SUCKER PUNCH (Zack Snyder)

Après avoir tué sa petite-sœur par accident en voulant la protéger d’un beau-père abusif, une jeune fille est internée dans un asile psychiatrique mené d’une main de fer par un sadique. Son esprit prend le contrôle et s’imagine l’asile comme un cabaret où les patientes sont des danseuses. Pendant ses numéros de danse, Baby Doll entre en transe dans des univers oniriques surréalistes et y trouve une quête a accomplir pour s’évader. Trois univers se chevauchent en une réalité commune : un combat hors du commun pour la survie et la liberté.

ALICE IN WONDERLAND WITH MACHINE GUNS

2011 aura pas été une année très marrante.

Si les valeurs refuge (Spielberg, Refn, Hazanavicius, Scoresese et Fincher) attendront la fin d’année voire le début 2012 pour rattraper le retard, l’ensemble de l’année aura été incroyablement pauvre en moments forts.

Certes True Grit s’impose comme un monstre de mise-en-scène et Tree of Life aura eu le mérite de nous réveiller (et encore, True Grit date en fait de 2010 et le Malick était en montage depuis près de deux ans), mais a part ça… c’est le noir complet. l’abysse.

Pour la culture geek, c’est comme pour le reste. La majorité est au niveau du purin et on se félicite de maigres victoires comme un X-men First Class qui parvient a ne pas être une purge. Ça fait pas énorme.

Sur les deux premiers tiers de l’année, un seul film, je dis bien un seul, à réussi à proposer un spectacle original, pertinent, intègre et vraiment maîtrisé qui se prétend d’une culture geek et cinéphile.

Ce film, c’est Sucker Punch.

Comme a chaque fois que Snyder sort un film (et son Man of Steel n’y changera rien), c’est une avalanche de préjugés, de caricature et de connerie monumentale qui s’abat sur lui, sans qu’on parle vraiment du film. La logique est automatique et traduit tout de travers avec une cohérence presque admirable : il filme un méchant à la peau sombre, c’est qu’il est raciste, si son héros est une brute, c’est qu’il est homophobe, s’il filme une métaphore nazie, c’est qu’il fait de la pub pour l’armée US.

Ici il filme des femmes qui se battent contre des hommes pour gagner leur liberté. La logique anti-snyder a donc jugé le film misogyne, racoleur, pornographique, et ainsi de suite.

Or, l’histoire a été construite par Snyder et sa femme, qui est aussi sa productrice. Le film est le plus personnel à ce jour de Snyder, normal puisqu’il ne s’agit pour une fois ni d’une adaptation de comics ou de livre ni d’un remake. Les thèmes et le propos, la forme comme le fond, sont d’évidence la somme de tous les travaux précédents de Snyder. Tous ses films ont toujours eu comme cadre un combat extraordinaire, démesuré, rempli d’icônes, de pop-culture, de mythes et d’un rapport de forces déséquilibré. Le but du combat a toujours été de se libérer, de se soulever contre une force d’autorité ne comprenant et n’acceptant jamais la liberté individuelle. Ce combat pour la liberté, il a de plus en plus pris la forme visuelle de ce qu’il dit. Autrement dit, ses personnages se débattent autant pour se sortir de leur cloisonnement que de leur réalité. Dans l’armée des morts, c’était sortir du supermarché pour se libérer des zombies. Dans 300, c’était se libérer d’une armée invincible et infinie. Dans Watchmen, c’était se libérer de toute éthique et de toute morale pour stopper une guerre froide prête a tout faire péter.

À chaque fois, Snyder est parti dans une réalité modifiée par la perception de ses héros. Regardez bien, même dans Dawn of the dead, le point de vue et les cadres changer du tout au tout une fois que ses protagonistes sortent du supermarché.

Et Sucker Punch s’inscrit là-dedans, mais d’une manière bien plus viscérale et jusqu’au-boutiste.

Là, Snyder semble avoir organisé son film pour que l’histoire n’empiète jamais sur son projet de mise-en-scène, qui est visiblement de donner un équivalent live et unique à Heavy Metal. Les cultures geeks s’entrechoquent et se complètent, d’un monde à l’autre et d’une séquence à l’autre. Les dialogues entre ces morceaux dingues, d’apparence filmés simplement, regorgent en fait, eux aussi, de plans impossibles et d’une technique d’une précision chirurgicale.

Il est donc faux de prétendre que Sucker Punch n’est qu’un film d’esbroufe ou de pose, juste là pour en mettre plein la vue, tout comme il est faux de prétendre Snyder comme un pornographe vulgaire. La forme et le fond sont là, présents, complexe et très travaillés.

Tout commence par un prologue avec une ouverture dans un théâtre qui nous prévient du recul et de l’implication nécessaire pour appréhender le film : c’est une réalité avec une perspective, et chaque couche de réalité va plus loin dans l’onirisme, le lyrisme et le surréalisme mais chaque couche a une prise concrète sur la réalité. Chaque plan a donc de l’importance et compte autant à chaque niveau dans la narration. On reste aux prises avec les enjeux tout le long du film.

La première couche de réalité est introduite par une séquence hyper-stylisée mais au cadrage et au montage très resserré. Le ton est donné, chaque plan va compter. Puis la réalité s’enfonce, niveau après niveau. Là les détracteurs reprochent à Snyder une écriture de jeu-vidéo, reproche débile qu’on faisait aussi à Nolan sur Inception. Il échappe totalement à ces critiques que la progression structurée est commune à tous les arts, de la peinture à la littérature comme à la poésie ou la chanson. Seulement s’il y a des millions de dollars de budget et des effets spéciaux, le délit de sale gueule est obligatoire pour certains. A-t-on jamais reproché à Rimbaud, une écriture de jeu-vidéo ? à Michel-Ange le style d’un jeu-vidéo ? Pourtant il s’agit bien de la même chose. Une structure complexe et codifiée, mais dont le squelette est à l’extérieur du corps, visible. Et le but est de jouer là-dessus pour donner une vision d’ensemble où les morceaux accumulés donnent une œuvre dense qu’une narration molle et intimiste n’aurait jamais pu donner.

La progression se sent dans chaque compartiment visuel, les décors, les costumes, la nature de chaque rêve et leur évolution :

Quand elle arrive à l’asile, Baby Doll a son costume d’écolière basique, qui est en fait plutôt une tenue de patiente. Ensuite on a la première danse : Temple japonais dans la neige avec démons géants de pierre. Là sa tenue se stylise par contraste avec le décor, la tenue de patiente s’est muée en bleu profond, qui devient sa tenue dans ces périodes de transe. Le premier rêve lui donne une voix intérieure (très a-propos joué par l’immense Scott Glenn) qui lui donne la clé de sa liberté, à savoir une quête qui d’objet en objet la rapprochera d’une « victoire ultime » après « un grand sacrifice ».

La deuxième danse progresse dans le temps : style steampunk, époque première guerre mondiale et en face, armée de soldats mécaniques aux accents germaniques. Là c’est les autres filles qui rejoignent Baby Doll et leurs tenues s’accordent a cet univers précis : noir, sombre, et plein de métal et de cuir.

Puis la troisième danse, qui va un cran plus loin dans le surréalisme, avec un avion semblant sortir d’une guerre du vietnam alors qu’au sol c’est une bataille digne de World of Warcraft qui a lieu. Un dragon symbolise le feu d’un briquet a récupérer dans le monde réel.

Et enfin dans la quatrième danse, on est projetés dan un futur cyber-punk, sur une autre planète et c’est un cortège de cyborgs qu’il fait affronter.

Quand on revient dans la réalité « cabaret » au moment de la fin, Baby Doll endosse une version blanche et a paillettes de sa tenue d’écolière. Elle n’a jamais semblé aussi fragile, petite fille et pure de tout le film. Puis on comprend avec le final que tout le film adoptait le point de vue non pas de Baby Doll mais de Sweet Pea racontant l’histoire de Baby Doll, justifiant la réalité biaisé depuis le premier plan d’introduction jusqu’au plan final, et amorcé par de nombreux indices : Sweet pea déguisée en Baby Doll quand vient l’introduction du monde cabaret, la récurrence dans la deuxième danse et le final d’un gosse (le fils de Zack Snyder), et l’apparition d’un faux deus ex-machina en la personne de l’ange gardien Scott Glenn à la fin, représentant la voix intérieure, forte et sereine qui les pousse à se battre et a se libérer.

On prend aussi conscience de ce qui se passe dans chaque niveau de réalité. Si nous on voit une super-écolière trancher la tête d’un dragon, pendant que dans un autre niveau sa copine vole le briquet, on se doute bien que dans le monde réel, celui qu’on ne verra jamais à l’écran (car inutile), ces demoiselles se font violer pour détourner l’attention. La dimension sexuelle n’est donc pas là juste pour faire bander le spectateur mais aussi pour montrer le point de vue de ceux qui abusent d’elles comme eux la voient. Car il y a bien une dimension sensuelle voulue par Snyder mais qui vise l’ambiguïté de notre rapport à la beauté plastique et iconique des corps qu’il filme avec un amour sincère. Cette donnée érotique est aussi là pour montrer que les femmes peuvent prendre le contrôle de leur sexualité et de ce qu’elles décident de montrer ou pas aux hommes ou aux monstres qu’elles combattent.

En cela, la version longue est d’un cran supérieure à la version salles. Non seulement elle rallonge sensiblement les séquences d’action et rebouche des trous scénaristiques que supposaient la version courte, elle donne surtout une séquence capitale où le High Roller (Jon Hamm) fait figure autant de bourreau que de libérateur de l’héroïne. Son sacrifice absolu pour sauver Sweet Pea se confondant dans un raccord superbe où le coup de reins de dépucelage se confond avec le coup de lobotomie pénétrant le cerveau de Baby Doll.

Le spectacle donne dans le lourd, dans le bon sens du terme. Chaque scène d’action rassure quand aux facultés de Snyder pour filmer Man of Steel, tant le découpage comme les effets spéciaux exploitent chaque geste comme une incroyable débauche d’images iconiques, violentes et visuellement jouissives. Des fantasmes pour geeks ou pour cinéphiles, enfin filmés avec un vrai point-de-vue. On sent une vraie ambition de mise-en-scène démentielle et très pertinente dans des plans fous, comme ce plan-séquence du train contre les robots. Beau a en pleurer et qui prend le spectateur a la gorge sans le lâcher. Les moments épiques se font nombreux et fous.

version courte : 7/10

version longue : 15/10 !

Débarrassé d’oripeaux politiques incorrectes qu’on lui à collé, Snyder révèle ici son vrai visage : un conteur fou, un faiseur d’images unique et à l’univers riche et épique, avec un œil acéré pour représenter des icônes et au style généreux et grandiose. Bref, un véritable réalisateur.

Qui pouvait-on rêver de mieux pour réaliser un film Superman juste après ?

1 « J'aime »

Ok … donc je ferai attention à tes avis sur Snyder.

Conny Valentina

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