REALISATION
Giovanni Fago
SCENARISTES
José Luis Jerez Alosa et Rafael Romero Merchant, d’après une histoire de Giovanni Fago, Antonio Troiso et Bernardino Zapponi
DISTRIBUTION
Tomas Milian, Ugo Pagliai, Eduardo Fajardo…
INFOS
Long métrage italien/espagnol
Genre : aventures/western
Année de production : 1970
Pas le plus prolifique des cinéastes de l’âge d’or du cinéma d’exploitation italien, Giovanni Fago n’a tourné qu’une poignée de longs métrages et quelques téléfilms et épisodes de série télévisée pour le petit écran. Il a débuté sa carrière en réalisant coup sur coup trois westerns : Le Jour de la Haine avec Gianni Garko, déjà chroniqué dans ces colonnes, Los Machos avec George Hilton et Paul Muller et O’Cangaceiro avec le comédien cubain Tomas Milian, qui a (entre autres choses) fait les belles heures du western spaghetti de la fin des années 60 et du début des années 70 avec notamment l’un de ses personnages fétiches, le mexicain Manuel « Cuchillo » Sanchez qu’il a interprété dans les très réussis Colorado et Saludos, Hombre de Sergio Sollima.
O’Cangaceiro est catégorisé comme un western et pourtant, même s’il en reprend certains codes, le film lorgne plus vers l’aventure historique et se déroule dans un pays auquel on ne pense vraiment pas de prime abord lorsqu’on évoque le genre : le Brésil.
Giovanni Fago était en effet passionné de culture brésilienne et fasciné par l’une de ses figures populaires : le cangaceiro.
Apparu dans la deuxième moitié du XIXème siècle, le cangaceiro était ce qu’on pouvait appeler une figure du banditisme social. Dans un pays en proie à des inégalités sociales criantes, des hommes et des femmes décidèrent de devenir des bandits de grands chemins, des rebelles contre le gouvernement qui apportaient leur soutien aux peuplades les plus pauvres. Cangaceiro avait ainsi plusieurs significations…bandit, mercenaire ou encore garde du corps. Mais le mot étant dérivé de cangaço (ou fardeau), il désignait aussi un symbole de liberté et de révolution. Les cangaceiros ont été au centre de nombreux récits populaires brésiliens qui ont alimenté leur légende.
Se déroulant pendant une période indéterminée entre les deux Guerres Mondiales, O’Cangaceiro suit donc le parcours d’un chef de cangaceiros, l’illuminé Espedito Le Rédempteur.
Espedito est l’unique rescapé du massacre par une troupe de militaires d’un village qui a commis le crime d’avoir abrité des cangaceiros. Sauvé par un ermite mystique à moitié fou qui voit en lui le Christ revenu sur Terre, Espedito décide alors de semer la bonne parole, une machette et une croix dans chaque main. Il est arrêté et jeté dans une prison dont il parvient à s’échapper avec plusieurs compagnons. Il décide alors de continuer son combat contre le gouverment en fondant sa propre troupe de cangaceiros. Un jour, il rencontre un ingénieur hollandais venu inspecter les ressources de la région pour une compagnie pétrolière. Une certaine amitié naît entre les deux hommes…mais les projets du gouverneur de la région, attiré par les promesses de richesse apportées par le pétrole, vont à nouveau ébranler les convictions de Espedito…
Drôle de « semi-western » que voilà, bercé par une nonchalante bande originale (le compositeur Riz Ortolani s’étant immergé avec bonheur dans les sonorités locales et utilisant à plusieurs reprises le chant traditionnel Mulher Rendeira) et qui parle de sujets dramatiques sur un ton souvent presque léger, avec des éléments de comédie appuyés. Visiblement peu intéressé par une violence trop démonstrative, Giovanni Fago pratique l’ellipse et par exemple, ne s’attarde pas sur les exactions des militaires : le massacre du village au début du film se déroule hors-champ et l’un des autres moments-clés du récit est juste évoqué au détour d’une réplique.
Fago s’attache surtout à décrire le parcours d’un paysan inculte, dont la « crise de foi » et la soif de justice va le hisser au rang de héros national. L’impeccable Tomas Milian crève comme souvent l’écran et nous livre un spectacle à la hauteur de sa démesure, aussi exubérant en prophète à la coiffure afro improbable qu’en Zapata brésilien. L’une des bonnes idées du scénario est d’opposer à ce rustaud délirant et touchant à la fois un personnage plus posé, l’ingénieur Vincenzo joué par l’italien Ugo Pagliai, avec lequel un respect mutuel va germer lors d’une scène géniale (pendant laquelle Vincenzo doit lire d’une traite un roman à un Espedito qui pensait jusque là qu’un seul livre existait, la Bible) et grandir tout au long des péripéties concoctées par les scénaristes.
Malgré quelques choix de réalisation peu inspirés et ces ellipses narratives dont je parlais plus haut (et qui font que certains passages manquent un peu de cohérence), O’Cangaceiro est une oeuvre originale et divertissante, au propos passionnant et à l’interprétation savoureuse.