Comment se construit le travail d’un illustrateur ? Comment s’approprier l’univers d’Alan Moore ? Cindy Canévet répond à nos questions concernant son travail d’illustratrice sur L’Hypothèse du lézard .
D’abord, quel regard portes-tu sur cette histoire d’Alan Moore ?
J’ai vraiment apprécié l’approche qu’Alan Moore a de cette intrigue psychologique, à travers un contexte médiéval, fantasy. Amenée de manière très belle en terme d’écriture, très « visuelle », l’histoire nous transporte dans une intrigue presque à huis clos, intime, en soulevant un problème de fond qui reste, finalement, actuel. Sa construction est forte, tout en laissant une variété d’interprétations possibles au lecteur.
Quel a été ton angle d’attaque en préparant tes illustrations ?
J’ai été interpelée par toutes ces références visuelles, ces touches symboliques qui ponctuent le récit. J’ai alors choisi de faire paraître dans mon travail ce que j’avais ressenti, en mêlant les illustrations de scènes aux compositions plus graphiques, symboliques. Si mes croquis préparatoires sont numériques, la réalisation des illustrations officielles sera en partie traditionnelle ; adepte de l’encrage, je trouvais que c’était une technique qui s’associait bien à certaines ambiances du texte, de par ses fausses imperfections. Le personnage principal ne perçoit pas le monde qui l’entoure comme nous, jouer de ces types de compositions et de cette technique me paraissait alors particulièrement intéressant.
La couverture fait vraiment envie. Comment l’as-tu composée ?
Ici aussi, la question de la symbolique a été primordiale. Le demi-masque de porcelaine, central dans l’histoire, se devait de l’être également sur la couverture. Se sont ajoutés à lui le fameux lézard, la fiole en forme de crâne, le tissu rouge, les fleurs bleues ; tous des éléments marquants à certains moments du récit. Cependant, on reste bien dans la symbolique, et la composition est plus graphique que réaliste. Leur présence annonce l’ambiance, sans pour autant en dévoiler trop sur l’intrigue. Le choix des couleurs aussi s’est fondé sur des éléments du récit, l’esthétique construite autour des personnages. Le côté médiéval, légèrement oriental du contexte (l’univers de Liavek) impacte également certains détails (la tenue, la typographie).
Tu illustres et tu fais la maquette de l’intérieur du livre. Comment as-tu travaillé sur tes illustrations en rapport avec le texte ?
La fusion des illustrations et du texte était très intéressante à aborder. Cet univers graphique s’y prêtait bien, et avoir la main sur la maquette était l’occasion de renforcer la symbolique des compositions, d’autant plus que le nombre d’illustrations était limité en proportion du texte. Par exemple, à défaut de pouvoir illustrer la cour ronde et noire, jouer sur des codes de formes, soit par zones de fond en couleur, soit par la zone du texte même, permettait de donner malgré tout une dimension visuelle forte à une double page. Cela m’a permis de travailler à différents niveaux, quatre au total (trois pour les illustrations, un pour le graphisme), pour rendre l’ensemble aussi original et atypique que le fond du récit qu’il représente.
Comment as-tu choisi les passages à illustrer ?
À la lecture de la nouvelle, certains passages se sont matérialisés plutôt facilement dans mon esprit. Mais avant tout, il a fallu découper le texte pour le répartir de manière homogène dans la maquette, à savoir que la nouvelle est ici présentée sous quatre chapitres. Certains d’entre eux étant un peu moins « visuels », il y a eu un travail d’équilibrage, en tenant compte des illustrations « titres » en double-page, ainsi que des quatre illustrations couleur, placées de manière précise par rapport aux contraintes d’impression. J’ai alors noté les images que la lecture m’avait inspirées, puis ajusté et ajouté les visuels suivants en fonction des extraits, désormais fixés dans la répartition des pages. Pour certaines illustrations, ce sont plusieurs passages les entourant qui les nourrissent, elles les concluent ou les préviennent. Celles en couleur, notamment, sont des résumés des évènements principaux de chacun des chapitres. Parfois, il peut s’agir de portraits plutôt simples mais aux expressions ou attitudes significatives, ou alors d’ensembles oniriques à la limite de l’abstrait.