SETON t.1-4 (Yoshiharu Imaizumi / Jirô Taniguchi)

Je ne dirais pas que la volonté éditoriale initiale à l’oeuvre derrière le lancement relevait d’un certain snobisme, mais procédait d’une réflexion légitime à cette époque sur la façon de publier certains mangas pour qu’ils puissent rencontrer au mieux le lectorat.

La collection a été créée il y a presque vingt ans, à une époque où le marché du manga était très différent: en recherchant des infos sur Made In, je suis tombé sur un article d’Actuabd de 2004 qui parle des premiers titres de la collection et dont le rédacteur se demandait très sérieusement pourquoi l’éditeur ne faisait pas comme Casterman qui proposait les œuvres de Taniguchi en sens de lecture occidental, parce qu’imposer un sens de lecture original qui n’est pas le sien à un public occidental n’avait pas de sens et que l’inversion des planches ne changeait rien à l’intégrité des séries sauf pour les intégristes du manga (sic). Ce qui en dit long sur plusieurs points, notamment que le travail initié par Casterman sur Taniguchi via la mise en avant spécifique de ses œuvres au travers de la collection Écritures de Frédéric Boilet (dans une logique différente de ce qui avait été fait sur les premières versions du Chien Blanco et du Trou bleu d’Hoshino par ex) a permis de toucher et sensibiliser un public plus large, lecteur de bande dessinée franco-belge en partie réticent à la lecture de mangas.

En 2004, les séries libellées seinen en étaient à leurs balbutiements, en tout cas en termes de volumes de séries publiées dans un marché dominé par les succès écrasant des shonen publiés par les gros éditeurs. Les rééditions type perfect n’existent pas et les éditeurs tentent de sortir des séries différentes sans savoir ce qui est susceptible de fonctionner, occasionnant parfois des arrêts inopinés avant la fin (Panini a longtemps eu une réputation exécrable en tant qu’éditeur en particulier pour cette raison, et ils ont opéré un redressement spectaculaire dans leur gestion éditoriale depuis quelques années). 2004, c’est l’année où Ahmed Agne avec son associée va créer sa maison d’édition Ki-oon dont la volonté est d’aller dénicher des séries seinen qui représentent tout un pan du manga encore balbutiant chez nous et dans lequel les éditeurs historiques ne s’investissent pas complètement. Le jeune éditeur y voit alors une opportunité éditoriale à saisir avec d’une part tout un pan des catalogues japonais à défricher, et d’autre part une volonté d’apporter un surcroît de professionalisation, notamment dans le soin apporté aux traductions et au suivi éditorial dans la gestion d’un catalogue manga (je schématise mais c’est ce qu’il expliquait en interview il y a quelques années). Et c’est l’exploitation du seinen par divers éditeurs qui permettra de toucher différents publics dans le lectorat manga (celui vieillissant qui a connu les premières publications dans les années 1990 entre autres) et conduira à un premier boom dans le secteur vers la fin des années 2000 si je ne me trompe pas (je résume à gros traits).

Dans ce contexte, et avant que les éditeurs historiques comme Kana ne publient massivement du seinen, il n’était pas absurde en 2004 de lancer une collection différente dans un format particulier pour y accueillir des œuvres qui sortaient visuellement du courant mainstream de ce qui était publié, aussi bien pour se détacher de la masse de nouveautés que pour attirer un public potentiel qui n’aurait pas denié ouvrir un manga classique. L’ajout au catalogue de titres d’autres pays ne se fera qu’au fur et à mesure des années, parce qu’il y a aussi le fait qu’une partie du lectorat manga classique s’intéresse difficilement à ce qui est non japonais. Et commencer la publication de Matsumoto chez Kana avec Number 5, qui représentait un tournant stylistique prononcé dans la carrière de l’auteur, investissant un univers de sf où l’influence de Moebius éclatait dans le trait et le decorum déployé (c’est un auteur qui s’est passionné pour la bd franco-belge à la faveur de voyages en France, ce qui a profondément impacté son travail), ça faisait sens de le faire dans une collection étudiée qui a proposé une édition très qualitative (cf la description dans l’article d’actuabd), bien plus que la réédition intégrale parue récemment. Inconsciemment, je pense que c’est cette édition travaillée qui a en partie piquer mon intérêt pour le travail de Matsumoto (en plus d’un article du magazine pavillon rouge publié par Delcourt à ce moment) à une époque où je n’étais pas encore sensible aux précédents travaux de l’auteur publiés chez Tonkam. J’ai beaucoup tourné autour de Number 5 quand la librairie Bulle était installée dans le vieux Mans avant de sauter le pas.

Et rétrospectivement, certains éditeurs développeront par la suite leur propre collection avec un format dédié pour mettre en valeur certains titres, dont Ki-oon pour la publication de mangas de Tsuruta par ex et plus récemment Pika avec leur collection Graphic (pour la publication de séries de Taniguchi, de rééditions comme Dragon Head ou certains travaux de Kon Satoshi).