RÉÉDITIONS DC : TPBs, Hardcovers, Graphic Novels

L’arrivée de Zatanna dans l’univers DC ne ressemble à aucune autre. La belle magicienne, fille du héros Zatara, s’inscrit dans la lignée de ce dernier, et déboule dans la vie des héros DC non pas à l’occasion d’un épisode particulier, mais plutôt à la faveur d’une saga à suivre sur plusieurs séries, un crypto-cross-over qui valide et entérine le caractère d’univers partagé du catalogue tel qu’il est redéfini, autour de Julius Schwartz, au début des années 1960. Une épopée compilée en 2004 dans le recueil Justice League of America - Zatanna’s Search (ou JLA - Zatanna’s Search tel que c’est écrit sur le dos de l’ouvrage).

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Avant toute chose, un peu d’histoire. Zatara est un magicien portant frac et haut-de-forme, à l’image des illusionnistes de cabaret improvisés justiciers qui pullulent dans les comic books, tous émules de Mandrake, le héros de comic strips inventé par Lee Falk et Phil Davis.

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Zatara a pour particularité d’être aussi vieux que Superman, puisqu’il fait son apparition dans les pages d’Action Comics #1, en 1938, sous les crayons inspirés de Fred Guardineer. Ce dernier officie dans un style très propre, limpide, d’une grande élégance, qui ne masque pas les faiblesses du dessin (rapidement évacués dans sa courte carrière) mais au contraire en tire profit : la légère raideur des personnages se marie à merveille à l’encrage soigné et à la composition immuable des planches. Pour la petite histoire, Guardineer quitte le monde de la bande dessinée en 1955 (période difficile pour la profession, reconnaissons-le) et devient facteur, continuant à livrer quelques illustrations à destination de magazines locaux. Quant à Zatara, il connaît une belle carrière, puisque ses aventures se prolongent jusqu’en 1951.

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Ainsi que le rappelle Steven Utley dans son introduction, Julius Schwartz, issu du monde de la science-fiction avant de devenir responsable éditorial chez DC en 1944, est parvenu à reconstituer une écurie de héros, depuis l’arrivée du second Flash en 1956, et à constituer un catalogue cohérent et populaire, avec l’aide des scénaristes Gardner Fox et John Broome et de dessinateurs tels que Gil Kane ou Carmine Infantino. Et ainsi, après avoir remis sur le devant de la scène des héros tels que Flash, Green Lantern, Atom, Hawkman et quelques autres, sous une forme nouvelle ou pas, Schwartz se demande quel ajout apporter à ce petit univers en pleine croissance. Pour Gardner Fox, qui a écrit un grand nombre de scénario pour les aventures de Zatara, la réponse semble évidente.

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Mais Schwartz et Fox choisissent de procéder d’une manière nouvelle. Plutôt que d’introduire le personnage dans une série anthologique à la Showcase (après tout, ça a bien marché pour Flash ou Green Lantern…) ou de le faire apparaître dans les aventures d’un de ses éminents collègues, ils préfèrent ménager le suspense et entretenir le mystère quant aux raisons de l’absence du célèbre magicien. Et ils finissent par opter pour une solution ingénieuse : montrer la fille de Zatara, prénommée Zatanna, parcourir les dimensions à la recherche de son père.

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On peut voir à cette astuce deux motivations complémentaires. En premier lieu, par prudence, le responsable éditorial et le scénariste utilisent les pages de séries désormais installées afin de promouvoir leur nouveau personnage, sans prendre le risque d’y consacrer un épisode nouveau. La prudence se voit notamment dans la volonté de ne pas mettre Zatanna en couverture. En second lieu, le choix de montrer non pas le magicien mais sa fille associe la volonté de nouveauté qui a déjà prévalu à l’apparition de Barry Allen ou Hal Jordan, la nécessité d’exploiter le catalogue et l’ambition de féminiser le casting en apportant un personnage sexy, séduisant mais déterminé. Et si tout se déroule comme l’équipe éditoriale l’envisage, ce n’est pas un mais deux personnages qui débouleront dans les bandes dessinées.

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Donc, Zatanna fait son apparition dans les pages de Hawkman #4 (par Gardner Fox et Murphy Anderson), daté de novembre 1964, dans lequel la jeune magicienne apparaît en double au couple de héros ailés, qui parviennent à la « réunir » et à la sortir de sa torpeur magique, ce qui lui permet en quelques bulles d’expliquer la quête qui la motive : retrouver son père. À l’issue d’un épisode rondement mené (treize pages, le récit ouvrant le sommaire), Zatanna remercie ses sauveteurs et reprend ses recherches.

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Commence alors un véritable périple dans les méandres de l’éditeur. Zatanna fait un crochet par diverses séries, toutes supervisées par Schwartz et à l’occasion d’épisodes rédigés par Fox. Dans les pages de Detective Comics #336 (daté de février 1965), elle n’apparaît pas. En revanche, Batman et Robin affrontent une sorcière ricanante, juchée sur un balai volant. Si la connexion avec Zatanna n’est pas explicite, elle sera exploitée dans le dernier chapitre de la saga.

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Pour l’anecdote, l’épisode se situe à une période où Alfred Pennyworth est mort, écrasé par un rocher dans Detective Comics #328. Dans la période qui suit, Batman est harcelé par un mystérieux vilain appelé l’Outsider, dont l’apparence est inconnue et qui se fait entendre par le biais de différents dispositifs. Dans Detective Comics #356, le Dynamique Duo apprend qu’en réalité, Alfred a été ressuscité par un scientifique qui teste ainsi un matériel expérimental, mais qu’il a perdu la tête, prenant Batman pour cible. L’apparition (si l’on peut dire) de Zatanna se fait dans le cadre de cette période aux rebondissements capillotractés.

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La troisième apparition de Zatanna se déroule dans The Atom #19, de juin 1965. Toujours à la manœuvre, Gardner Fox est associé ici à Gil Kane et Sid Greene, pour un récit opposant science et magie. Le portrait de Zatanna figure en couverture, ce qui témoigne de l’assurance que prend la rédaction, visiblement satisfaite des réactions à la sortie de Hawkman #4.

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Si Murphy Anderson est un excellent dessinateur, Gil Kane, quant à lui, est un as de l’action, un spécialiste de l’anatomie, un prodige de dynamisme. Et donc, quand Zatanna apparaît (avec la note de bas de case qui va bien), la belle héroïne bénéficie d’une touche de glamour en plus.

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Autre signe de la confiance que Schwartz et Fox entretiennent à l’égard de leur nouvelle héroïne et de sa quête, le récit occupe l’ensemble des pages, et n’est pas réservé à une moitié de sommaire. Les auteurs peuvent donc profiter de la pagination et des pleines pages de chapitre pour s’attarder sur les jolies gambettes de la magicienne.

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La prochaine étape conduit Zatanna dans les pages de Green Lantern #42, daté de janvier 1966. Cette fois, Zatanna n’est plus en médaillon mais participe à l’action (bon, certes, un peu dans le rôle de la demoiselle en détresse, oui…).

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Aux commandes, à nouveau Schwartz, Fox, Kane et Greene, pour un nouvel épisode où l’univers scientifique du héros cosmique percute un décor de fantasy qui convient parfaitement à l’environnement magique de Zatanna. Il faut dire que la série, qui propose régulièrement des explorations de mondes lointains, a toujours facilité les mélanges de genre de ce type. Pour les lecteurs, ce n’est guère une nouveauté.

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Fox, qui a rédigé l’ensemble des chapitres de cette quête, glisse des séquences de flash-backs dans lesquelles Kane reprend certaines scènes clés des épisodes précédents. Pour le lecteur de passage, voilà qui éclaire l’intrigue, et pour celui qui a suivi les pérégrinations de la magicienne, voilà un clin d’œil bienvenu, qui récompense sa fidélité.

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Dernière étape avant la conclusion : Zatanna refait un tour dans la série ayant lancé les aventures de Batman, à l’occasion de Detective Comics #355, daté de septembre 1966. Mais cette fois, ce n’est pas le Chevalier Noir qu’elle vient consulter, mais un autre détective qui partage le sommaire, Elongated Man.

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Ralph Dibny croise donc le chemin de la belle magicienne dans un épisode illustré par Carmine Infantino, qui assure également l’encrage. Son trait est plus épais, le rendu moins lisse, mais il y a une spontanéité et une énergie incroyable dans ces quelques planches, où Zatanna tient véritablement la vedette et résout l’enquête avec efficacité.

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Après ce tour d’horizon des grands personnages DC (supervisés par Julius Schwartz : on notera l’absence de Superman, géré par Mort Weisinger, ou de Wonder Woman, dont Robert Kanigher a la charge), il est grand temps que la quête de Zatanna trouve sa conclusion.

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C’est chose faite dans Justice League of America #51 (daté de février 1967), toujours écrit par Gardner Fox, avec Mike Sekowsky et Sid Greene aux crayons et pinceaux. Pour l’occasion, Elongated Man fait aussi une petite visite, même s’il n’est pas membre officiel de l’équipe à l’époque.

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Les choses commencent en trombe quand la magicienne se matérialise devant les héros, afin de les remercier pour l’aide qu’ils lui ont apportée, événement dont ils ne semblent pas se souvenir. Toute à la joie de revoir ceux qu’elle a croisés officiellement, elle s’empresse de raconter les derniers développements de sa quête.

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Elle raconte comment elle a invoqué des doubles mystiques de Green Lantern, Atom et Hawkman dans une nouvelle mission, alors qu’elle s’approchait visiblement de l’endroit où se trouve son père.

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Mais visiblement, Zatara n’est pas disposé à être retrouvé ni secouru. Aidé des versions magiques des Justiciers, elle parvient cependant à arracher son père à l’emprise mystique dont il est victime. Les Justiciers découvrent donc une aventure aussi délirante que celles qu’ils ont réellement vécues.

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Fox en profite pour connecter officiellement cet épisode à Detective Comics #336, en expliquant à Batman, par la bouche de son héroïne, qu’elle avait pris l’apparence de la sorcière, persuadée à l’époque que l’Outsider disposait d’informations susceptibles de l’aider. Rattrapage un peu tardif, qui intègre cet épisode dans la vaste quête.

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Une quête qui se sera déroulée sur plusieurs séries, durant plus de deux ans, et qui constitue une sorte de cross-over discret et non officiel, compilé dans ce recueil. Et qui aura l’avantage d’apporter à l’univers DC l’une de ses plus belles représentantes en matière de glamour et de sexy.

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Un sommaire complété par « The Secret Spell », un récit de Gerry Conway et Romeo Tanghal issu de DC Blue Ribbon Digest #5, de 1980, dans lequel Zatanna se perd dans des lectures mystiques lui évoquant le souvenir de son père.

Jim

Petit bonus : une jolie illustration de Zatanna, par le dessinateur et encreur Joe Giella :

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