RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Puisque je suis dans les asgarderies diverses, j’ai relu récemment tout un cycle d’aventures qui, d’extérieur, pourraient donner l’impression d’une disparité surprenante et qui, pourtant, constitue un tout presque cohérent malgré le foutoir éditorial de l’époque.

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Tout commence avec Thor #491, et l’arrivée du scénariste Warren Ellis sur la série. Resituons un peu le contexte. Le dieu du tonnerre, qui a connu une longue période animée par Tom DeFalco (ancien rédacteur en chef du catalogue), puis deux prestations tentant de projeter le héros dans de nouvelles directions (Jim Starlin et Bruce Zick tentent de décrire ce qu’il advient du Fils d’Odin quand il est pris par une folie de « berserker », tandis que Roy Thomas emporte M. C. Wyman dans un de ces ravalements de continuité qui l’obsèdent), est dans une situation trouble. La série ne sait pas trop où elle se dirige et, surtout, elle a souffert de la présence de dessinateurs qui soit ne conviennent pas (Bruce Zick est un merveilleux dessinateur, pour peu qu’on le laisse faire ce qu’il veut, mais l’encadrement Marvel ne lui convient pas) soit ne sont pas assez bons (les recopiages de John Buscema ne feront jamais oublié que Wyman ne sait pas dessiner). Et paf, voilà que Warren Ellis arrive. Assisté de Mike Deodato, fraîchement encensé après ses épisodes de Wonder Woman.

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C’est assurément à Mark Gruenwald et à Ralph Macchio que l’on doit la volonté de secouer le cocotier, en donnant les clés de la série à deux auteurs en vogue. Ellis commence à se faire un nom (il n’a pas encore travaillé sur StormWatch, qui est selon moi le premier tournant décisif de sa carrière) et une réputation d’iconoclaste. Quant à Deodato, c’est un croisement entre Neal Adams et Jim Lee, dont la présence assure déjà une certaine visibilité. Ce qui est intéressant avec les quatre numéros qu’ils réaliseront ensemble (Deodato restant un peu plus longtemps que son scénariste), c’est qu’ils annoncent plein de choses sur leurs travaux à venir.

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Car depuis lors, on a remarqué une chose chez Warren Ellis : il ne reste jamais longtemps sur les séries qu’il écrit. Et souvent, ses prestations apportent des idées neuves sur lesquelles ses successeurs peuvent broder à loisir. On se souviendra du récit « Extremis » pour la série Iron Man, qui a nourri pendant des années les intrigues liées à « Tête de Fer ». Dans le cas de « Worldengine », l’intrigue qu’il tisse pour Thor, c’est un peu la même chose.

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Dès les premières pages, il nous présente un Thor amaigri, malade, mourant. Pire, le Fils d’Odin est rejeté par son père, dont on connaissait déjà le caractère de mauvais coucheur, mais l’acariâtre vieillard semble ici dépasser toutes les bornes en reniant son rejeton. Les raisons de la dégradation catastrophique de l’état de santé du héros sont exposées dès le premier numéro, alors qu’il découvre que l’arbre-monde, le frêne Yggdrasil, est torturé par des machines dans les sous-sols de la ville. Dans le même temps, l’Enchanteresse apparaît à New York.

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Dans le deuxième épisode, il présente l’inspecteur Curzon, un policier britannique détaché à New York, qui enquête sur une série d’hallucinations mettant en avant la vision d’un arbre-monde. Beta Ray Bill tombe dans le coma, Odin prophétise l’arrivée de Ragnarok (encore !!!) et l’Enchanteresse se présente à Thor. L’enquête continue dans le troisième chapitre, où les lectures de Curzon permettent au scénariste de s’interroger sur la nature de Thor et du panthéon nordique (des dieux ? des extraterrestres ?). Les choses ralentissent, Thor et l’Enchanteresse se rapprochent, l’intrigue semble marquer le pas, et l’électrochoc du premier chapitre est un peu oublié.

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Les choses rebougent à nouveau dans le quatrième et dernier chapitre de « Worldengine », où Thor et l’Enchanteresse découvrent Price, un savant fou ayant récupéré une installation souterraine destinée à l’origine à enfermer les surhommes allemands durant la Seconde Guerre mondiale. C’est là qu’il a installé un laboratoire destiné à torturer Yggdrasil, à lui faire croire que le Regnarok est arrivé afin qu’il tue les dieux nordiques, puis à l’utiliser en vue de créer une nouvelle race humaine « post-Ragnarok ». Sauf que le Ragnarok n’a pas eu lieu, que sa race n’est pas viable, qu’il est tué par les clones décérébrés qui lui servent d’esclaves, et que Thor relance la machine.

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Sous les dessins énergiques et séduisants de Deodato (qui sexualise à outrance ses protagonistes, certes, mais ça reste très joli), il manque un réel enjeu, un rythme, une tension. Le premier et le quatrième épisodes sont très chouettes, débordant d’idées et de dialogues savoureux (Ellis sait faire parler les savants fous), mais le récit a un gros ventre mou de deux épisodes (la moitié du récit, quand même). L’ensemble fait un peu remplissage. La disparition de l’inspecteur Curzon, dans un éclair de lumière, ne fait que renforcer cette sensation : Ellis a accumulé des détails afin de tenir quatre épisodes.

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Néanmoins, l’importance de « Worldengine » apparaîtra rétrospectivement, lors de la lecture des deux grandes sagas qui suivront. Les idées proposées dans les quatre épisodes d’Ellis servent effectivement de base aux récits de William Messner-Loebs et de Tom DeFalco, et c’est là qu’on se rend compte que l’ensemble constitue un projet d’editor plus qu’une proposition de scénariste. On peut effectivement imaginer qu’à l’approche du cinq centième chapitre, Gruenwald et Macchio cherchent à donner de l’ampleur aux récits proposés, afin de marquer le coup.

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Graphiquement, Deodato assure. Si on sent une légère baisse dans l’encrage (et même dans le dessin à certains moments, signe qu’il recourait déjà à quelques assistants), il livre des planches dynamiques, riches, expressives, ainsi que de belles splash, malgré la présence de doubles pages disposées dans le sens « centerfold ». Il utilise des tics visuels intéressants, à l’exemple des images formées par plusieurs cases juxtaposées (ou des vignettes découpées par des intercases surnuméraires, si l’on veut), procédé qu’il généralisera des années plus tard dans des récits comme Original Sin, par exemple.

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« Worldengine » a été réédité sous forme de TPB souple en 1998, puis dans la collection cartonnée « Marvel Premiere Edition ». Sans compter, me semble-t-il, l’insertion du récit dans la collection « Epic ».

Jim