Jerry Seinfeld, artiste new-yorkais de stand-up, trentenaire, vivant dans un quartier de l’Upper West Side, passe son temps entre ses shows et ses trois amis : George Costanza, son ami d’enfance névrosé et malchanceux, Elaine Benes, son ancienne petite amie et éternelle insatisfaite et enfin Cosmo Kramer, son voisin de palier, loufoque mais sympathique.
Dans la quatrième saison de Seinfeld, des producteurs de la toute puissante chaine NBC rencontre le comédien de stand-up Jerry Seinfeld (interprété par…Jerry Seinfeld) pour lui proposer de collaborer ensemble à la création d’une série télévisée. L’ami de Jerry, George Constanza (interprété par Jason Alexander) trouvera avec lui l’idée parfaite : Faire une série qui parlerait de rien.
Pour illustrer son idée, il prendra pour exemple une de leur dernière mésaventure, quand lui, Jerry et leur amie Elaine Benes (interprété par Julia Louis Dreyfuss) attendirent plus d’une heure à l’entrée d’un restaurant chinois pour avoir une table. Rien de plus anecdotique certes, mais rien de plus fantastique pour Jerry et George. Convaincu après moult hésitation, la NBC produisit et diffusa le pilote. Qui sera diffusé lors du dernier épisode de la saison (intitulé judicieusement The Pilot). Un pilote pas drôle, mal joué et au final très quelconque. Un sitcom médiocre comme il en existe des centaines.
Parce que contrairement à l’idée commune liée à la série (qui provient donc de l’épisode The Pich et dont la prise au sérieux dans la réalité est moqué dans The Pilot), Seinfeld n’est pas une série sur rien, Seinfeld est une série sur tout. Sur tout ces petits moments de l’existence qui peuvent nous pourrir la vie, sur les relations sociales, sur la façon qu’on a de lacer nos chaussures, sur le fait de savoir si on a le droit de se garer en file indienne en marche avant et non en marche arrière, sur comment on peut se perdre dans un parking, sur comment on peut passer une mauvaise soirée au cinéma ou un mauvais voyage en avion. Bref sur comment est la vie.
Mais bien sur, tout ça ne serait pas drôle sans deux règles que vont poser les créateurs de la série :
- Aucun tabou : La série ne s’interdit rien tant qu’elle peut le faire de manière drôle. Tous les sujets seront abordés que ce soit les défauts physiques des gens ou les événements dramatiques qui peuvent leur arriver. L’idée centrale est de prendre un petit détail quotidien et de le grossir au maximum pour en faire ressortir l’aspect le plus drôle. Plus globalement la série abordera le handicap, le racisme, l’avortement, le cancer, l’homosexualité………….la sexualité en générale d’ailleurs. La série fait partie de celle qui repoussa tous ces tabous dans une période (fin 80/début 90) encore très puritaine. A ce titre, l’épisode The Contest reste un des grand moment de la série (probablement le meilleur épisode de la série) puisqu’il traitera de la masturbation masculine et féminine à travers un pari établi entre les quatre amis sur celui qui tiendra le plus longtemps sans se masturber, et cela sans utiliser une seule fois le mot même alors interdit sur une grande chaîne.
- Aucune leçon, J-A-M-A-I-S : Aucune leçon de morale dans la série, aucune évolution vis à vis des événements passés, aucun fil rouge dramatique sérieux. Seinfeld c’est quatre personnages qui n’évolueront jamais. Ils resteront figés dans le temps et dans ce qu’ils sont. Ce qui compte c’est les situations
Ensuite tout ça ne serait pas drôle sans ceux qui sont au commande de Seinfeld à savoir Jerry Seinfeld lui-même et son comparse Larry David. Les deux sont comédiens et sont dans le métier depuis le début des années 80. Jerry en tant qu’artiste de stand-up avec notamment des passages dans le Tonigth Show de Johnny Carson ou le Late Night de David Letterman qui contribueront à sa popularité ; Larry lui participera avant tout à l’émission Friday une émission comique concurrente du Saturday Night Live avant de rejoindre ces derniers pour une saison (1984/1985).
Jerry et Larry se rencontre en 1976 et travaillèrent ensemble à l’occasion mais c’est en 1988 que ce duo totalement fusionnel et complémentaire allait donner naissance à un pilote intitulé alors The Seinfeld Chronicles. C’est NBC qui contacta Jerry Seinfeld (sur les conseils de son agent George Shapiro) pour lui demande de travailler sur un projet d’émission de 90 minutes. Seinfeld proposa alors à Larry David de participer à l’écriture mais durant la conception, ceux-ci se rendirent compte qu’ils n’avait pas assez de matière pour autant de temps. Le projet fut alors remanié en tant que pilote d’une vingtaine de minute pour une possible série télévisée. Considéré aujourd’hui comme le premier épisode de la série, The Seinfeld Chronicles est un mélange de scènes de stand-up d’une version fictionnelle de Jerry Seinfeld et de scène de la vie quotidienne avec son ami George Constanza ou son voisin Kessler, la 1ère scène portant sur la manière de boutonner sa chemise.
Le pilote ne fut pas un gros succès mais intrigua énormément le directeur de la NBC, Brandon Tartikoff. Quand celui qui a lancé Hill Street Blues, The Golden Girls, L.A Law, Law&Order, A-Team, St Elsewhere, Miami Vice ou bien encore Cheers* dit qu’il y a du potentiel on l’écoute. De fait NBC va lancer la production d’une saison de…quatre épisodes. Rien de pire pour espérer fidéliser et pourtant les audiences seront suffisante pour lancer une seconde saison et la suite appartient à l’histoire.
Enfin tout ça ne serait pas drôle sans ceux qui sont devant la caméra. Il y a tout d’abord Jerry Seinfeld bien sur, qui joue donc une version fictionnelle de lui-même mais, il faut bien le dire, c’est le moins bon acteur du lot (a l’inverse on peut apercevoir à quel point il est talentueux en tant que comédien de stand-up dans les scènes qui ouvrent et bouclent une majorité d’épisodes). Ce n’est pas dramatique pour autant parce que le personnage de Jerry est rarement au centre des interactions, on peut même dire qu’il est un contemplateur amusé de son environnement.
Après c’est vous qui voyez, pour ma part on a affaire à trois excellent comédiens pour trois grands personnages. Honneur au dame, Julia Louis Dreyfus est Hélène Benes, ex-petite amie de Jerry, elle est restée son amie et occasionnellement sa sex-friends. Une femme de son temps, féministe, militante mais aussi pouvant être très superficielle et ayant le chic pour tomber sur les pires hommes du monde.
Nous avons ensuite Cosmo Kramer, le voisin de Jerry. L’homme au plus de 250 entrées fracassantes dans l’appartement de ce dernier. De tous les personnages, il est le seul à ne jamais avoir eu de monologue intérieure, probablement parce que Kramer dit tout ce qu’il pense sans aucune inhibition. Épicurien dans l’âme, Kramer n’en est pas moins totalement fou. Le personnage est basé sur un ami de Larry David (Kenny Kramer) et doit une grande partie de son succès à l’incroyable gestuelle et folie douce de son interprète Michael Richards mais aussi au scénariste Larry Charles qui investi beaucoup dans son personnage. Selon ses dires c’est d’une part parce qu’il s’est reconnu dans le personnage mais aussi parce que Jerry Seinfeld travaillé beaucoup sur sa version fictionnelle et que Larry David avait son alter-ego en la personne de George Constanza
Haaaaa George Constanza. Si Jerry est pertinent, si Hélène est très drôle, si Kramer est incroyable, George est au dessus de tous. Ce n’est pas que George est mauvais ou méchant intentionnellement. Non George est juste lâche, pleutre, trouillard et égoïste. Il est aussi radin, complexé, pessimiste et hypocondriaque. George est aussi faible avec les forts et fort avec les faibles. Bref George Constanza est un des pires humains de la planète. Pour avoir été sa petite amie, Susan Ros se sera fait vomir dessus, aura vu le chalet de son père détruit par le feu, se fera virer de NBC, verra son père faire son coming-out (non qu’il y ai quelque chose de mal à ça) puis, purement et simplement mourra empoisonnée à force d’avoir lécher la colle des enveloppes bon marché que George a acheté pour envoyer les faire-parts de leur mariage. En un mot comme en cent, George Constanza est un des meilleurs personnages de l’histoire de la série télévisée.
Pour résumer (oui je me suis bien rendu compte que je vous en faisais une tartine), Seinfeld c’est une série audacieuse porté par d’excellent scénaristes et des acteurs géniaux.
Lancé en 1989, elle est à l’origine et le navire amiral de ce qu’on a appelé par la suite le second âge d’or des sitcoms. Une décennie où un genre populaire mais un peu en perte de vitesse fut sur-exploité jusqu’à plus soif tout cela pour égaler des triomphes comme Frasier ou Friends. Mais si le spin-off de Cheers et la série sur-caféiné des six amis furent des immenses succès, ce n’est rien à coté de celui de Seinfeld. Deux points pour illustrer cela :
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Pendant 4 ans (de 1994 à 1998), Seinfeld est soit là série la plus regardée de la télévision américaine (pas la sitcom hein, la série), soit la 2ème quand c’est Urgence qui prend la place (pas de souci pour NBC, les deux font parties de la maison).
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76,3 millions. C’est le nombre de téléspectateurs qui étaient devant leur écran le soir du 14 mai 1998 lors du dernier épisode de la série faisant de ce final, le plus vu de la télévision américaine après celui de M.A.S.H, du Fugitif et de Cheers. Le finale était tellement attendu que la concurrence n’a mis en face que des rediffusions ou des documentaires sans intérêt. La chaîne TV Land alla même jusqu’à stopper tout ses programme et mis un carton à l’écran indiquant : « We’re TV Fans so… we’re watching the last episode of Seinfeld. Will return at 10pm et, 7pm pt »
Larry David s’étonna toujours du succès de la série. Dans des interviews il expliquait qu’il pensait faire une petite sitcom dans leur coin qui serait différente mais qui n’aurait que peu de succès. Aujourd’hui encore on analyse et on tente de comprendre comment une série qui ne propose pas d’histoire d’amour, de personnage grandissant et évoluant devint la série la plus populaire de son époque.
Cela vient en parti des des thèmes abordés, de la manière de les raconter ou de les filmer, dans cette volonté de jamais céder à la morale ou tout simplement de cette façon de briser tous les codes en vigueur dans la sitcom US de l’époque. C’est aussi peut-être une écriture extrêmement rigoureuse (les scripts étant deux fois plus volumineux que pour un sitcom habituel tellement il y a de dialogue) et des comédiens très compétent. Il y a tout cela bien sur mais quand on regarde Seinfeld on se rend compte qu’il y a autre chose.
On ne regarde pas cette série comme on regarde Friends en se demandant si Ross va enfin déclarer sa flamme à Rachel, on ne la regarde pas en se disant qu’on est content de retrouver ses amis ou bien un endroit où tout le monde connaît votre nom. Non, on se fait capter par Seinfeld au fur et à mesure des épisodes. La série n’est pas séduisante à ses débuts et on doit vraiment s’accrocher à quelques éléments pour continuer (merci George) mais peu à peu l’alchimie s’opère et on se rend compte qu’on est pris dans le piège d’une série qui prétend ne rien raconter mais qui, au contraire, parle de tout ce que l’on peut connaître ou rencontrer dans la vie.
A ce titre l’épisode de la 2ème saison, The Chinese Restaurant, pose tout ce que sera la série. Cette épisode (premier classique de Seinfeld) fut d’ailleurs très peu compris par les cadres de NBC qui jugèrent qu’un épisodes où les personnages ne font qu’attendre qu’une table se libère allait faire fuir le public. Ce fut tout l’inverse.
Seinfeld c’est aussi un usage d’un registre vaste et énorme en terme d’humour. La série va user du quiproquo, du comique visuel et gestuel, de la mise en abyme, du sous-entendu, de la parodie (le film JFK sorti à l’époque est parodié dans un épisode pour illustrer une tentative de crachat sur Kramer) et surtout à mon sens du running gag élevant cette pratique à un niveau rarement atteint. De fait certains phrases ou mot sont rentrer dans le langage commun américain. Un peu comme le « c’est pas faux » de Kaamelott pour nous. Pour Seinfeld on citera le « no soup for you » du Soup Nazi (parce que Seinfeld c’est aussi des personnages secondaire haut en couleurs), « Yada, yada, yada », « Hello Newman » dit sur un air suspicieux par Jerry face à son Lex Luthor personnel et, bien sur, « Master of my domain »/ « King of the County » ou « Queen of the Castle », ce trio de réplique remarquable utilisé par Jerry, George ou Hélène pour exprimer le fait qu’ils ont résister à la tentation de la masturbation.
(on le répétera jamais assez The Contest est un des plus grand épisodes de la télévision américaine au sein d’une saison, la quatrième, qui cumule une bonne quinzaine d’épisode monumentale que chaque série réverait d’avoir n’en serait-ce qu’un seul)
Série considérée comme post-moderne au même titre que le Flying Circus des Monthy Pythons (autre grands contemplateur de la stupidité humaine), Seinfeld n’a pas pris une ride 30 ans après et reste toujours d’une popularité sans égal (on estime que Netflix a lâché dans les 425 millions de dollars pour avoir les droits de diffusion de la série a partir de 2021). Probablement parce que Jerry et Larry n’ont jamais cédé à la facilité et ont toujours joué sur l’incongruité du quotidien à l’aide de quatre comédiens incroyables.
Jerry : « I think Superman probably has a very good sense of humor. »
George : « I never heard him say anything really funny. »
« But it’s common sense. He’s got super strength, super speed… I’m sure he’s got super humor. »
« You would think that, but either you’re born with a sense of humor, or you’re not. It’s not going to change even if you go from the red sun of Krypton all the way to the yellow sun of the Earth. »
« Why? Why would that one area of his mind not be affected by the yellow sun of Earth? »
« I don’t know but he ain’t funny. »