À la fois à cause d’une curiosité malsaine qui me pousse de temps en temps à creuser dans des directions inattendues et pas toujours passionnantes, et pour des raisons professionnelles de recherche de documentation et de prise de notes, je suis en train de me plonger dans l’exploitation cinématographique de l’univers de Resident Evil.
Je ne joue à aucun jeu vidéo, donc c’est un univers que je ne connais que de nom, et pour n’avoir vu qu’un seul film (le deuxième, bizarrement…). Déjà, j’apprends une chose : Resident Evil est le nom communément employé en occident, alors que c’est Biohazard au Japon. Et je trouve que Biohazard est éminemment plus parlant, voire plus inquiétant. Et n’induit pas, pour le profane qui voit ça de l’extérieur, une interprétation mystico-religieuse comme le mot « evil » peut le faire.
Bon, on connaît en gros l’histoire : dans un univers détruit par une invasion de zombie et où circulent des monstres génétiquement modifiés (et souvent tentaculaires, parce que c’est classe, les tentacules), on suit le parcours d’une super-soldate génétiquement bidouillée elle aussi, qui coupe du mort-vivant à la chaîne sur sa route pour la vérité, la justice, la vengeance, tout ça tout ça… Bref, un condensé de quelques grandes peurs modernes. Efficace, pas original, mais suffisamment riche (à condition de creuser un peu…).

Donc le premier Resident Evil, réalisé par Paul W. S. Anderson, date de 2002. J’ai vu à la téloche, il y a quelque temps, Resident Evil : Apocalypse (Alexander Witt, 2004), qui est plutôt mou, pas très bien amené, hésitant sur le genre et le ton, et au final filmé sous calmants avec des cuts poussifs. Il a un mérite, cependant, c’est d’affirmer le cycle d’aventure du personnage d’Alice, joué par Milla Jovovitch (et donc de s’affirmer comme licence déclinable). Mais d’un point de vue récit, c’est une belle porte ouverte, avec des fins dans la fin, c’est pas mal. Resident Evil : Extinction (2007) bénéficie de la caméra forte, toujours astucieuse, de Russell Mulcahy, qui n’a jamais, en trente ans, transformé l’essai de Highlander, mais qui est garant d’une certaine qualité d’image : cadrages évocateurs, lumières maîtrisées, ça donne sans doute le meilleur opus du cycle. Le moins mauvais diront certains, mais bon… Suivent, si mes notes sont complètes, Resident Evil : Afterlife (2010) et Resident Evil : Retribution (2012), avec à nouveau Anderson derrière la caméra.
Rajoutons à cela quelques films d’animation. Avec mes étudiants à l’EESA d’Orly, je me souviens d’avoir vu, si je ne me trompe pas, Resident Evil : Degeneration (Makoto Kamiya, 2008), qui m’avait semblé d’une grande platitude : animation d’une rigidité effrayante, scénario mou, personnages clichés, narration simpliste (allez, on commence par un zapping télé pour bien présenter l’univers, des fois que des gens ne soient pas au courant…), scènes d’action chiantissime : le Doom avec KArl Urban fait figure de chef-d’œuvre à côté…
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Ce qui me frappe, c’est que cette licence fonctionne essentiellement par référence. Le film de Witt est constamment réalisé en fonction des codes du genre (la petite ville de banlieue, les portes qui s’ouvrent, ce genre de choses…) avec des références à TombRaider (l’entrée au commissariat, du pur biscuit pour fans de jeux vidéo…) Le summum est atteint avec Extinction, de Mulcahy, qui est un catalogue de clins d’œil : des citations directes de Mad Max (le bus et le camion-citerne…), à Day of the Dead (le bunker isolé où l’on essaie d’apprivoiser un zombie…) ou aux Oiseaux d’Hitchcock, mais aussi des codes vestimentaires et narratifs des films de commando dans des décors westerns… Le réalisateur australien s’ingénie d’ailleurs en un film à aligner quelques de l’iconographie purement américaine (les plans serrés sur les bottes dans le sable sont explicites à ce niveau…). Le film étant ouvertement un récit post-apo (autant, voire plus, qu’un film de zombie), on a même droit à des plans sur une Statue de la Liberté enfoncée dans le sable (là aussi, référence, à vous de chercher, je ne vais quand même pas tout faire), qui renforce encore plus l’imagerie de la ville engloutie sous les dunes.
Cette déferlante de références interroge. En effet, si le film est un patchwork de trucs épars, de provenances variées, il fonctionnent un peu à la manière d’un monstre de Frankenstein, qui a une vie propre mais dont aucune pièce n’est d’origine. Cela pose la question de l’identité de ce film, qui n’existe que par le patrimoine auquel il rend hommage. C’est assurément un des plaisir du film, justement, de dénicher les références et de s’amuser à les traquer, comme une espèce de galerie des glaces ou tout se reflète, et où l’identité première se dilue. Ceci dit, par extension, cela pose la question de la définition des univers de fiction proposés notamment par les jeux vidéos, qui sont des univers référentiels, qui n’existent que comme concentrés de choses déjà vues ailleurs.
De là, le cycle (comme d’autres franchises venues par exemple de la BD, reconnaissons-le, voire du cinéma lui-même…), hésite entre faire avancer l’univers (par exemple en développant Alice dont plusieurs versions existent dans les cuves de croissance) et gérer le statu quo (en répétant l’invasion et la contamination zombie…). Entre aller de l’avant et faire du surplace. C’est en général au tournant d’un film à l’autre que se jouent ces transformations, les fins de film ouvrant sur des déclinaisons potentielles, et les débuts des opus suivants confirmant ou infirmant les directions prises (et donc les directions refusées). C’est qu’on est dans le domaine de la licence, s’agirait pas quand même de partir dans une direction trop différente.
Au final, ça donne un cycle assez médiocre. Moi qui n’ai pas beaucoup d’estime pour les jeux vidéo (ce peu d’estime naît d’une grande méconnaissance, je le reconnais volontiers…), je pourrais en tirer des arguments pour critiquer, mais sans aller jusque-là, j’ai quand même l’impression qu’une telle licence cinématographique ne dresse pas un portrait très engageant de l’univers des jeux pour les néophytes. Je suis quand même assez étonné que la licence ait généré autant de longs métrages (bientôt cinq films live et bientôt trois films d’animation…) d’une qualité plus que discutable. La puissance de la licence en général doit être telle (et en tant que non joueur, je ne m’en rends pas bien compte…) que ça attire suffisamment de monde dans les salles et aux rayon DVD.
J’en reste quand même assez sur les fesses.
Jim