Discutez de Super Force
Historiquement, le pocket Super Force de Mon Journal, qui fait son miel en piochant dans du matériel britannique (en provenance du magazine 2000 AD, pour ce que j’ai pu identifier) est la première parution à accueillir Judge Dredd sur le marché français.
J’ai par exemple le #12, qui propose le fameux Juge en couverture (avec des couleurs retouchées), et il date de 1981. Les albums des Humanoïdes Associés, eux, ne sortiront que l’année suivante, et la revue couleurs chez Arédit en 1984.
Les pages sont soit rétrécies soit remontées. L’éditeur, habitué aux petits formats, est également rompu à l’exercice visant à adapter des bandes dessinées dans des formats qui ne sont pas ceux d’origine.
Jim
Super Force accueille une autre série célèbre de 2000 AD, Invasion (qui donnera par la suite naissance à Savage, cette fois dessiné par Charlie Adlard.
Jim
Et j’évoque la VO ici :
Je suis en train de lire le recueil publié en 2007 et reprenant l’intégralité de la « première » série. Et c’est vachement chouette.
Comme le signale Artie Dada dans son commentaire situé plus haut, la genèse de ce feuilleton a été houleuse. John Sanders suggère à Pat Mills de mettre en scène l’invasion de l’Angleterre par les Russes, le scénariste lui fait remarquer que la mention des Russes ne le motive pas, puis il est séduit par le caractère outrancier que Sanders suggère pour le premier chapitre et par la possibilité de développer un personnage à sa convenance. Sauf que très rapidement, l’info circule et les commentaires, dont la teneur se résume à « l’éditeur ne fait qu’aggraver la Guerre froide », inquiète suffisamment la rédaction pour que des changements de dernière minutes interviennent. D’une certaine manière, les critiques ont donné raison aux réticences initiales de Mills, les Russes deviennent donc des Volgs (parfois appelés Volgans), venus d’un régime totalitaire oriental à tendances fascistes.
Dans sa préface, Mills indique que le début de la série a été illustré par Jesus Blasco, mais que Kevin O’Neill, alors directeur artistique adjoint, a procédé lui-même aux retouches nécessaires (la présentatrice et la politicienne sont redessinées et leurs noms changés, et une scène où Bill Savage tire dans le dos d’un adversaire est entièrement recomposée).
Mais très vite, la série est néanmoins lancée et trouve son rythme. D’un point historique, il est intéressant de noter que les petits cartouches indiquant les noms des auteurs (le « script robot », le « art robot », le « letter robot », selon la tradition), ne figuraient pas dans les premiers numéros, et que la tradition s’est installée plus tard. Si bien que, dans cette édition, des pages de ruptures viennent préciser les crédits des épisodes qu’on va lire, par petites grappes.
Le récit est bourrin, c’est en partie dû au fait que le feuilleton bénéficie de peu de pages par épisode (six, à vue de nez). Il faut donc aller vite. Mills déploie des trésors d’ellipse pour raconter ce qu’il veut dire dans chaque livraison, c’est donc sec, incisif, très rythmé.
Très occupé par ses fonctions éditoriales et ses autres séries, Mills fera encore quelques passages sur « Invasion » mais pour l’essentiel délègue assez vite à un autre scénariste, Gerry Finley-Day, qui est connu notamment pour avoir travaillé sur Rogue Trooper (qui arrive bientôt dans ma pile de relectures). Ce dernier continue sur la lancée, avec des récits bien musclés, bien violents, où Bill Savage se distingue des autres résistants par son caractère inflexible et sans compromis. Le premier épisode nous montre qu’il a perdu sa famille quand sa maison a été détruite, qu’il n’a plus que son fusil, et que ce dernier va définir son existence. Bill Savage, c’est un mélange entre le Punisher et Nick Fury, une brute épaisse et déterminée qui incarne, pourrait-on dire, « une certaine idée de l’Angleterre », un patriotisme d’en bas qui fait fi de toute considération politique : pour lui, les Volgs (ou Volgans, c’est selon) sont des salauds qu’il faut éradiquer.
La série suit donc le parcours de Bill Savage, qui s’associe bien vite à un réseau de résistance qui se développe de manière clandestine. Il apporte avec lui sa vision du monde, manichéenne, et autant dire que les espions et les collabos le sentent passer. La lecture de la série fait apparaître des astuces narratives qui pourraient laisser croire que c’est du Garth Ennis. Pourtant, ce dernier a sept ans quand la série commence. Malgré tout, on retrouve des trucs qu’il fera sien, et notamment la présence d’ennemis qui sont physiquement grotesques et mentalement fanatisés (un gros dur deux fois plus large que Savage, une sadique adipeuse qui ferait passer Rosa Klebb pour une marraine de patronage), autant de figures qu’on retrouve dans Punisher, dans Hitman, dans Rifle Brigade…
« Invasion », c’est aussi la marque 2000 AD, une irrévérence criarde, outrancière, de mauvais goût, punk pourrait-on dire. Si elle a infusé dans l’écriture de Garth Ennis, elle a aussi eu son influence sur une partie de la bande dessinée américaine.
Je n’ai pas lu la nouvelle version. D’après ce que dit Mills dans sa préface de l’édition 2007, c’est Matt Smith, le rédacteur en chef de 2000 AD à l’époque, qui lui a fait savoir que la série « Invasion » arrive en tête des récits que les lecteurs seraient ravis de voir revenir. L’action de la première série se déroule en 1999 (lointain futur à l’époque de sa réalisation). Je ne sais pas si la nouvelle série est une suite ou un « reboot ». Va falloir que je me penche dessus.
Jim
Dans les premiers numéros de Super Force, il y a une série anglaise, Mach 1, traduite en Force X dans notre pays. J’apprends ici que la revue Super Force est en fait la suite d’un autre titre, Force X, dont le seul numéro est paru en 1980 :
La revue petit-format Super Force, ou Collection Super Force, prend la suite directe de Force X qui n’a connu qu’un seul numéro en juin 1980. L’éditeur, Aventures et Voyages, sans doute mécontent du titre, redémarre donc en octobre 1980 une nouvelle série en remplacement de Force X. Comme son prédécesseur, le petit-format Super Force se consacre aux bd de science-fiction d’origines britanniques.
Jim
Ah, je savais bien que j’avais évoqué cette série pour l’avoir lue en VO. Mais j’ai mis du temps à retrouver mon commentaire.
Voici donc un aperçu de la série M.A.C.H. 1 pour ceux qui trouveraient un exemplaire de Super Force.
Je suis en train de lire le recueil M.A.C.H. 1 qui rassemble les premières aventures de John Probe, le héros de cette énième bande écrite par Pat Mills (entre autres). À ma connaissance, il n’y a que deux tomes, les aventures du personnage continuant de loin en loin sur les deux premières années d’existence du magazine.
La série M.A.C.H. 1 fait partie des titres ayant figuré dès le premier numéro de la légendaire revue 2000 A.D.. Elle est présente dans la première trentaine de livraisons, autant d’aventures compilées dans ce recueil. On notera qu’elle figure aux côtés de deux autres séries, Harlem Heroes, version super-héroïsées de sportifs dans laquelle s’illustrera Dave Gibbons, et Invasion, récit de guerre signé Pat Mills un brin bas du front, et sans concession. Comme cette dernière, M.A.C.H. 1 affiche un rythme soutenu (peu de pages par épisode), une vision du monde un peu manichéenne et un héros violent. D’une certaine manière, ces séries sont les héritières de celle que l’on pouvait trouver dans Battle (une revue de guerre plus musclée que la concurrence chez IPC) ou Action, deux revues que Mills a contribué à créer avant le lancement de 2000 A.D.
Dans M.A.C.H. 1, un peu comme dans Invasion même si cette dernière série affiche un mauvais esprit dès le premier chapitre, qui sera la marque de la revue, on a une action frénétique et un certain manque de recul. L’accent est mis sur le côté spectaculaire et bien entendu violent des péripéties, dans la droite ligne de ce qui s’est fait dans Action.
Le héros est John Probe, un agent volontaire soumis à un procédé scientifique novateur, visant à simuler par une acupuncture informatique (si si !) les capacités physiques. On est en 1977, et le héros, complètement en prise avec l’air du temps, en évoquera d’autres. Clairement, il rappelle Steve Austin, le héros de la série télévisée L’Homme qui valait trois milliards (inspirée du roman Cyborg de Martin Caidin), plus tout à fait humain, pas encore machine, à la solde de son pays et de la raison d’État qui y est associée.
Probe est également connecté à un ordinateur qui lui parle directement dans la tête, ce qui occasionne quelques dialogues amusants (car l’ordinateur n’a aucun humour), mais répétitifs, comme l’action. Là, on pense à un autre héros des années 1970, Deathlok, le cyborg futuriste de Marvel qui, lui aussi, tient des échanges marrants avec l’ordinateur qui lui cause dans la tête.
Enfin, sa tenue civile, sa tignasse brune proprement coiffée et sa connaissance des arts martiaux qui lui vaut d’avoir la jambe leste et de distribuer des coups de tatanes évoqueront peut-être aux lecteurs de Pif le Docteur Justice. Et c’est vrai que, selon les dessinateurs, John Probe a parfois des faux airs d’Alain Delon.
On l’a dit plus haut, les histoires sont dans un premier temps assez répétitives, et s’inscrivent dans la logique de la Guerre Froide : Probe doit arrêter des agresseurs de l’Est, protéger des diplomates, exfiltrer des savants, intervenir pour maintenir le pouvoir en place dans des nations alliées… Rien de bien subversif ni de très novateur.
De temps en temps, on a droit à quelques notes différentes, comme l’inquiétude que Probe manifeste face à la carcasse de voiture qu’il ramène à ses services dans « Operation Death-Drive! » ou la moquerie des Américains dont l’homme augmenté vainc sans trop de problème le tank dernier cri dans « The Laser Hound ». À ce sujet, la série dispense un rapport ambivalent à la technologie, parfois négative et hostile même si elle est à l’origine du héros.
Il faudra attendre une bonne douzaine d’épisodes pour que la série commence à explorer d’autres genres, faisant apparaître des savants fous, des yétis, voire des soucoupes volantes. Un élargissement des intrigues qui permet d’éloigner ce petit univers assez étriqué des obsessions teintées d’espionnite de l’époque.
On remarquera deux épisodes liés au Japon où l’intrigue fait preuve d’un peu plus d’humanité qu’à l’accoutumée. Dans « Corporal Tanaka », John Probe rencontre un soldat japonais qui ne sait pas que la guerre est finie, et témoigne d’une pitié à laquelle il ne nous a pas habitués. Dans « Tokyo », le héros rencontre un combattant nippon qui devient son allié, au cours d’un voyage qui ressemble à un dépliant touristique l’emmenant du dojo au train à grande vitesse.
Graphiquement, c’est assez inégal, mais les illustrateurs sollicités, qu’il s’agisse de piliers de la rédaction ou de dessinateurs hispaniques, savent comment réaliser des pages en noir & blanc, avec une inventive économie de moyens.
L’un des plus beaux épisodes, « Terror Train », réserve une petite surprise puisqu’il est dessiné par Pierre Frisano, un illustrateur appartenant à une célèbre famille de dessinateurs (inutile d’épiloguer, j’imagine).
Son magnifique travail de lumières et de modelés, tout en hachures, donne une texture incroyable à cet épisode qui ne se démarque pas tellement du tout-venant : une prise d’otage que John Probe résout en fonçant dans le tas. Mais quelles planches.
Je n’ai pas trouvé le tome 2, ça viendra peut-être. Quoi qu’il en soit, M.A.C.H. 1, série fondatrice du magazine, ne marquera pas l’histoire de la revue, manquant sans doute du ton insolent que les grandes figures du sommaire, Judge Dredd au premier chef, ont imposé au fil du temps. La valse des scénaristes qui remplacent Pat Mills assez vite et des dessinateurs qui illustrent des histoires sans impact n’aidera pas à imposer une série qui n’a pas trouvé sa voie, par rapport aux précédentes revues du scénariste.
Série un brin manichéenne (pour rester dans l’euphémisme), mais qui réserve son lot d’action et de coups de théâtre.
Jim