Quand y en a plus, y en a encore.
Je me suis trompé, je pensais que la vingtième livraison de la newsletter « spécial confinement » de Glénat était la dernière en date, et en fait non, il y en a encore deux.
Dont une donne la parole à Luc Brunschwig et Stéphane Perger :
- Comment se passe vos journées depuis le confinement ?
Luc : Hum ! Je me dois d’être honnête. Rien ou presque n’a changé. Je suis confiné de naissance, genre y’a ma photo à côté de la définition du mot « casanier » dans le dictionnaire… donc sachant que je ne vais pas beaucoup sortir, j’ai pris depuis bien longtemps toutes les mesures pour avoir tout ce qu’il faut pour tenir longtemps en mode « reclus »… j’ai choisi avec ma femme de vivre à la campagne plutôt qu’à la ville, afin d’avoir une plus grande maison avec de l’espace à l’intérieur et à l’extérieur, nous avons des centaines de livres et de BD sous la main et trois abonnements à différentes plateformes de streaming. Notre petite respiration, c’est le mardi. Depuis deux ans nous faisons dépôt de pain une fois par semaine pour notre village (un boulanger nous amène sa fournée et les gens viennent prendre leurs commandes chez nous). Nous avons décidé de maintenir ce lien social. Seules deux choses ont réellement changé (en mode mineur, mais c’est rigolo). Comme je regarde beaucoup de films et de séries, je donne tous les matins des recommandations, des coups de cœur, afin d’aider mes amis sur Facebook à faire le tri. J’essaie de faire des petits papiers construits, qui donnent envie et un site de chroniques BD (les Sentiers de l’Imaginaire) a décidé de relayer jour après jour chacune de ces chroniques… dans le même ordre d’idée, comme je fête cette année (en novembre) mes 30 ans de Bande Dessinée, j’ai souhaité revenir sur les raisons qui m’ont poussé à écrire chacune des séries sur lesquelles j’ai travaillé. Ça fait des papiers plutôt longs que deux sites (Sceneario.comet Une Case en Plus) m’ont proposé de poster chaque semaine. Mon seul regret, si je peux en exprimer un, c’est justement que j’attends du Monde extérieur qu’il vienne me bousculer et me sorte de mes (mauvaises) habitudes. Là, tout le monde est à la même enseigne que moi, ce qui m’endort socialement et me maintient dans mes travers. Et nos peurs vont davantage vers l’avenir : après ce désastre social et économique, est ce qu’il y aura encore des gens pour lire nos livres ?.. On peut aisément comprendre que la culture ne soit plus une priorité immédiate, même si dans l’absolu, elle me semble indispensable à la bonne santé d’une nation.
Stéphane : Alors, moi je suis en bouclage sur Luminary tome 2, la phase couleur de l’album qui se déroule sur 4 mois.
Du coup, m’imposer le confinement ne change pas grand-chose sur mon confinement professionnel.
C’est juste que je dois travailler de chez moi (ce que je ne fais pas d’habitude, j’ai un atelier) et m’occuper des enfants dans la journée, ça rajoute un peu de sel !
- Votre famille va bien ?
Luc : Oui, d’ailleurs ce confinement est très familial. Mon fils et ma fille sont à la maison puisque les écoles sont fermées et ma femme avait arrêté de travailler fin janvier pour se réorienter professionnellement (ce qu’elle fait en visio-conférence du coup) … Nous sommes 4, mais comme je le disais, on a de l’espace. Les enfants sont grands (19 et 16 ans), mon fils veut devenir informaticien et il vit depuis pas mal d’années déjà une grande partie de sa vie sur le net sur différents sites dont il est parfois le modérateur (donc il reste en contact avec la plupart de ses amis). Et puis, ce confinement nous a réservé un bonheur inattendu, puisqu’on a enfin réussi à convaincre notre fille de lire des romans (elle attaque le tome 2 de Hunger Games).
Stéphane : Quelques malades dans mon entourage, mais pas de complications, donc on peut s’estimer heureux.
La situation a-t-elle particulièrement affecté votre travail sur Luminary T2 ?
Luc : Pas pour moi, puisque j’avais achevé l’écriture de l’album fin novembre. J’attends maintenant de m’attaquer au tome 3 qui bouclera une première histoire (en espérant qu’il y aura assez de lecteurs pour initier d’autres histoires ; j’en ai quelques-unes en réserve).
Stéphane : Comme dit dans la question 1, je jongle entre père au foyer et travaille d’arrache-pied, si les journées faisaient plus de 24h, ce ne serait pas pour me déplaire, je pourrais éventuellement dormir.
- Vous arrivez à gérer votre temps avec les enfants à la maison et l’alternance boulot/vie de famille ?
Luc : Sans problème puisque ma femme est là au besoin et que les enfants se débrouillent bien tout seuls.
Stéphane : La nuit est mon amie ! Sinon, on se refait tous les épisodes de ma série favorite « Twilight Zone », vu qu’on est un peu dans la quatrième dimension en ce moment, ça colle plutôt pas mal.
- Ce confinement vous a-t-il incité à chercher d’autres manière de concevoir votre " vie de tous les jours " ?
Stéphane : Il faut effectivement jongler un peu avec les attestations, bosser surtout et faire ce que je peux pour que les enfants ne se sentent pas non plus mis en retrait. Ça ne se passe pas trop mal, mais ce goût d’inédit est assez étonnant.
- Parlons un peu de Luminary T2, où en êtes-vous justement ?
Stéphane : À la phase couleur donc. Tout est dessiné, 122 pages, et la couleur en est aux 2/3. Hasta la victoria siempre !
- Que nous réserve de " nouveau " ce tome 2 d’ailleurs ? Des révélations ? Des axes nouveaux ?
Luc : Sur le tome 1 on était dans la découverte des personnages… Dans ce tome 2, on élargit l’histoire à l’ensemble de la nation américaine. Le tome 2 comme l’indique son titre (Black Power) sera plus politique et continuera d’interroger cette idée qui guide notre travail sur cette série : que changerait la présence de super-héros surpuissants dans l’histoire de l’Amérique ? Nous sommes en 1977 ; les USA viennent de sortir de la guerre du Vietnam. Ils sont plus fragiles qu’ils ne l’ont jamais été. Le président Carter est surtout là pour gommer l’image belliciste du pays, mais voilà qu’ils viennent de trouver l’arme absolue pouvant leur permettre de dominer le monde pour des siècles et des siècles. Peuvent-ils se permettre de passer à côté de cette chance, juste parce qu’elle n’est pas en adéquation avec leurs priorités du moment ?
Stéphane : Luc en parle très bien !
- En quoi cette série est-elle " à part " si c’est le cas, de votre production habituelle ?
Luc : Elle est à part dans le sens où elle se rapproche d’un format comics et rend hommage à un personnage de super héros que j’ai adoré étant adolescent, mais elle n’est pas à part du tout dans ma démarche d’écriture. Bien au contraire, le super-héros, c’est ce qui m’a donné envie de faire de la BD. Mes deux scénaristes préférés sont deux auteurs de comics (Alan Moore et Frank Miller). J’ai appris mon métier en décortiquant leur travail. A l’origine, la façon de rythmer les histoires est plus naturellement chez moi américaine que franco-belge. Je dirais presque que c’est tout ce que j’ai fait jusqu’ici qui est à part de ce que je voulais vraiment faire.
Stéphane : Je dirais déjà la pagination, en un an, faire un 120 pages en couleur directe, c’est un peu un challenge-marathon, surtout en série. Après, c’est une série, avec Luc Brunschwig, qui parle de politique, de social, de super-héros, franchement, c’est un plaisir à faire !
- Un dernier mot, un conseil à partager ?
Luc : J’espère sincèrement qu’avec ce drame, on aura compris les limites du capitalisme et surtout du néo-libéralisme sauvage et délétère. Que ce qui se passe aujourd’hui aux USA nous aura convaincu d’arrêter de prendre ce pays comme modèle de développement économique et écologique. En même temps, je n’y crois pas une seconde. Le capitalisme sait se nourrir des drames pour se renforcer et user de la sidération dans laquelle sont les gens pour prendre des décisions nuisibles au bien commun impossibles à prendre en temps normal (encore que depuis quelques années, le niveau de culot des politiques est devenu ahurissant de cynisme). Donc, à demain dans un monde qu’il nous faudra surveiller de près pour qu’il ne devienne pas encore plus invivable qu’aujourd’hui.
Stéphane : Je vous conseille les vidéos des jours de confinement de Pierre-Emmanuel Barré sur Facebook, c’est tout simplement génial, analyse fine, hilarante et sans filtre de cette période étrange et spéciale.
Pour finir, nous vous proposons de découvrir la vidéo musicale " confinée " de Van Hammer Stone , le groupe de métal au sein duquel Stéphane troque ses pinceaux pour chanter à gorge déployée…
Et pour en savoir plus : https://www.facebook.com/vanhammerstone