Au tout début des années 2000, Marvel publie une mini-série en quatre numéros intitulée Avengers Infinity qui a la particularité de voir le scénariste Roger Stern renouer avec une équipe de héros qui compte parmi les sommets de sa carrière. Le récit sera compilé en 2013, frappé du qualificatif « Classic » assez incongru sauf à imaginer que la rédaction cherche à qualifier le récit, réédité à une époque où la franchise est marquée par l’optique Bendis et les grandes fiestas éditoriales secouant régulièrement l’univers Marvel.
Et en effet, il se dégage de ces quatre épisodes un parfum légèrement suranné qui contraste avec la « modernité » des aventures avengeriennes du moment, et c’est sans doute ce que veux signifier ce qualificatif afin d’exploiter une mini-série elle-même sortie avant la période Bendis et plutôt rattaché à la continuité et à la tradition, dans la lignée de la période Busiek contemporaine de la parution des quatre fascicules. Tout l’art équilibriste de profiter d’un air du temps pour republier quelque chose qui n’y appartient pas…
Bref.
Donc, le récit voit plusieurs Vengeurs, au statut d’anciens, de réservistes ou d’inactifs, s’allier afin de contrer une menace commune, plus grande que celles qu’ils pourraient affronter en solo. Classique, quand on considère la série.
Le récit s’ouvre sur Monica Rambeau, qui a pris de la distance par rapport à son rôle d’héroïne. La jeune femme s’est fait connaître sous le nom de Captain Marvel, en apparaissant dans un Amazing Spider-Man Annual écrit par Stern et dessiné par Romita Jr. Le scénariste intègre bientôt la nouvelle héroïne dans ses épisodes d’Avengers, au point d’en faire la cheffe de groupe. Le personnage est donc la clé d’entrée dans la mini-série, à la fois pour le scénariste et pour le lecteur.
Le deuxième héros sélectionné est Quasar, héritier des bracelets quantiques de Marvel-Boy à l’origine, puis intronisé « protecteur de l’univers », et donc successeur du premier Captain Marvel. Quasar a été la vedette d’une série homonyme écrite par Mark Gruenwald entre la fin des années 1980 et le milieu des années 1990. Héros pétri de doute vivant dans l’admiration d’un Captain America, il est ici l’occasion pour les auteurs de rendre hommage à Gruenwald, décédé quelques années plus tôt (son nom apparaît à la fin du quatrième épisode.
C’est Quasar qui va découvrir une colonie rigellienne dévastée et trouver un dernier survivant, ce qui l’amènera à contacter d’autres membres de la prestigieuse équipe afin de constituer un commando susceptible de mener l’enquête. Se joindront à la mission Tigra et Starfox (lui-même autre personnage fétiche de Stern qui compte parmi les premières recrues dans ses épisodes d’Avengers, et constitue donc une autre clé d’entrée), en villégiature dans l’espace, Thor qui rumine de sombres pensées (au même moment, il traverse une période difficile dans la série écrite par Dan Jurgens), Moondragon qui prend tout le monde de haut et bien entendu Monica Rambeau, qui officie sous le nom de Photon.
La réunion des personnages est l’occasion de découvrir l’identité du dernier survivant sauvé par Quasar : Jack of Hearts, héros incertain qui a trouvé une destinée cosmique dans les épisodes de Silver Surfer écrits par Ron Marz, et qui, depuis lors, évolue en arrière-plan de l’univers Marvel. C’est alors que les héros sont attaqués par les Servitors, des êtres apparemment artificiels qui se dupliquent quand ils sont brisés (pas pratique pour cogner dessus !).
Commence alors un jeu de la surenchère assez rigolo. Dans l’univers Marvel, l’espace infini est souvent le biotope propice à de la vie surdimensionnée. Et Roger Stern s’amuse avec ce postulat, présentant les Servitors, déjà bien maousses, comme des exécuteurs au service d’êtres cosmiques colossaux, les Infinites, qui feraient passer Galactus pour un nabot chétif. Mais le scénariste nous réserve une surprise : ce que les héros prenaient pour les Infinites ne sont en fait que les Walkers, serviteurs intermédiaires, et les Infinites, les vrais, sont tellement grands que seule la main de l’un d’eux apparaît dans le récit. On y revient.
L’un des attraits du récit est, bien entendu, la dynamique de groupe. Animant une équipe de héros éloignés de la formation principale (dont les aventures sont à l’époque rédigées par Kurt Busiek), la mini-série permet de faire vivre divers pans de la licence. Pour Stern, c’est l’occasion de remettre sur le devant quelques personnages savoureux, dont ses chouchous (Starfox et surtout Photon).
Les tensions entre Monica et Thor sont palpables. Cela dit, la nécessité que la jeune femme éprouve à devoir réaffirmer son autorité sur un Dieu du Tonnerre bravache (assez dans la lignée de la version néo-kirbyenne que propose Jurgens à la même époque, somme toute), donne l’impression que le personnage a un peu régressé. Stern éprouve sans doute le besoin de replacer son personnage au centre. Et c’est tout l’enjeu de la mini-série que de ressouder des liens entre les équipiers et de redonner sa fierté à son héroïne.
Les deux derniers épisodes jouent à fond la carte de l’épique. Les héros voient arriver ce qu’ils pensent être la race des Infinites, et se lancent dans une quête d’information. C’est à ce moment que Moondragon, qui a soigné Jack of Hearts, offre à ce dernier un nouveau costume : semblable à l’ancien (petite pique au passage sur la tenue massive adoptée pour ses aventures spatiales) mais amélioré, il permet au lecteur de retrouver le personnage rococo qu’on connaît tous (et à le remettre en selle pour Kurt Busiek).
Le dernier chapitre montre comment Quasar, avec l’aide de Moondragon, contacte Eternity qui prend part au combat. Car l’enjeu est d’ampleur : les Infinites cherchent à déplacer la galaxie afin de réorganiser le cosmos dans une espèce d’aménagement feng shui de l’univers, selon l’expression de Tigra. Donc face à ça, il faut trouver des alliés qui envoient du bois.
S’ensuit une « rencontre du troisième type » avec d’un côté les héros et de l’autre les architectes d’intérieur cosmiques, avec une de ces discussions sur la diversité et la valeur de la vie, quelle que soit sa taille et son importance. Très classique, avec cette petite touche cucul qui semble parfois indissociable des épopées cosmico-symbolico-conceptuelles. À la fin, l’Infinite qui est leur interlocuteur décide d’offrir son essence afin de reconstruire les mondes disparus, pirouette un peu post-hippie mais qui fonctionne toujours.
Jonglant avec des concepts incarnés, Stern étonne : on se croirait peut-être plus dans un récit de Doctor Strange que des Avengers. La présence de Thor et son rôle dans la structure de l’équipe font aussi songer que le scénariste a peut-être retravaillé des idées qu’il avait en réserve dans sa proposition de reprise du personnage, qui a été écartée en faveur de celle de Dan Jurgens.
Le résultat est une mini-série aux idées proprement « bigger than life », au rythme soutenu, à la caractérisation réussie. Le dessin de Sean Chen, parfois un peu raide, fait quand même la part belle aux scènes d’action (et j’aime beaucoup sa Moondragon, snob et prétentieuse comme il faut). Le scénariste lutte pour redonner son lustre à Monica Rambeau, et il y parvient au final, même si les scènes d’engueulade sont peut-être un peu longues pour qui aurait connu la grande période, vingt ans auparavant.
Jim