Bon, drôle de film au final : très intéressant et virtuose à sa manière, mais inabouti quand même au bout du compte. On dira que le film a les défauts de ses qualités, comme on dit : son dispositif original en fait le sel et la limite…
Je passe sur le sous-texte du film, pas inintéressant mais très largement relégué à l’arrière-plan ici, qui évoque la célébrité, les nouvelles technologies et le statut des stars à l’heure de l’ère numérique, avec une touche que je qualifierais de De Palmo-hitchcockienne par là-dessus. Voyeurisme, perversité… : on n’est pas loin du giallo et de ses motifs non plus, on y reviendra ; le film cite de plus très explicitement ses sources : au-delà du titre, une scène rappelle « Fenêtre sur Cour », et la mise en abyme du début avec le faux film carpenterien fait penser au début de « Blow Out » et son film d’horreur cheap.
Ce qui frappe ici, c’est le défi apparemment insensé que se lance Vigalondo en termes de mise en scène : le film est tout entier un plan-séquence qui zoome ou dézoome sur l’écran d’ordinateur du héros interprété par Elijah Wood, au gré de la gestion par les persos des fenêtres qui s’ouvrent ou se ferment.
Quelque part entre « La Corde » de Hitchcock (un film en un seul -faux- plan-séquence), « L’Arche Russe » de Sokourov (un film en un seul -vrai- plan-séquence) et le found-footage, même si le film me semble infiniment plus intéressant que ce qui se fait dans le genre, Vigalondo déploie des trésors d’imagination pour dynamiser son dispositif très statique et rigide sur le papier. Que d’idées ! que d’ingéniosité !! quel travail de dingo sur le script !!! Au passage, Vigalondo trouve aussi des idées formidables pour représenter via la mise en images le principe de mise en abyme du film, ses « emboîtements » successifs (une nana est manipulée par un mec manipulé par un mec manipulé par…mais je m’arrête là), avec un chouette effet « vache qui rit » vers le début, par exemple.
Mais…car il y a un mais…le film a vraiment d’énormes (j’insiste : ENORMES) problèmes de dynamique, conséquences logiques de ce dispositif si particulier. Eh oui : pas de réels découpage, pas de champ / contrechamp ou autre outils narratif propre à capter et amplifier l’attention du spectateur (c’est en ça que le film, s’il peut être qualifié de hitchcockien, s’éloigne aussi de ce modèle classique), même si Vigalondo trouve quelques ruses pour « simuler » ces divers éléments (certains passages rapides d’une fenêtre à l’autre font office de champ / contrechamp par exemple). Du coup, le film est court et pourtant on trouve parfois le temps long…
D’autre part, le scénario pose problème : entièrement conçu pour permettre au dispositif d’exister, il accumule les évènements « arbitraires », rien ne semblant justifier vraiment l’enchaînement des péripéties si ce n’est la nécessité de mettre le prochain enchaînement en place. L’empathie, l’immersion en souffrent évidemment.
Et puis Vigalondo voit peut-être un peu trop gros avec son accumulation de twists tous plus improbables les uns que les autres (le dernier, c’est le pompon, même si le tout reste fun).
Reste de bons acteurs (la belle Sasha Grey, qui s’en sort très bien je trouve, en plus d’être ultra-sexy), voire très bons (Neil Maskell dans un rôle de tueur psychotique qui semble lui coller à la peau, vêtu comme le tueur du fabuleux giallo « Torso » de Sergio Martino ; au passage, Vigalondo semble vraiment obsédé par la veine slasher / giallo).
Un essai courageux et virtuose, mais à la limite du non-cinéma du fait même de son concept. J’ai vraiment envie de voir maintenant l’inédit « Extra-terrestre » pour jauger au mieux les capacités de Vigalondo, maëstro de la narration barrée et ludique…