Je conserve une grande nostalgie de la série Thunderbolts dans sa version Kurt Busiek / Fabian Nicieza, avec une préférence peut-être pour ce dernier, qui est parvenu à pousser les curseurs encore plus loin : plus de vilains, plus de continuité, plus de sagas à rallonge, plus de coups de théâtre…
Quand Marvel a décidé d’annuler leur version pour celle d’Arcudi (très intéressante au demeurant), j’en ai été fort marri. Et quand l’éditeur a opté pour un retour de l’ancienne formule, sous le titre New Thunderbolts, j’était tout content. La traduction de quelques entrées relatives à cette série dans une encyclopédie sur laquelle je travaille m’a donné envie de me replonger dans la saga, et après la lecture des quelque vingt-huit épisodes, j’en ressors avec un grand plaisir.
Reprenons pour les retardataires. Les Thunderbolts à l’origine constituent un groupe de super-vilains qui se font passer pour des héros à une époque où les Fantastic Four et les Avengers sont absents. C’est aussi une époque où Internet n’a pas encore pris sa place dans les mentalités et les habitudes de consommation, de sorte que Kurt Busiek et Mark Bagley parviennent à conserver le secret quant à l’identité des protagonistes, révélée en dernière page du premier épisode.
La série propose des coups de théâtre, des changements de camp, des trahisons, des méchants qui deviennent gentils, des gentils qui deviennent méchants, des identités secrètes dans les identités secrètes (bien avant que Bendis ne fasse le mariole avec Ronin), beaucoup d’explosions, une exploitation de la continuité très finaude (et pas inaccessible, comme le laissent entendre les pourfendeurs de ladite continuité), bref, c’est un peu « la série où tout peut arriver », pour reprendre l’expression qu’appréciait la critique au lancement des Nouveaux X-Men.
Quand Nicieza, épaulé par l’excellent Tom Grummett (un dessinateur réaliste avec un touche de cartoony, que j’apprécie beaucoup et qui correspond à mes critères de dessin solide, compétent et joli à regarder) relancent l’affaire, Abner Jenkins, alias Mach IV alias le Beetle (l’ennemi de Spider-Man), décide de reformer les Thunderbolts. L’une de ses premières recrues est Donald Gill, alias Blizzard (l’ennemi d’Iron Man). Petit à petit, il pose ses pions : le financement du groupe effectué par un gros vilain (dont je tairai l’identité ici, afin de ne pas gâcher la surprise aux curieux), le retour (bref) d’un héros qui n’a pas sa place ici, l’arrivée d’un nouveau membre venu secourir les « héros » et éviter l’incident diplomatique, et dont la présence provoquera l’ire d’un souverain bien connu des lecteurs de Marvel, mais aussi les plans du Purple Man, lui-même agressé par une nouvelle version du Swordsman qui est manipulé par un personnage marquant de la série faisant ici son grand retour.
Lentement mais sûrement, Nicieza met en place un vaste plan qui constituera le fil rouge de ses vingt-huit épisodes. Chaque TPB peut se lire comme une aventure, mais il y a un fil directeur qui fait de l’ensemble une énorme saga, divisée en deux parties. La première se conclut avec le dix-neuvième chapitre, estampillé « Thunderbolts n°100 », et qui scelle le destin d’un des personnages, tout en redistribuant les autres sur l’échiquier.
La seconde partie, toujours aussi sympathique et dotée d’une dimension plus cosmique, voit le plan de Nicieza prendre de l’ampleur : on voit enfin ce que le Sinister Squadron trafique, on comprend un peu plus le plan du Grand Master, et l’énorme conflit annoncé se profile. Cependant, Nicieza doit faire avec les injonctions éditoriales, notamment avec deux épisodes opposant ses personnages aux New Avengers de Bendis, et l’inévitable tambouille de Civil War, dont il parvient à tirer un évident festin, en jouant sur le passé des personnages, leur psychologie et le vrai but de Zemo. C’est excellemment troussé, même si on sent que Nicieza en avait encore sous la pédale, et que l’énorme conflit aurait pu se développer à plus long terme si Marvel n’avait pas décidé de changer la formule de la série, en faisant d’elle un pâle décalque du Suicide Squad d’Ostrander.
Son écriture est plutôt astucieuse. Il ne recourt que très rarement à la voix off de personnage (privilégiant un narrateur omniscient), il ouvre chaque épisode quelques secondes, minutes ou heures après la fin du précédent, ce qui dynamise le récit et permet de passer sous silence des jonctions narratives qui seront rattrapées dans le fil du récit. Cela lui permet également de rester assez flou sur des détails qu’il affinera au fur et à mesure. L’effet secondaire, c’est que parfois, on a l’impression qu’il apporte des informations au dernier moment, mais ça n’a rien de bien contraignant à la lecture.
Je ne sais pas si ce volet de la série a été traduit. C’est pourtant une belle pièce, une lecture dynamique et inventive, une belle expression du genre super-héros. Et encore plus agréable à la deuxième lecture.
Jim