?

Aucune idée.

Ne pas relire tranquillement un livre une fois qu’il est imprimé me confère l’incroyable capacité de pouvoir nier totalement cette possibilité.

Comme ça, pas de remords ! Encore merci Eric pour ta participation et ta disponibilité.

Cool.
Merci.

Jim

Le style unique d’Ed Tourriol en interview (même en petite forme… quoique)

Interview Edmond Tourriol

Cet homme multi-casquette finira par avoir son lit dans la rubrique interview de France-Comics. Edmond Tourriol n’est pas qu’auteur-traducteur-chef d’entreprise : il est également depuis quelques temps lettreur pour ses propres productions, ainsi que pour la publication comics de Merluche Comics.

Salut Ed. Je pense qu’il n’est plus nécessaire de te présenter pour nos fidèles lecteurs. Comment t’es-tu retrouver à lettrer Dynamo 5 ?

J’ai toujours été frustré de ne pas lettrer moi-même les comics que je traduisais. J’ai traduit des centaines de comics mais je n’avais jamais pu en lettrer un seul. Jusqu’à présent, je lettrais surtout mes propres histoires (Zeitnot, Mix-Man, Neon, Urban Rivals…) et quelques fois celles des autres (comme récemment avec le Juge Bao aux éditions Fei)… mais jamais mes traductions. Thomas Rivière, le patron de Merluche, a eu la bonne idée d’accepter ma proposition de coupler le lettrage à la traduction. Je suis très content d’avoir pu essayer cette méthode qui était vraiment très pratique pour les questions de calibrage du texte.

Hormis cet avantage pour ton côté traducteur, qu’est-ce que cela change pour toi de lettrer tes traductions par rapport à tes propres créations ou celles de tes collègues français ?

Ce qui était super, par rapport à une traduction simple (où je ne gère pas le lettrage), c’est que je voyais le résultat en temps réel. La planche prenait vie en VF devant moi et je voyais d’autant mieux ce qui marchait ou pas. C’est une façon de m’approprier encore mieux les dialogues. C’est bien plus satisfaisant qu’une traduction où il se passe des mois entre le rendu de mon fichier et la sortie du bouquin en VF.

As-tu fait une formation particulière pour savoir lettrer ?

Oh, tu sais, à l’époque où j’ai commencé à lettrer mes premiers comics, pour les fanzines CLIMAX, à la fin des années 90, je ne crois pas qu’il y avait assez de boulot dans le milieu pour justifier une formation spécifique. Même aujourd’hui, d’ailleurs.

Ma formation, essentiellement, elle vient de l’observation de ce qui se fait et de ce qui marche. Je lis des BD de super-héros depuis tout petit, j’ai quasiment appris à lire dedans. D’ailleurs, globalement, les comics américains sont bien mieux lettrés que les BD franco-belges. Là-bas, il y a une vraie culture du lettrage. Le lettrage est au service de l’histoire. Au service de la narration, comme chaque étape de la création d’un comic book, y compris le dessin.

En France, trop souvent, c’est encore le côté purement esthétique qui prime. Les bulles vont là où le dessinateur veut bien les mettre, au détriment d’une narration plus efficace.

Le vrai métier de lettreur, c’est dans le bullage qu’il s’exprime. Avec un ordinateur, le premier stagiaire venu peut coller des textes dans une bulle en changeant la police. Mais créer une bulle, la mettre au bon endroit, l’enchaîner correctement avec les autres… ça, c’est une mission qui nécessite de l’expérience et une compréhension du médium.

Donc ma formation, elle s’est faite sur le tas. En admirant les travaux de types comme John Workman, Tom Orzechowski ou Chris Eliopoulos. Et de Richard Starkings aussi, bien sûr. Son ouvrage didactique sur le lettrage assisté par ordinateur m’a beaucoup appris sur la technique.

Justement puisque tu en parles : outre le bullage, en quoi consiste le lettrage ? Peux-tu décrire ce métier à nos lecteurs ?

Eh bien, en pas grand chose. Tu copies le texte et tu le colles dans la bulle.

Parfois, la bulle américaine est dégueu, genre le texte d’origine a été écrasé sur le fichier image. Il faut alors nettoyer les bulles dans un logiciel de retouche d’image, pour obtenir des bulles vides.

Une fois que la bulle est propre, tu cales un pavé de texte dedans, bien centré, avec une bonne police, et tu colles le texte correspondant.

Quand les Américains ont bien fait leur travail (c’est rare mais ça arrive), ils peuvent te fournir un fichier avec les textes sur des calques différents et la police qui va avec. Là, c’est facile, il faut juste coller le texte dans les pavés déjà en place. Les polices restent les mêmes, sauf si elles ne contiennent pas de caractères internationaux comme les « é » ou les « ô », par exemple.

Certains te diront que le travail du lettreur, c’est aussi de retoucher l’image pour traduire des panneaux genre un écriteau « interdit d’entrer » sur une porte. Je ne suis pas de cet avis. Quand on regarde une série TV, il n’y a pas d’effet spécial qui retouche les textes pour nous faire croire que ça se passe en France. En BD, ça devrait être pareil. Si ça doit être traduit, j’aime autant que ça soit en petit, en bas, soit sous la case, soit dans un petit pavé. Mais retoucher l’image, je trouve ça contre nature.

Parfois, il faut aussi retoucher les onomatopées. Là, au contraire, je suis pour. C’est plus dur mais ça se justifie si la prononciation française n’est pas la même qu’en anglais (c’est aussi un choix du traducteur mais si ce dernier opte pour une adaptation de l’onomatopée, le lettreur doit se démerder pour effectuer le boulot).

Pourtant, dans les images, il y a des fois des indices cachés dans les dessins (je pense à la série 52 chez DC ou à des histoires de Morrison). Toi qui considères pourtant que tout doit être traduit, tu penses qu’il ne faut pas retoucher ces « textes » ? Et si tu mets le texte ailleurs, tu perds tout le côté jeu de piste de l’auteur ? Cela ne devient pas aussi contre-nature ?

Là, tu parles d’un cas particulier. Je parlais d’une philosophie générale. J’imagine que dans 52, c’est nécessaire. Mais dans la plupart des cas, avons-nous vraiment besoin de la traduction d’un panneau « no smoking » ? Je ne crois pas.

Tu évoquais également la retouche des onomatopées. Dans ce cas, tu reprends le même format (couleur taille, police …) ?

En fait, je n’ai jamais eu à retoucher d’onomatopées. Soit je les crée moi-même (lettrage original), soit je les laisse en l’état (comics).

Est-ce que le lettrage peut comprendre également la maquette du titre ?

Je suppose qu’en général, la plupart des lettreurs savent utiliser les logiciels de mise en page. Personnellement, ça m’est arrivé de faire les deux, sur Dynamo 5, par exemple. Chez MAKMA, on fait souvent de la maquette. On ne court pas après parce qu’on n’est pas venu dans la BD pour ça mais s’il faut le faire, on sait le faire. Et on le fait.

Quelle est ta méthode de travail ? Traditionnel ? Moderne ?

Aujourd’hui, pour ce qui est des comics, quand le matos américain arrive en France, c’est un DVD ou un dossier compressé à récupérer sur un FTP (NdSoyouz : [File Transfer Protocol->File Transfer Protocol — Wikipédia]. L’époque des films est révolue et plus personne ne travaille à la main. Et quand bien même un artiste tenterait le coup, il serait obligé de scanner ses textes manuscrits pour les insérer dans les planches via son logiciel de retouche d’image. T’imagines le prix de revient ?

Les seuls à bosser encore à la main (et c’est de plus en plus rare), ce sont les bédéastes qui font tout eux-mêmes : les bulles et les textes dedans. Il doit en rester quelques un sur le marché franco-belge. Mais je dis ça au hasard, hein… si ça se trouve, c’est fini, ça aussi.

Quand je dois bosser sur du lettrage, il est 100% numérique dans sa réalisation.

Et quels matériels, logiciels, … utilises-tu pour lettrer ? Un simple ordinateur, une souris et un clavier suffisent ?

Un simple ordinateur, non. Il en faut un bon. Avec un grand écran, de préférence. Comme logiciel, le mieux, c’est Adobe Indesign. Certains éditeurs un peu old school bossent encore avec Quark Xpress. Et parfois, pour des raisons de matos écrasé, on est obligé d’intervenir avec Adobe Photoshop. Voilà, rien de bien extraordinaire. Sinon, pas besoin d’instruments de science-fiction : un clavier et une souris suffisent.

Mon ordi a planté la semaine dernière. Je suis obligé de lettrer une BD sur mon portable en attendant de dépanner le bouzin. Eh ben, je peux te dire que ça fait chier la bite de bosser comme ça.

Tu disais que tu lettrais tes propres créations. On sait également qu’Urban Rivals est traduit en plusieurs langues. Est-ce que cela change quelque chose pour toi de lettrer en espagnol ou en anglais ?

Héhé. En espagnol ou en anglais, non, pas grand chose. Je parle anglais donc je sais comment fonctionne la langue. Je ne parle pas espagnol mais je comprends à peu près ce que je dois faire pour qu’une bulle tienne la route. Idem pour l’allemand ou l’italien, par exemple. C’est surtout pour le russe que j’ai eu du mal ! Non seulement au niveau de l’alphabet mais au niveau des structures de phrases. Où couper une phrase ? Un mot ? C’était toujours un peu l’aventure…

Et comment travailles-tu avec les autres traducteurs d’Urban Rivals ?

Il y a plusieurs cas de figure.

La version anglaise est traduite en interne chez MAKMA par mon pote Jérôme Wicky. J’adore son travail parce qu’il ne se contente pas d’adapter mon texte de départ : il invente carrément de nouveaux dialogues encore meilleurs ! Si une opportunité se présente pour lui de caser une super réplique ou un bon jeu de mot, il le fait sans hésiter. Au final, même s’il y a de la perte dans la trad du français à l’anglais, Jérôme apporte une telle valeur ajoutée que le lecteur anglophone est loin d’être perdant ! Ensuite, je reprends sa traduction et je la lettre. Il bosse vraiment bien car il pense à mettre en gras ou en italique les mots qui doivent l’être. C’est appréciable. Il sait aussi comment présenter une trad pour que le lecteur gagne du temps en sélectionnant le contenu des bulles plus rapidement. On sent le mec qui a de l’expérience.

Sur Urban Rivals, c’est mon ami Matias Timarchi qui gère la version espagnole. Il traduit et il lettre lui-même dans mon fichier de départ. Je gagne du temps et lui aussi (en traduisant directement dans le fichier de lettrage). On y gagne tous. Enfin, pour les autres langues (allemand, italien, néerlandais, portugais, russe), je reçois de la part de l’équipe Urban les fichiers des traductions et je lettre à partir de ça. Je n’ai aucun échange avec les traducteurs. On bosse dans une telle urgence au moment de la récupération de ces fichiers que je m’occupe juste de récupérer les fichiers et de lettrer l’épisode dans toutes les langues à toute vitesse !

Sur Dynamo 5 ou sur un autre titre, as-tu déjà eu besoin parfois de retravailler les bulles ?

Oui, bien sûr. Quand un personnage crie, souvent, son texte est plus gros, traité un peu comme une onomatopée. Souvent, le texte dépasse de la bulle pour rendre le tout plus dynamique. Et là, il faut un gros travail de maquillage pour récupérer le truc.

Sur D5, le matos de départ était pas évident à gérer. Déjà, tous les textes étaient écrasés dans les bulles : j’ai dû tout gommer avant de commencer le collage des textes. Et parfois, c’était duraille.

Et ce travail de maquillage change quelque chose dans la mise en page ?

Pas vraiment, non. Au contraire, le principe est de changer le moins de choses possible par rapport à la version d’origine. Donc ça change juste un mot anglais en un mot français un peu plus gros, puisqu’il doit recouvrir le précédent.

As-tu déjà créé une police de caractère ? Parce que pour certains personnages, elles sont souvent différentes (Robot, Moyen-âge, …) quand même.

Eh bien, à mon grand regret : non. J’ai essayé mais j’ai abandonné en cours de route. J’y reviendrai un jour, quand j’aurai le temps.

Quand j’ai un besoin spécifique, je vais voir chez Comicraft ou Blambot (NdSoyouz : fonderies américaines qui créent et vendent des familles de polices de caractère) et je fais mes courses.

Quel est ton avis de la mise en gras de certains mots dans les bulles ? Est-ce aussi important en français que cela l’est en anglais ?

Si tu trouves que ça l’est en anglais, alors ça l’est aussi en français.

Mon avis perso, c’est que si l’auteur d’origine a enrichi son texte, le lettreur doit respecter ça. Mais pas n’importe comment. C’est au traducteur de trancher et de définir quel mot il faut mettre en gras. Le mot sur lequel la langue française insisterait (qui n’est pas forcément le même mot qu’en anglais).

Est-ce qu’il y a une différence de fonctionnement entre éditeurs ?

Oui. Grosso modo, on peut dire qu’ils ont tous leurs manières de fonctionner. Déjà, rien que le choix du logiciel est déterminant. C’est souvent une question de résistance au changement, de capacité (ou de volonté) à contrôler le produit fini. Rien de bien important, en vérité.

Comme avec un traducteur, il y a donc des discussions, des allers-retours, entre l’éditeur et le lettreur avant que le produit soit considéré comme fini ?

C’est plutôt des discussions de calage, en amont. C’est pas une fois que les 180 pages d’un bouquin sont lettrées qu’il faut se poser les questions d’ordre esthétiques. C’est dans les 3 ou 4 pages d’essai. Je m’applique à faire ce qui me semble le mieux, l’éditeur valide ou demande des modifs, on se met d’accord, et ensuite, on continue comme ça sur tout le bouquin.

Est-ce qu’il y a des différences entre un lettrage pour un album franco-belge et un lettrage pour comic-book ?

Dans le franco-belge, les bulles sont calibrées n’importe comment. Les dessinateurs casent les bulles là où ça les arrange et tant pis s’il n’y a pas la place de mettre le texte dedans. Et bien sûr, le scénariste envisage pas de réduire son texte. C’est au lettreur de se démerder, ça lui apprendra à arriver en fin de chaîne.

Dans les comics, les bulles sont calibrées au poil pour le texte US. Si le traducteur est correct, ça va assez vite de caser tout ça comme il faut.

T’es vraiment pas tendre avec les dessinateurs européens. T’as eu de mauvaises expériences en tant qu’auteur ? Obligé de changer ton texte ?

Dans la mesure du possible, je préfère de toute façon éviter de figer mon texte afin de l’ajuster au mieux à la planche finale. Je n’ai pas trop à me plaindre des dessinateurs avec lesquels je collabore, tout simplement parce que je collabore avec eux, justement. Quand j’interviens en fin de chaîne sur une BD qui n’est pas de moi, je suis davantage un exécutant et moins un créatif. Donc, oui, dans ces moments-là, je me dis que l’écriveux et le dessineux auraient pu collaborer un peu mieux pour éviter les complications à la fin.

Et bien. Peut-on donc considérer que c’est l’aspect que tu aimes le moins dans le métier ? Ou peut être un point plus technique ?

En fait, même pas. Il n’y a pas d’aspect que je n’aime pas dans le métier de lettreur. Et le mieux, c’est que je peux lettrer en écoutant des podcasts intelligents, même quand c’est difficile. Alors que pour écrire ou pour traduire, je ne peux avoir, au mieux, que de la musique.

Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans ce métier ?

J’aime bien avoir le pouvoir absolu sur les dialogues quand je lettre mes propres BD. Je peux avoir des idées qui viennent au dernier moment, pendant que je lettre. C’est un sacré avantage. J’aime bien cette liberté. C’est comme si le scénariste d’un film pouvait intervenir au moment du montage et rajouter des dialogues dans la bouche de ses acteurs.

Qu’est-ce que tu trouves le plus facile à faire ?

Effacer les textes dans les bulles qui sont écrasées. Ce genre de travail, c’est tellement automatique que tu peux le faire en dormant. Moi, je le fais en écoutant des trucs compliqués genre Les Nouveaux Chemins de la Connaissance, sur France Culture que je recommande à tous ceux qui veulent refaire leur retard en philo.

Et le plus difficile à faire ?

Détourer proprement une tête ou un élément de la BD qui est censé passer devant une bulle. Je déteste ça.

En quoi consiste le détourage et pourquoi es-tu obligé de le faire ?

Ben… c’est l’action de détourer, quoi… une tête ou un élément de la BD qui est censé passer devant une bulle. Et la bulle passe derrière. Si tu ne détoures pas l’élément, il reste derrière la bulle et on ne le voit plus. Pour une tête, ça fait con.

Mais je ne suis pas obligé de le faire, en fait. Seulement le résultat final est plus joli et plus efficace si je le fais.

Quel est lettrage le plus compliqué que tu es eu à faire ?

Euh… sans doute sur le Juge Bao (éditions Fei) car le texte est très bavard et l’espace très petit. J’ai dû morceler les bulles en plusieurs parties, jouer avec les chaînages entre les bulles, tricher sur la taille des caractères, etc. C’était un vrai défi mais je suis super fier du résultat. En plus, le scénario et les dessins sont brillants. J’en recommande chaudement la lecture.

A ton avis, quelles sont les qualités requises pour être un bon lettreur ?

Un goût esthétique certain, la connaissance des règles de typographie, la capacité à déceler une faute d’orthographe ou de grammaire (bref, savoir parler et écrire le français). De la curiosité (pour savoir ce qui se fait, découvrir les bonnes trouvailles d’autres lettreurs). Et l’expérience : beaucoup d’expérience.

Et le plus important, quand le lettreur est aussi un bulleur : une très bonne compréhension de l’art séquentiel et de la narration graphique. Les bulles de dialogues doivent guider le lecteur à travers la planche. Si le scénariste ou le dessinateur n’imposent pas leur disposition des bulles, c’est au lettreur de savoir placer au mieux ces éléments pour enrichir l’expérience de lecture.

Tu sais que sur France-Comics, on a l’habitude de terminer nos interviews par une forme de tribune libre. Alors imagine des bulles sans texte et si tu veux rajouter quelque chose à ton témoignage, c’est le moment :
- Quelle question aurais-tu aimé que je te pose ?

En tant qu’homme de lettres, peux-tu citer le nom d’un révolutionnaire ?

- Quelle question aurais-tu aimé que je ne te pose pas ?

En tant que lettreur, quelle est ta lettre préférée ?

- Et quelles auraient été les réponses ?

Danton, Q.

Ahahah, évidemment, j’aurais dû y penser. Encore merci Ed pour ta participation et ta disponibilité.

Tout le plaisir était pour moi !

Merci.

Jim

J’ai pris plaisir à la relire, tiens.

Tu m’étonnes !

Jim

Cette fois-ci, c’est Moscow*Eye, qu’on voit beaucoup dans les ouvrages de chez Delcourt.

Interview Moscow*Eye

Vous ne le savez peut-être pas, mais vous connaissez Cédric Vincent : il est le lettreur attitré des comics édités par Thierry Mornet chez Delcourt. Considéré par ce dernier comme « la Rolls des lettreurs », il aurait été dommage de ne pas en savoir plus sur cet autodidacte.

Bonjour Cédric. Peux-tu nous en dire plus sur toi, sur ton parcours avant de lettrer des comics ?

Bonjour Soyouz. J’ai 39 ans et je suis lettreur depuis 2003. De 2000 à 2003, j’ai travaillé comme maquettiste chez Semic. J’ai également maquetté le fanzine Scarce. Quant à mon parcours avant cela, c’est ce qu’on pourrait appeler une « formation sur le tas » : petits boulots et vie associative ! Avec une association, on organisait des concerts sur Besançon et il y a rapidement eu besoin de faire des affiches, des feuilles d’infos et c’est comme ça que je suis arrivé à la PAO. J’ai une formation autodidacte malgré quelques tentatives de faire des formations mais mon look me disqualifiait selon les formateurs.

Ton look ? Quel est donc le profil recherché pour faire des formations de lettreur ?

Ce n’était pas une formation spécifique au lettrage, mais une formation de PAO et une formation de Webdesign… Disons que les dreadlocks ou les cheveux bleus ne sont pas très bien vus par les formateurs. En gros on m’a dit : « vous savez, les employeurs sont des gens très traditionalistes et ça ne vaut pas le coup (et le coût !!) de vous former puisque vous ne serez pas embauché ». C’était il y a une quinzaine d’années mais les choses n’ont pas énormément changé depuis.

Et comment es-tu arrivé à lettrer des bandes dessinées et notamment des comics ?

En 98, je suis descendu vivre sur Aix-en-Provence où, contrairement à Besançon, il y avait un comic-shop. Scarce y était en vente et j’ai vu qu’il cherchait un nouveau maquettiste, Hervé, l’ancien maquettiste étant parti bosser chez Semic. Mon travail lui a plu et, quand Semic a eu besoin d’embaucher, il m’a proposé un poste que j’ai accepté. Le lettrage des comics était en grande partie sous-traité mais il y a rapidement eu des besoins de lettrage en interne, en particulier dans les pockets avec le « relaunch » du Semicverse. Je m’y suis collé en parallèle des maquettes des revues. Au bout de trois ans, j’en ai eu marre !! Passer 40h par semaine, 47 semaines par an avec les mêmes personnes dans un cadre professionnel - sans parler de la hiérarchie :slight_smile: - n’était pas pour moi et j’ai démissionné tout en proposant mes services en tant que prestataire externe. J’ai donc continué les pockets et commencé à bosser sur des revues comics (Image comics, Crossgen, etc.).

Peux-tu préciser et décrire à nos lecteurs en quoi consiste le métier de lettreur ? En donner ta définition en quelque sorte ?

C’est une question difficile, ça… Si on parle d’adaptation de matériel étranger, le plus important est le respect de l’œuvre originale… Il faut être un peu faussaire en repérant les spécificités du lettrage VO et les reproduire en VF. Cela nécessite également une bonne connaissance de la typographie.

Il faut aussi prendre en compte que le lettrage (informatisé), c’est principalement ce que l’on appelle de l’exécution PAO : le travail est technique (il y a peu de place pour la création) et répétitif (il m’arrive de faire plus de 1000 copier-coller dans une journée). Il faut aussi être capable de fournir des fichiers qui font que les imprimeurs ne s’arrachent pas les cheveux !

Et le lettrage peut comprendre également la maquette du titre, les onomatopées ou du texte hors bulle situé au cœur les dessins ?

Le titre, c’est plutôt les graphistes chez les éditeurs qui s’en occupent. Pour les onomatopées et le texte hors bulle, c’est au lettreur de s’en occuper. Les onomatopées ne sont changées par rapport à la version VO que si leur sens n’est pas clair : en gros, Knock Knock sur une porte ne nécessite pas d’être remplacer par un toc toc mais si des oiseaux s’envolent en faisant Clatter Clatter, il vaut mieux remplacer par un Flap Flap !! Pour ce qui est décor (affiche sur les murs, panneaux de circulation), le mieux est de traduire que ce qui est nécessaire à la compréhension mais pas l’intégralité (lire un album se déroulant à New York avec des affiches intégralement traduites en français fait perdre le côté dépaysement).

Quelle est ta méthode de travail ? Traditionnel ? Moderne ?

Moderne… Je fais tout sur ordinateur.

Et quels matériels, logiciels, … utilises-tu pour lettrer ? Un simple ordinateur, une souris et un clavier suffisent ?

Alors oui, un « simple » ordinateur, une souris, un clavier et la suite Adobe (Photoshop, Illustrator et Indesign) me suffisent. Pour l’ordi, une machine Apple n’est pas plus mal car c’est ce que les éditeurs et les imprimeurs possèdent en majorité. Il existe des formats de fichiers « cross-platform » (comme le pdf) mais si tout le monde bosse avec le même matériel, c’est quand même plus pratique ! Et une machine récente gavée de RAM et possédant un disque de sauvegarde, ça gagne du temps et évite les mauvaises surprises !!

As-tu besoin parfois de retravailler les bulles ?

Oui, ça arrive… Le français prend un peu plus de place que l’anglais. Ça s’équilibre en lettrant à peine plus petit mais il y a toujours des trucs qui coincent !! Des mots comme « Now » par exemple !! Le traducteur a un rôle important à ce niveau car c’est lui gère le calibrage. Comme disent les italiens, les traducteurs sont des traîtres mais s’ils trahissent bien, ça arrange les lettreurs :slight_smile:

C’est intéressant. Je ne pensais pas que les fichiers fournis par les Américains permettaient cette liberté. Cela doit tout de même changer quelque chose dans la mise en page ?

Alors on peut avoir des fichiers de travail avec des bulles vectorielles (sous illustrator), dans ce cas, pas de problème pour en modifier la taille. Ou alors des fichiers photoshop aplatis et là, c’est un peu plus difficile mais c’est faisable. Pour ce qui est de la mise en page, les ballons ne sont que légèrement modifiés. À part en comparant la VO et la VF page par page, ça ne se remarque pas.

Les fichiers aplatis, c’est le genre de matériel que tu as dû recevoir pour les premières intégrales de Spawn et de Savage Dragon, je suppose ? Le travail de lettrage est plus compliqué pour ce genre d’albums ?

Dans ces cas-là, ce sont des scans d’épreuves numériques ou de films, donc les fichiers sont bien sûr aplatis. Mais il y a de nombreux cas où, sans que ce soit des scans, les américains fournissent également des fichiers aplatis. Tout dépend de leur processus de fabrication, différent pour chaque éditeur. Il faut comprendre que beaucoup d’éditeurs travaillent avec des lettreurs externes qui ne leur fournissent pas leurs fichiers de travail, mais des fichiers aplatis… Quand ces éditeurs envoient le matériel, ils envoient ce qu’ils ont ! Pour le matériel ancien, particulièrement quand le lettrage était fait à la main, c’est pareil, les fichiers sont aplatis.

Au niveau du boulot, ça ne change pas grand-chose mis à part quand il faut nettoyer les fichiers… 300 pages de Spawn, c’est long de gommer toutes les bulles sous Photoshop. Ce qui peut vraiment alourdir le travail, ce sont les inscriptions hors-bulle (sur des murs, des articles de journaux). Là, il y a peu de différences entre les fichiers aplatis et les fichiers de travail puisque c’est souvent le dessinateur qui s’occupe de le faire et c’est donc toujours incrusté dans le dessin.

Quand tu m’as demandé ce qu’il fallait comme matériel, j’ai oublié une chose importante, ce sont les polices de caractères… On peut les créer ou en acheter. Pour le lettrage comics, deux fonderies sont incontournables : Comicraft et Blambot. Leurs polices sont de très bonne qualité et, vu qu’elles sont très utilisées dans les comics, cela permet de coller au plus près de l’édition originale.

As-tu déjà créé une police de caractère ? Parce que pour certains personnages, elles sont souvent différentes (Robot, Moyen-âge, …) quand même.

Le besoin s’est présenté une fois pour un auteur qui souhaitait une police inspiré de son écriture. Autrement, il existe tellement de polices qu’il y a toujours moyen de trouver quelque chose qui colle…

Et cela a été difficile à créer ? Comment cela se passe ? Tu as des droits par la suite (une forme de « droits d’auteur ») ?

Ce n’est pas difficile en soi mais ça demande de l’attention. Pour la créer, il faut un logiciel de dessin vectoriel (comme Illustrator) et un logiciel de création de polices (Fontlab par exemple).

Au niveau des droits, je n’en ai aucun sur cette police, j’ai « exécuté » une commande et ai été payé pour le travail.

Je reviens rapidement sur les bulles. Le travail est différent quand il n’y en a pas, comme dans Sam&Twitch ou les œuvres d’Eisner ?

Oui mais tous les albums sont différents au final. Les polices ne se comportent pas pareil au niveau occupation de l’espace, les bulles sont rondes, carrés, patatoïdes ou ne sont pas, l’album est récent ou ancien, écrit par Warren Ellis ou par Chris Claremont (ça, ça change tout au niveau du temps de travail :-))… Ça, c’est le côté varié du boulot.

Est-ce que tu as un ou des auteurs sur lesquels tu préfères travailler ?

Non, pas particulièrement ! Il y a des auteurs que je préfère à la lecture mais au niveau boulot, ça ne change pas grand-chose. Après, c’est toujours plus agréable de bosser sur un album que tu apprécies, le temps semble passer plus vite.

Quel est ton avis de la mise en gras de certains mots dans les bulles ? Est-ce aussi important en français que cela l’est en anglais ?

Oui, je pense que c’est important pour dynamiser le texte, attirer l’attention du lecteur. Mais c’est plutôt le rôle du traducteur (ou du scénariste quand c’est de la création) de gérer ça. L’engraissement joue sur le sens et c’est donc le traducteur qui a une vision d’ensemble. Ça ne m’empêche pas de rajouter des enrichissements (italique, corps de police réduit ou grossi) pour « guider » la lecture. Cela permet de distinguer les pensées des dialogues, les pavés narratifs des textes hors-champ, de donner des indications de volumes sonores… Je travaille avec l’édition VO des comics sous les yeux pour y coller au plus près. Cela permet aussi de voir ce qui est lettré dans une police différente de celle des dialogues habituels (voix différentes pour des aliens ou des robots…)

Et pour ton travail, tu as besoin de communiquer avec les traducteurs ?

Non pas particulièrement… si j’ai une question, je me tourne vers les éditeurs.

Quelle belle transition. Est-ce qu’il y a des différences de fonctionnement avec les éditeurs ?

Dans le cas de Mister T (Thierry Mornet chez Delcourt qui adore quand un plan se déroule sans accroc), on bosse ensemble depuis plus de 10 ans, ça crée des liens qui dépassent le cadre professionnel, mais qui, du coup, l’améliorent. On connait les limites de l’un et les souhaits de l’autre et ça facilite les choses.

Pour les autres éditeurs, la principale différence est que j’ai rarement des contacts directs avec eux… Je suis plutôt en contact avec les personnes qui font l’interface entre les éditeurs, les auteurs, le service fabrication et les prestataires externes… un sacré rôle dans des entreprises de la taille de Dargaud ou Delcourt. C’est à mon avis un des postes clés au bon fonctionnement d’une maison d’édition.

Et le fonctionnement avec Thierry était le même qu’aujourd’hui quand il était chez Semic ?

Non, et pour deux raisons assez simples : la première est que, chez SEMIC, je faisais principalement de la mise en page et non du lettrage. La deuxième est que je bosse à 300 km de Paris dans mon appartement… ça change tout.

Il peut y avoir donc des discussions, des allers-retours, entre l’éditeur et le lettreur avant que le produit soit considéré comme fini ?

Il y a automatiquement des discussions. D’une part dans le choix de la police (je fais des propositions et l’éditeur choisit) et d’autre part lors des deux tours de correction après le lettrage (je fournis des pdf basse résolution qui permettent à l’éditeur de relire et/ou de donner à un correcteur externe).

Est-ce qu’il y a une différence dans le travail de lettrage entre un magazine destiné au marché du kiosque et une bande dessinée cartonnée destinée aux librairies ?

Non aucune. Le travail est le même au niveau lettrage. La différence pour les revues Delcourt, c’est que je suis également en charge de la maquette des pages rédactionnelles, ce qui n’est pas le cas pour les albums.

Et entre un album franco-belge et un comic-book en VF ?

Il n’y a pas de différences majeures à moins que les bulles soient à créer. Dans ce cas, il faut prêter attention au sens de lecture des planches pour positionner les bulles. Le scénariste fournit généralement des crayonnés avec le placement des bulles.

Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans ce métier ?

Bosser sur de bons albums avec des gens passionnés… Bosser chez moi avec la musique à fond :slight_smile: Gérer mon temps comme je veux…

Et ce que tu n’aimes pas ?

Le côté ultra répétitif peut finir par lasser… Le temps passé sur l’ordinateur est aussi quelque chose qui finit par énerver… surtout quand le soleil brille et que tu te dis que tu serais mieux dehors avec un bon bouquin ou en terrasse à boire des coups avec les potes !!

Oui, mais ça, dès qu’on est au travail, on se le dit tous, non ? (rires) Qu’est-ce que tu trouves le plus facile à faire ?

Le plus facile à faire ? Les albums que j’apprécie !! Et le plus difficile si c’est ta prochaine question, tout ce qui est maquette de pages rédactionnelles !

Eh eh, je suis un peu trop prévisible. Pourquoi les maquettes des pages rédactionnelles sont difficiles à faire ?

C’est un petit blocage perso je pense :slight_smile: Le travail est moins balisé que le lettrage et ça donne vraiment l’impression de ne pas avancer. Il y a aussi plus de corrections à intégrer et les délais sont souvent plus serrés d’où un stress plus important.

Quel est le lettrage le plus compliqué que tu aies eu à faire ?

Alors……… je n’en sais rien !! On va dire des trucs comme les clés de la BD d’Eisner ou les bouquins de Scott McCloud. Pour Eisner, il y a de la maquette et une grosse quantité de texte à gérer. Pour les McCloud, pas de maquette mais il y a également beaucoup de texte et de petits détails qui prennent du temps.

De quoi es-tu le plus fier ?

Je ne raisonne pas en ces termes… je suis heureux de faire un taf qui me plaît depuis 7 ans et de participer à l’élaboration de bons albums et j’espère que ça va continuer !

A ton avis, quelles sont les qualités requises pour être un bon lettreur ?

De bonnes connaissances en PAO, de la rigueur technique, de l’opiniâtreté, une bonne culture BD, de la réactivité…

Lis-tu des comics en dehors de ceux que tu lettres ?

Les X-Men depuis des années… et par extension le Marvel U. Pas mal de trucs de scénaristes anglais (de Alan Moore à Warren Ellis en passant par Neil Gaiman) aussi… et les séries Vertigo… En ce moment, en revanche, je ne lis plus grand chose (enfin si, des livres sans image !!). Il y a énormément de bonnes BD à lire de toutes provenances mais je sature un peu ! Après une bonne journée de boulot, lire une BD n’est pas une réelle « coupure ».

Pourquoi cette référence soviétique dans ton nom d’artiste ? Et pourquoi en anglais ? Ça vend mieux ?

Lorsque je bossais chez Semic, j’avais la fâcheuse tendance d’entendre tout ce qui se disait dans les locaux… et de m’en souvenir !! Un de mes collègues m’avait alors appelé le réseau Échelon. Quand j’ai cherché un nom pour ma boîte, je suis resté dans les références à l’espionnage mondial d’où l’œil de Moscou. Pourquoi en anglais, ça je n’en sais rien ! Je ne suis même pas sûr que la formule « Moscow Eye » veuille réellement dire quelque chose en anglais et elle est incompréhensible pour une bonne partie des francophones (Mosco quoi…… Aïe !!). Peut-être qu’inconsciemment je voulais indiquer une « spécialisation » dans le lettrage Comics… ou pas :slight_smile:

Sur France-Comics, on a l’habitude de terminer nos interviews par une forme de tribune libre. Alors imagine des bulles sans texte et si tu veux rajouter quelque chose à ton témoignage, en rapport ou non avec le lettrage, c’est le moment :
- Quelle question aurais-tu aimé que je te pose ?

Quand est-ce qu’on prend l’apéro ?

- Quelle question aurais-tu aimé que je ne te pose pas ?

La précédente, parce que je ne savais pas quoi répondre…

- Et quelles auraient été les réponses ?

Dès qu’on se croise, c’est important de boire des coups !

Le rendez-vous est pris. Quand je passerai dans le coin, je te sonnerai. Encore merci Cédric pour ta participation et ta disponibilité.

La dernière interview, avec Eric Brocherie, dont la méthode de lettrage détonne un peu.

Interview Eric Brocherie

Il est le lettreur attitré des productions éditées par Vincent Bernière chez Delcourt. Eric Brocherie a plusieurs activités à son arc, mais on sent bien que la typographie, il l’a en lui ! Il a quitté sa machine infernale pour profiter des rayons du soleil et répondre à mes questions.

Bonjour Eric. Peux-tu nous en dire plus sur toi, sur ton parcours avant de lettrer des comics ?

Bonjour. Je suis avant tout graphiste ou directeur artistique. L’essentiel de mes clients sont dans le domaine de la mode. Comme cela fait maintenant longtemps que je travaille, j’ai un certains nombres de clients réguliers ce qui me permet d’avoir d’autres activités un peu moins … « rentables », comme la réalisation de génériques de longs métrages.

Des génériques ? Tu fais de la musique ?

Non, pas du tout. En fait, il y a des obligations légales (noms acteurs, producteurs, techniciens…) qui souvent doivent obligatoirement apparaître au début du film. C’est très régulièrement fait sans aucun apport graphique. Mais malgré tout il y a une tradition des génériques comme œuvre graphique depuis déjà bien longtemps. Simplement on n’en parle pas. Heureusement certains réalisateurs souhaitent des génériques avec une certaine identité et originalité, comme Cédric Klapisch pour qui je le fais depuis très longtemps. C’est un métier qui est totalement méconnu et qui passe totalement inaperçu auprès des spectateurs. Comme le lettrage en fait (rire). Mais j’aime bien, c’est très particulier, créatif et cela me permet de toucher différentes disciplines (typo, montage, musique, animation…). C’est un peu comme réaliser un clip !

Et comment es-tu arrivé à lettrer des bandes dessinées et notamment des comics ?

Je connais Vincent (Bernière) depuis longtemps. Il m’a un jour proposé de lettrer un manga chez Le Seuil. J’ai trouvé ça intéressant et rigolo et petit à petit, j’en ai fait de plus en plus. Et depuis qu’Outsider a été créé, j’en fais très régulièrement. Et j’avoue que c’est plus intéressant que chez Le Seuil, car je travaille avec des originaux d’une super qualité. Ce sont des œuvres d’art ces bandes dessinées. C’est très appréciable. Et quand je les lettre, c’est un peu comme si j’étais le garant de l’œuvre originelle.

C’est pour toi une des caractéristiques du métier de lettreur ?

Oui. La démarche d’Outsider, c’est que la VF doit être une copie conforme de l’original, jusqu’à la typo. Quand l’auteur verra la version française, il faut qu’il ait l’impression que ce soit la même. C’est un peu un travail de faussaire (rire). Il faut que le titre, les onomatopées, le texte des bulles … que tout soit pareil. Et comme elles sont bien faites, il ne faut pas se tromper. Je ne veux pas la dénaturer et les BD sur lesquelles je travaille, le typo fait très souvent partie du design. Si ça ne correspond pas à l’originale, il y a une perte du message, du sens, de l’identité de l’œuvre. Des gens comme Heatley ou Cooper ont une typo qui a un graphisme particulier qu’il faut absolument respecter !

Quelle est ta méthode de travail ? Traditionnel ? Moderne ?

Je ne fais pas de lettrage à la main, si c’est le sens de ta question. Tout se fait par informatique. Par contre, en fonction des auteurs, le travail est différent. Par exemple, pour les frères Hernandez, la typo est la même de la première à la dernière page … d’une même histoire. En effet, il peut y avoir plusieurs histoires courtes dans un même bouquin avec tout autant de styles différents. Tomine est pareil et les tailles des caractères sont les mêmes. Par contre, Heatley et Cooper, c’est autre chose. La typographie, c’est leur propre écriture. On ne trouve pas leur typo chez les fondeurs.

Et quels matériels, logiciels, … utilises-tu pour lettrer ? Un simple ordinateur, une souris et un clavier suffisent ?

Oui. Un Mac normal, mais suffisamment solide. Quand les albums sont longs (il y en a quand même pas mal qui dépassent les 100 pages), il faut qu’il ce soit suffisamment puissant, et notamment pour charger les polices et les images en quadri avec plusieurs couches.

Puissant comment ?

J’ai un Mac pro avec 8 processeurs et 12 giga de mémoire…

12 giga !!! Mais c’est un monstre ?

Oui, un peu, c’est vrai ! (rire) Mais pour réaliser les génériques de films, j’ai besoin d’un minimum de puissance quand même.

Sinon, j’utilise évidemment les softs classiques comme Indesign, photoshop, Illustrator pour fabriquer les typographies.

Comment cela se passe la création de police ?

En fait, ce n’est pas tout à fait de la création. Comme je diasais tout à l’heure, un lettreur est un peu faussaire.

Pour David Heatley sur le Cerveau ou pour Pip & Norton de Dave Cooper, ça a été un véritable travail de fourmi. J’ai repris la typo à partir des planches que j’ai scannées et découpées pour obtenir toutes les lettres.

Tu as réussi à retrouver toutes les lettres ? Par exemple, le Z n’est pas souvent utilisé en anglais ?

Evidemment, oui le Z, il a fallu que je le crée en essayant de le faire dans le style de David. Il a fallu également refaire les accents et quelques ponctuations.

C’est vraiment ce qui prend le plus de temps : rechercher ou fabriquer la typo. Car des fois, j’essaie de trouver chez les fondeurs celle qui se rapproche le plus de l’originale et forcément, la comparaison peut prendre du temps.

Mais ce travail de fourmi paye. Quand David Heatley est venu pour Angoulême, quand il a vu la version française, il a été impressionné par ce travail de reproduction. Cela n’a apparemment pas été fait pour les adaptations d’autres pays d’Europe. Il m’a même demandé si je pouvais lui fournir la version informatique de son écriture. C’est une grosse satisfaction d’avoir un tel retour de l’auteur.

Et tu as des droits par la suite (une forme de « droits d’auteur ») ?

L’éditeur paye le temps de création, mais il n’y a pas de droit. Pour David, je me voyais mal lui faire payer sachant que c’est son écriture (rire).

Nous avions éventuellement pensé à les vendre pour les adaptations réalisées dans les autres pays. Ça me parait normal de partir de l’original, par respect pour l’auteur et son œuvre. Mais apparemment, cela ne se fait pas forcément. Ce n’est pas encore dans les mœurs de le mettre dans les obligations contractuelles.

As-tu besoin parfois de retravailler les bulles ?

Je ne touche jamais aux bulles. Pour moi, elles doivent rester de la même taille et là où l’auteur l’a décidé.

Mais des fois, deux mots anglais se transforment en cinq français. Et les bulles ne sont plus forcément assez grandes. Tu n’as pas besoin de les agrandir ?

En effet, cela peut arriver. Dans ce cas, je rewrite en enlevant un mot, un adverbe par exemple. Je choisis de façon à ce que cela n’enlève pas le sens de la bulle.

Sinon, la retouche, c’est aussi le nettoyage de la bulle. Souvent, je reçois les planches non nettoyées. Quand il s’agit simplement d’effacer l’intérieur, ça va, mais quand c’est incrusté dans l’image, cela revient à faire de la retouche et ce n’est plus la même histoire. Les titres par exemple sont souvent intégrés dans le décor.

Et puis je peux recevoir des fichiers avec plusieurs couches de calques. Une couche noir, une couche de couleur … faut penser à faire les changements sur toutes les couches.

Dans Pip et Norton, Dave Cooper utilise des bulles de couleur. Alors quand j’efface le texte, il faut que je retouche la couleur avant d’ajouter le texte en français.

Est-ce que tu as un ou des auteurs sur lesquels tu préfères travailler ?

Ça dépend l’histoire et/ou du dessin. Mais tous ont un truc qui me plait. Joe Matt me fait mourir de rire, j’adore les dessins d’Adrian Tomine, j’aime les histoires des frères Hernandez … En fait, les choix de Vincent Bernière vont vers des œuvres qui ont une fibre littéraire. Il a le talent pour les dénicher. La notion de roman graphique prend tout son sens avec ces titres.

Quel est ton avis de la mise en gras de certains mots dans les bulles ? Est-ce aussi important en français que cela l’est en anglais ?

Oui, évidemment. Y a forcément un sens, donc j’essaie de retrouver le mot qui correspond.

Ça veut dire que tu travailles avec la VO ?

J’ai toujours la VO à côté de moi. Si je dois reproduire le plus fidèlement possible, il faut que je l’aie constamment sous les yeux, pour chaque bulle. Car si pour les frères Hernadez, c’est assez simple car c’est la même typo et la même taille de caractère, ce n’est pas le cas de tous les auteurs. Dans une même bulle, il peut y avoir différentes tailles, différentes graisses, différents types. Et certains ont des tics d’écriture : Joe Matt utilise beaucoup des guillemets très personnels pour signifier des onomatopées ou des actions dans les bulles*.* Je dois absolument faire pareil, sinon ça n’a pas de sens.

Et pour ton travail, tu as besoin de communiquer avec les traducteurs ?

Le traducteur, c’est Vincent. Donc oui, je converse forcément avec lui. Même si on ne sait jamais dans quel pays il se trouve, il est toujours très accessible.

Je communique également beaucoup avec Laurence (Laurence Lemaire, collaboratrice et relectrice de Vincent Bernière). Cela fait vraiment très longtemps que l’on se connaît tous les trois. On a des automatismes.

Le fonctionnement avec Vincent était le même qu’aujourd’hui quand il était chez Le Seuil ?

Oui, c’est pareil. Il n’y a pas de raison qu’on travaille différemment !

Il peut y avoir donc des discussions, des allers-retours, entre toi et Vincent avant que le produit soit considéré comme fini ?

On en parle toujours. Il peut avoir des suggestions avant même de commencer, en proposant par exemple telle ou telle typo ou si cela peut valoir le coup de la refaire. On se met d’accord en faisant des recherches, des préplanches et c’est parti. Mais comme je disais, on se connaît depuis longtemps, il y a vraiment un travail de confiance entre nous. Y a pas ce truc d’éditeurs toujours derrière moi.

Et entre un manga et un comic-book en VF ?

Oulala, le manga, tout est à l’envers. Faut penser constamment à l’envers et dès la première bulle. Le montage est à l’envers. C’est vraiment plus compliqué ! (rire)

Et avec Vincent, on travaillait d’une manière différente que ce que l’on fait sur les comics. On avait une typo spécifique pour chaque auteur.

Qu’est-ce que tu apprécies le plus dans ce métier ?

Hum … c’est un peu ce que je te disais tout à l’heure. J’aime cette impression d’être le gardien du temple de l’œuvre, même si je suis le seul à le savoir (rire). Et puis travailler pour reproduire le plus fidèlement possible. C’est mon moteur qui me fait passer autant de temps sur ces bandes dessinées. Si Vincent n’avait pas cette exigence, je ne suis pas sûr que cela me plairait autant.

Quand un auteur me dit en regardant la VF « Ouaih, incroyable ! », je suis content, c’est que j’ai réussi mon travail, même si le lecteur ne se rend pas compte.

Quand je reçois l’objet fini (car ce sont bien plus que des BD) et que je le mets face à sa VO, je trouve ça vraiment cool que ce soit ressemblant ! Y a que la langue qui change !

Ça t’arrive souvent d’avoir des contacts avec les auteurs ?

Non, enfin pas autant que je l’aimerais. Mais quand j’arrive à avoir leur retour, je suis très intéressé par leur avis. Et quand ils sont ravis, c’est une grande gratification pour moi. Je le répète, mais David Heatley a tellement été impressionné par mon travail qu’il a parlé de moi sur son blog. Ce gars est vraiment très sympa et très humble en plus.

Oui, j’ai eu l’occasion de le remarquer à Angoulême. Il paraissait très timide. Sa BD m’a d’autant plus surprise.

Oui, il est même très surpris du succès qu’il peut avoir avec ses dessins. (rire) Je crois qu’il a besoin d’écrire pour s’exprimer. Son blog est très intéressant d’ailleurs.

Pour en revenir à ta question de départ, ce que j’aime aussi c’est le travail d’équipe. J’ai une assistante lettriste, Juliette Nicot. On fait les recherches typo ensemble, on se met bien au point et souvent le lettrage d’une grande partie des bouquins avec moi (je pense à ceux des Hernandez par exemple).

C’est bizarre, car on ne la voit pas dans les crédits.

C’est vrai. C’est un oubli de ma part mais qui va être réparé dans les œuvres en cours et à venir.

Et sinon, j’adore faire des recherches de typo. C’est vraiment quelque chose que j’aime faire. J’adore les typo.

Qu’est-ce tu n’aimes pas dans le lettrage ?

Les planches mal nettoyées. Parfois, c’est à moitié fait et je suis obligé de retoucher les œuvres originales. C’est pas cool.

Qu’est-ce que tu trouves le plus facile à faire ?

Le copier-coller.

Et le plus difficile ?

La retouche d’œuvre. Quand le titre est très intégré au dessin, quand il faut refaire les onomatopées, etc. ça me fait stresser, j’ai peur que ce soit mal fait.

Quel est lettrage le plus compliqué que tu es eu à faire ?

Celui de David Heatley. Ce n’est pas une BD, c’est un livre d’art. Sprott, c’était un défi aussi. C’est ultra léché. Fallait arriver à faire la même chose, à trouver la bonne typo, à rendre le même résultat après la traduction malgré la taille des bulles. C’était pas si simple.

De quoi es-tu le plus fier ?

Du Cerveau. David Heatley n’en revenait pas. Me demander sa typo, parler de moi sur son blog et sur son site … j’ai vraiment une certaine fierté à avoir réussi à sortir ce truc là, même si on y a mis du temps. Mais c’est aussi ça le travail d’artisan ! (rire)

A ton avis, quelles sont les qualités requises pour être un bon lettreur ?

Avoir une grande culture typographique. Il faut être rigoureux, obsessionnel (rire). Passionné aussi, car il y a un côté ingrat dans ce travail de fourmi qui ne se voit pas. Si personne n’en parle, c’est que c’est bien. Et si l’auteur fait la remarque que c’est bien, c’est que c’est gagné ! (rire)

Lis-tu des comics en dehors de ceux que tu lettres ? (si oui, lesquels ?)

J’essaie de lire au moins ce que je lettre. Mais j’ai pas vraiment le temps, car je ne suis pas avare en heure de travail.

Sur France-Comics, on a l’habitude de terminer nos interviews par une forme de tribune libre. Alors imagine des bulles sans texte et si tu veux rajouter quelque chose à ton témoignage, en rapport ou non avec le lettrage, c’est le moment :

- Quelle question aurais-tu aimé que je te pose ?

Tu le l’as posé en fait, en me demandant si j’avais des retours des auteurs.

- Quelle question aurais-tu aimé que je ne te pose pas ?

Savoir si je ne suis pas qu’un pauvre copieur. (rire)

- Et quelles auraient été les réponses ?

J’aurais dit oui, mais en précisant qu’il faut avoir du talent pour bien copier (rire)

Et c’est pas donné à tout le monde. Encore merci Eric pour ta participation et ta disponibilité.

J’aime bien le fonctionnement de ces interviews parce qu’il y a quelque chose de naturel dans les enchaînements (par exemple, ta réaction concernant l’ordi), et ça fait très spontané, ce qui est agréable à la lecture.

Jim

Alors, en fait, c’est un peu normal, je n’ai pas de mérite : Eric Brocherie, je l’ai fait en live, dans un café, de mémoire (bon, techniquement, je suis pas très fan de ce fonctionnement, très fatigant, parce que je prenais que des notes manuscrites… j’aurais continué à faire ce « job », j’aurais investi dans un enregistreur. En revanche, j’ai adoré rencontrer tous les gens que j’ai pu voir. Je pense avoir au moins des bribes de souvenirs avec tous. Et humainement, cette méthode n’a aucune équivalence).
Et pour les autres, de mémoire (sauf peut être pour Eric Bufkens), j’ai fait la méthode que j’aime beaucoup techniquement, c’est ce que j’appelle le ping pong de mails. Et là, c’est génial, ça permet vraiment de faire de belles interviews, avec un semblant de naturel que visiblement tu as ressenti. Je me souviens d’un été où j’avais fait une itw de Niko (je ne sais pas si c’était pour celui des Moutons ou celui sur le métier de trados) et ma liste de questions que j’avais préétablie avait explosé !

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