SOEURS DE SANG (Brian De Palma)

REALISATEUR

Brian De Palma

SCENARISTES

Brian De Palma et Louisa Rose

DISTRIBUTION

Margot Kidder, Jennifer Salt, Charles Durning, William Finley, Lisle Wilson, Barnard Hughes…

INFOS

Long métrage américain
Genre : thriller/horreur
Titre original : Sisters
Année de production : 1972

Par sa fenêtre, une journaliste est témoin d’un meurtre brutal dans un appartement voisin, celui du mannequin Danielle Breton. Elle prévient la police, mais devant l’absence de preuves les inspecteurs refusent de la croire. Avec l’aide d’un détective privé, elle décide de mener son enquête…

Soeurs de sang représente un tournant dans la carrière de Brian De Palma : il s’agit du premier film que le metteur en scène alors âgé de 32 ans réalisa après le fiasco de Get to Know your Rabbit (sa première expérience pour un grand studio qui se solda par un renvoi avant que De Palma ait pu superviser le montage). Sans projet, il décida de quitter New-York pour la Californie où il rencontra et se lia d’amitié avec ceux qui allaient devenir, comme lui, les représentants du Nouvel Hollywood (Martin Scorsese, George Lucas, Steven Spielberg, Francis Ford Coppola…).
Il emménage alors quelque temps chez l’actrice Jennifer Salt, qu’il avait déjà dirigé dans certains de ses premiers longs métrages indépendants, proche du courant du cinéma vérité (Hi, Mom, Meurtre à la mode, The Wedding Party). Il y fait la connaissance de la canadienne Margot Kidder, la future Loïs Lane des Superman avec Christopher Reeve, qui deviendra sa petite amie.

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C’est à cette période que De Palma découvre un reportage sur des soeurs siamoises de l’Union Soviétique qui ont été séparées avec succès. Il raconta par la suite qu’il est longtemps resté hanté par une photographie des jumelles, sur laquelle l’une d’entre elles avait l’air enjouée et en bonne santé, tandis que l’autre était maussade et visiblement dérangée (photo qu’il reconstitua pour une scène-clé du film). L’article insistait également sur l’état psychologique des siamoises après l’opération.
L’inspiration était toute trouvée pour sa première incursion dans le genre du thriller horrifique et De Palma offrit les rôles principaux à Margot Kidder (les siamoises Danielle et Dominique) et Jennifer Salt (la reporter Grace Collier).
On retrouve aussi au casting l’un de ses acteurs fétiches, William Finley, pour leur quatrième collaboration…la cinquième sera la plus connue : en 1974, Finley sera Winslow Leach dans Phantom of the Paradise !

Manipulations de l’image, doubles, sexe, voyeurisme…avec Soeurs de sang, Brian De Palma développait déjà ses thématiques tout en assimilant l’influence de ses maîtres. La première heure est celle qui a pour moi le plus d’impact : le générique est saisissant (la musique est de Bernard Herrmann, le compositeur attitré d’Hitchcock), la progression dramatique est efficacement orchestrée et la longue séquence du meurtre est un implacable moment de suspense. À partir du premier coup de couteau, De Palma utilise le procédé du split-screen, l’écran divisé (qu’il avait inauguré pour la captation des Bacchantes d’Euripide dans le documentaire Dionysus in '69), pour monter plusieurs actions en parallèle, introduire la journaliste Grace Collier dans le récit et développer de nouveaux éléments. Un premier acte fascinant et prenant…et qui fait naturellement penser à Fenêtre sur Cour (impression renforcée dès l’arrivée du détective campé par Charles Durning) et Psychose !

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La dernière demi-heure est aussi troublante que frustrante : le passé des siamoises est révélé via une séquence cauchemardesque en noir et blanc qui fait basculer le métrage dans l’horreur pure et sur laquelle plane l’ombre de Freaks, la Monstrueuse Parade. De Palma clarifie ainsi l’histoire sans recourir à une exposition ennuyeuse et en employant à nouveau un procédé de filmage différent au sein du même long métrage.
Mais j’ai également ressenti une certaine frustration, car la tension apportée par l’ambiance onirique des scènes se déroulant dans l’asile retombe à plat et le plan final est décevant (Jennifer Salt avouera d’ailleurs qu’elle n’a jamais compris pourquoi De Palma a conclu le film de cette façon).

Le très bon accueil reçu par Soeurs de sang relança la carrière de Brian De Palma et il enchaîna ensuite avec l’un de ses meilleurs films, Phantom of the Paradise, hallucinant opéra-rock récompensé par de nombreux prix.

Je te trouverais presque sévère avec le film : perso je l’aime beaucoup et je suis probablement un peu aveugle à ses défauts…

Pour les gros fanas de De Palma, ce film-là, c’est vraiment le début de quelque chose : « Sisters » est vraiment l’archétype du film depalmien « classique » (de 1972 à 1984, à la louche), celui qui est complètement obsédé par Hitchcock mais n’en oublie pas moins d’être un des cinéastes les plus originaux d’une époque pourtant pas avare en la matière.
Pour bien comprendre où De Palma veut en venir avec ce film (et peut-être aussi accepter un peu mieux la relative déception liée à la fin…), il faut peut-être recourir à une notion défendue par Jean-Baptiste Thoret, qui a beaucoup travaillé la question : l’obsession de certains cinéastes américains (au premier rang desquels trône donc De Palma) pour l’assassinat de JFK à Dallas en 63, et plus encore pour le film signé Abraham Zapruder qui en témoigne. Ce film très court a en effet hanté l’imaginaire collectif américain et modifié en conséquence le cours du cinéma (et notamment la représentation de la violence, comme en atteste « Bonnie and Clyde », autre film hanté par la mort de JFK) ; De Palma revisitera souvent, sous une forme fictionnalisée, cet événement (c’est le cas par exemple dans « Phantom of the Paradise », étonnamment).

C’est ici que ça commence : De Palma réalisé le fantasme de tous les analystes du film de Zapruder ; il invente un angle de vue alternatif, un contre-champ à une séquence de meurtre, exactement ce qui manque au film de la mort de JFK pour devenir éclairant. En l’état, il ne génère que confusion et théories contradictoires.
La conclusion étonnante et pessimiste aux films de De Palma, c’est que l’on aura beau apporter des angles de vue supplémentaires, inventer des points de vue, on n’aura jamais accès à la vérité, à jamais fuyante. Dans la veine d’un Antonioni (qu’il adore), De Palma se veut l’architecte d’un nouveau mode de représentation « réaliste » qui passe par le baroque pour mieux admettre son constat d’échec. Passionnant et évidemment très porteur sur le plan cinématographique (ici, le split-screen qui devient un plan unique constitue un moment vraiment vertigineux, je trouve).

D’une certaine manière, tout est déjà là dans « Sisters », même si tout ça se retrouvera perfectionné, amélioré dans les films ultérieurs du maître italo-américain. On peut même déjà repéré ce dispositif-type dans le tout premier long du cinéaste, l’étonnant « Murder a la mod », encore bien marqué par le goût de De Palma dans les années 60 pour les franges et l’avant-garde (ce dont son tout premier film, « Woton’s Wake », atteste clairement).
Il reste quand même des traces de ce penchant ici ; le patronyme « Breton » ici convoqué renvoie évidemment à celui du « pape du surréalisme », André Breton. Quant au passage en noir et blanc, il renvoie à la veine expressioniste (De Palma a beaucoup cogité sur « Le Cabinet du Docteur Caligari ») du cinéaste, dans la première partie de sa filmo.

Un putain de film, et encore, on avait rien vu…

Et à partie de Snake Eyes, il a un peu fait le tour du sujet j’ai l’impression, avec là encore un point de vue qui permet d’accéder à l’information manquante.
Effectivement c’est là que l’âge d’or de sa carrière des 70’s débute véritablement, une période de sa filmographie où il n’a pas grand chose à jeter, contrairement au caractère inégal de ses oeuvres des années 80 (après son meilleur film « Body Double » il enchaîne avec « Wise Guys » qui est pour moi ce qu’il a fait de pire).

Oh, je ne suis sévère qu’avec la fin…je n’avais pas vu le film depuis une dizaine d’années et je n’ai pas changé d’avis sur ce point… :wink:

L’affiche italienne :

L’affiche espagnole par Jano :