Je viens de terminer le TPB consacré aux aventures de Doctor Strange dans les pages du Strange Tales des années 1980, dont il partageait le sommaire avec Cloak & Dagger.
C’est une période que je connais mal. Pour situer, nous sommes à la fin des années 1980. Le titre Doctor Strange s’est arrêté au numéro 81. Il est alors réalisé par Peter B. Gillis et Chris Warner, qui ont remplacé Roger Stern et Paul Smith (pour faire court). La série s’arrête donc, mais Marvel ne semble pas disposé à laisser tomber son personnage et le titre Strange Tales est créé, permettant de faire vivre des licences. Gillis et Warner vont donc reprendre les aventures du héros là où elles s’étaient arrêtées.
Pour la petite histoire, à la fin de l’intermède Strange Tales, une nouvelle série est lancée en 1989. Apparemment, c’est encore Gillis au scénario, mais les quelques avis que j’ai lus semble s’accorder pour dire qu’il était moins inspiré. Faudrait que je trouve ces numéros. Je ne connais que la reprise par Roy Thomas et Jackson Guice, donc je n’en sais gère plus.
Après avoir situé l’éditorial, situons l’action.
Doctor Strange vient de triompher d’un adversaire redoutable, mais il a dû détruire tous ses talismans, ses grimoires et ses artefacts magiques qui lui permettaient de tenir à distance les sales bestioles gourmandes des plans d’existence voisins. Donc, les épisodes de Strange Tales racontent comme le Sorcier Suprême se rend compte que le monde est menacé, qu’il n’a plus la carrure pour le protéger, et qu’il devra faire d’autres sacrifices afin de revenir dans la course. Et l’ensemble du récit (une petite vingtaine d’épisodes d’une dizaine de pages chacun) décrit la chute « vers le côté obscur » du bon docteur, qui suit l’enseignement de Kaluu, un vieux personnage créé par Ditko et présenté comme l’ennemi de l’Ancient One.
Graphiquement, ça démarre assez fort, puisque Chris Warner, alors en pleine émulation millerienne, assure comme un chef : scènes d’action puissantes, gonzesses magnifiques, mecs sur le même calibre, découpage efficace, planches construites, que du bon. Hélas, en cours de route, il est remplacé par des gens comme Terry Shoemaker, Dan Lawlis ou Richard Case. On sent l’envie de bien faire, il y a des belles cases ici et là, mais bon, c’est pas tip-top.
Le lettrage suit la même courbe. Au départ, c’est Bruzenak qui lettre, mais on a beaucoup d’épisodes gérés par Janice Chiang, et ses lettres fines sont trop maigres, alors que la ponctuation disparaît parfois entièrement. Dommage. On sent que l’editing de Carl Potts est solide, mais on peut se dire que les budgets alloués au titre ne sont pas suffisants pour retenir des faiseurs solides.
Ce qui est dommage, parce que le récit de Gillis est pas mal. De l’émotion, une situation tendue, des choix extrêmes (Strange « vole » leur énergie à Victoria Bentley puis à un ennemi afin d’affronter Shuma-Gorath). Le scénariste se frotte au thème du pouvoir absolu qui, ici, ne corrompt pas absolument mais dépersonnifie absolument (ce qui, au demeurant, revient un peu à la même chose). Et la manière qu’il propose de faire revenir le héros à la normale est aussi ingénieuse que belle. Avec un grand dessinateur, ça aurait donné un morceau incontournable. Les deux entrevues avec Victoria Bentley, les retrouvailles avec Wong et Sarah, sont également deux chouettes passages, un peu gâchés par des dessinateurs de second ordre.
Sans être au niveau de l’élégante période Stern, Gillis se pose en bon continuateur, parvenant à pousser assez loin les enjeux de la série. Stern avait repositionné le héros comme protecteur mystique de la planète, Gillis pose la question d’un pouvoir désincarné, la question du couteau à double tranchant.
Reste, graphiquement, les splendides couvertures, notamment dues au talent sans mélange de Kevin Nowlan, reproduites pleine page dans le recueil. Un bonheur en soi.
Jim