RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

Créé en 1940 par Jerry Siegel et Bernard Baily dans les pages de More Fun Comics, le Spectre fait ses débuts sous la forme d’un fantôme vengeur avant de rejoindre les rangs de la Société de Justice, puis de devenir le faire-valoir presque humoristique d’un personnage de policier. Comme beaucoup des super-héros de l’Âge d’Or, il finit par disparaître. Il revient dans ls pages de Showcase, en 1966, grâce à Julius Schwartz qui confie à Gardner Fox et Murphy Anderson la tâche d’un faire un être menaçant à nouveau. La série est marquée par des épisodes de Neal Adams, qui contribue à lancer le héros dans des aventures cosmiques face à d’autres entités surpuissantes. Mais le Spectre retombe vite dans l’oubli.

5193AMPY5HL

C’est là qu’interviennent Michael Fleisher et Jim Aparo. Alors responsable du contenu d’Adventure Comics, Joe Orlando décide de donner la vedette (et donc la couverture) au Spectre, un personnage qui flatte son goût pour les récits fantastiques ou horrifiques. Il confie l’écriture à Fleisher et le dessin à Jim Aparo, qui s’est déjà fait remarquer pour des épisodes très convaincants du Phantom Stranger. Les deux auteurs, à l’instigation d’Orlando, reviennent à la dimension de créature vengeresse. Et se lancent dans une série d’épisodes où le Spectre poursuit des voleurs, des terroristes, des savants fous, des comploteurs, qui à la fin des récits sont promis à des morts symboliques mais tout de même violentes et très visuelles.

RCO001_1469550854

La prestation de Fleisher et Aparo durera dix numéros, d’Adventure Comics #431 à 440, en 1975 et 1976. La structure est au départ immuable : le Spectre, souvent sous son avatar de Jim Corrigan, assiste à un crime de sang, qu’il va châtier de manière impitoyable. Les auteurs alignent quelques images qui resteront dans les mémoires : le coiffeur coupé en deux par des ciseaux géants, l’assassin transformé en tronc d’arbre qui sera débité par une scie automatique, la femme (en réalité un pantin) démembrée par une hache tourbillonnante…

RCO003_1469550854

La succession de violence gore, même si, censure oblige, l’essentiel est masqué ou hors-champ, entraînera de vives critiques, y compris à la rédaction de DC. La tonalité générale sera associée aux ventes qui ne décollent pas, et le Spectre, qui avait remplacé Black Orchid dans le sommaire, repartira vers son néant, remplacé par Aquaman. Ce dernier sera également dessiné par Jim Aparo, cette fois-ci associé à Paul Levitz (nouvel assistant d’Orlando) puis à David Michelinie, pour une période très vivante et dynamique de la carrière du justicier aquatique.

RCO015_1469550854

Signalons que si Jim Aparo assure la cohésion graphique de la série, il est néanmoins remplacé par Frank Thorne pour un épisode et par Ernie Chua pour deux autres. Aparo signera l’encrage afin de conserver aux récits la même identité visuelle, conférant à l’ensemble une tenue évidente. Et son style est de premier ordre. Assurant dessin, encrage et parfois lettrage, il livre des planches d’une remarquable unité, avec des personnages à la fois beaux et expressifs, très présents. Son style délié laisse peut-être penser qu’il aura été une lecture favorite d’un Mike Zeck ou d’un John Byrne, qu’on imagine sans mal emprunter quelques astuces visuelles à Aparo.

RCO002_1469551579

En matière de narration, Michael Fleisher, plus habitué à la prose, travaille avec un ami, Russell Carley, qui se charge de la « art continuity », dont la teneur reste floue. Si l’on en croit les commentaires de Peter Sanderson dans le recueil édité en 2005, il s’agit d’une étape consistant à découper le script en cases. On imagine donc aisément un storyboard. Ou peut-être simplement une réécriture en prose du texte initial, spécifiant au dessinateur ce qui est représenté dans chaque vignette, sans pour autant lui imposer de croquis. Toujours est-il que Carley assurera ce rôle sur la plupart des épisodes, laissant son ami travailler seul sur les derniers chapitres.

RCO010_1469551579

Michael Fleisher ne se contente cependant pas d’aligner les histoires de vengeance surnaturelle, et la réputation de sa prestation sur le personnage oublie bien vite d’autres apports au héros, limitant de manière un peu injuste ses récits à un fantastique un peu sanguinolent (mais déguisé). En effet, au fil des épisodes, le scénariste ajoute des personnages secondaires appelés à revenir d’un chapitre à l’autre, créant ainsi une continuité et une évolution dans le récit, qui sort alors du schéma immuable et immobile de nombreuses productions DC. Sanderson, toujours dans son intro, rapporte des propos de différents observateurs de l’époque, qui comparaient ce que proposait Marvel à la même époque, concluant que DC avait un certain retard sur le sujet.

RCO007_1469551579

Arrive donc Gwendoline Sterling, fille éplorée de la victime du deuxième épisode, qui tombe amoureuse de Jim Corrigan. Mais dès le troisième chapitre, elle est confrontée à la double vie surnaturelle de l’objet de ses élans. Elle est suivie d’Earl Crawford, un écrivain et journaliste travaillant pour un magazine et présentant une ressemblance physique frappante avec Clark Kent (ce qui permettra à Fleisher quelques clins d’œil), et dont les enquêtes le conduisent sur les traces d’une force surnaturelle. Contrairement à Gwen, Earl ne connaît pas l’identité de Corrigan, même s’il soupçonne le policier d’en savoir plus qu’il ne l’avoue. Ces deux personnages constituent des fils rouges secondaires, des liens d’une intrigue à l’autre.

RCO007_1469525781

Gwen aura plus d’importance que Crawford. Poussant Jim à reconnaître ses sentiments et à l’épouser, elle conduit ce dernier à souhaiter retrouver une vie normale, une vie de mortel qui aime, souffre et vieillit. Et il se trouve que l’entité céleste qui lui accorde les dons du Spectre accède à sa requête. Mais Corrigan, ignorant ce changement, fonce à la poursuite d’un bandit en étant persuadé qu’il est aussi immortel qu’avant. Il se retrouve à l’hôpital, pourchassé par les autres membres du gang. Remis de ses blessures, il demande Gwen en mariage. L’intrigue est si dense qu’elle s’étale sur les numéros 439 et 440. Corrigan est tué. Enterré, il monte au « ciel », où il rencontre l’entité en question, qui parvient à le convaincre de reprendre sa mission. Ce qui ruine, bien entendu, ses projets de mariage.

RCO003_1469467664

La série s’arrête à ce moment. Cependant, l’annulation semble arriver de manière impromptue. Fleisher, qui a trouvé sa vitesse de croisière et vient de se lancer dans le premier diptyque de la série, a déjà écrit trois épisodes, qui ne seront pas dessinés. Rangés dans le tiroir de Joe Orlando, ils passent ensuite entre les mains de Paul Levitz et c’est finalement Robert Greenberger qui en hérite à l’occasion de la mini-série Wrath of the Spectre, parue en 1988. Durant cette décennie, DC a pour habitude de rééditer certains de ses titres de gloire sous la forme de mini-séries imprimées sur beau papier (le fameux « Baxter »). Parfois, ces productions mélangent des rééditions et des chapitres nouveaux (c’est le cas par exemple avec Doctor Fate).

RCO001_1583457196

Wrath of the Spectre répond à la description : les quatre premiers numéros reprennent les dix chapitres réalisés par Fleisher et Aparo (et leurs potes) en 1975 et 1976. Le quatrième assemble les trois récits écrits mais jamais illustrés. L’emploi du temps d’Aparo est aménagé de sorte qu’il puisse dessiner ces histoires. Cette fois-ci, l’encrage est confié à Mike DeCarlo, et le lettrage à Agustin Mas. Le caractère énergique des planches de 1975 se dilue dans un trait plus propre et une calligraphie plus régulière, plus calme. La frénésie est perdue. Aparo encre les couvertures inédites (de wraparound covers assez réjouissantes, qui reprennent certains des moments les plus grand guignol de la série), et on y trouve un peu de la force d’antan, faisant regretter qu’il ne fasse pas de même pour les planches intérieures.

RCO001_1583637514

Les trois récits jusque-là inédits prennent la suite des vieux épisodes. Les deux premiers constituent un diptyque consacré à Earl Crawford, accusé des crimes qu’il attribue, dans ses articles, à la force surnaturelle qu’il traque. Le dernier volet s’attarde sur une femme maîtrisant le vaudou et travaillant le compte d’un associé véreux de Gwen, elle-même héritière de l’empire textile de son père.

RCO003_1583637466

Si le dessin est bien moins enthousiasmant qu’avant, la mini-série Wrath of the Spectre a au moins l’avantage de donner une conclusion, même incomplète, au travail de Fleisher, qui visiblement en avait encore en réserve. Notamment, le scénariste montre le Spectre utiliser ses pouvoirs illimités pour autre chose que la vengeance, ce qui pourrait laisser penser que les critiques à l’encontre de son approche s’étaient déjà exprimées et qu’il avait déjà réfléchi à manière d’y répondre. De même, le fait qu’il s’intéresse à ce point aux deux personnages sans pouvoirs de son feuilleton dénote sa volonté de décaler le centre d’intérêt de ses récits.

RCO006_1583637466

Signalons, pour les complétistes, que les numéros 1 et 4 de la mini reprennent également deux récits écrits par John Albano et illustré par Aparo, « Adventurers Club » et « The Demon Within », qui ne sont pas repris dans le TPB de 2005. Et qui sont d’épatantes petites histoires à chute.

RCO023_1583637466

Le TPB en question, sous une illustration d’époque, reprend l’ensemble de la saga. Le texte de Sanderson apporte un éclairage assez riche et remet bien dans le contexte cette version du personnage.