Je suis en train de lire le recueil publié en 2007 et reprenant l’intégralité de la « première » série. Et c’est vachement chouette.
Comme le signale Artie Dada dans son commentaire situé plus haut, la genèse de ce feuilleton a été houleuse. John Sanders suggère à Pat Mills de mettre en scène l’invasion de l’Angleterre par les Russes, le scénariste lui fait remarquer que la mention des Russes ne le motive pas, puis il est séduit par le caractère outrancier que Sanders suggère pour le premier chapitre et par la possibilité de développer un personnage à sa convenance. Sauf que très rapidement, l’info circule et les commentaires, dont la teneur se résume à « l’éditeur ne fait qu’aggraver la Guerre froide », inquiète suffisamment la rédaction pour que des changements de dernière minutes interviennent. D’une certaine manière, les critiques ont donné raison aux réticences initiales de Mills, les Russes deviennent donc des Volgs (parfois appelés Volgans), venus d’un régime totalitaire oriental à tendances fascistes.
Dans sa préface, Mills indique que le début de la série a été illustré par Jesus Blasco, mais que Kevin O’Neill, alors directeur artistique adjoint, a procédé lui-même aux retouches nécessaires (la présentatrice et la politicienne sont redessinées et leurs noms changés, et une scène où Bill Savage tire dans le dos d’un adversaire est entièrement recomposée).
Mais très vite, la série est néanmoins lancée et trouve son rythme. D’un point historique, il est intéressant de noter que les petits cartouches indiquant les noms des auteurs (le « script robot », le « art robot », le « letter robot », selon la tradition), ne figuraient pas dans les premiers numéros, et que la tradition s’est installée plus tard. Si bien que, dans cette édition, des pages de ruptures viennent préciser les crédits des épisodes qu’on va lire, par petites grappes.
Le récit est bourrin, c’est en partie dû au fait que le feuilleton bénéficie de peu de pages par épisode (six, à vue de nez). Il faut donc aller vite. Mills déploie des trésors d’ellipse pour raconter ce qu’il veut dire dans chaque livraison, c’est donc sec, incisif, très rythmé.
Très occupé par ses fonctions éditoriales et ses autres séries, Mills fera encore quelques passages sur « Invasion » mais pour l’essentiel délègue assez vite à un autre scénariste, Gerry Finley-Day, qui est connu notamment pour avoir travaillé sur Rogue Trooper (qui arrive bientôt dans ma pile de relectures). Ce dernier continue sur la lancée, avec des récits bien musclés, bien violents, où Bill Savage se distingue des autres résistants par son caractère inflexible et sans compromis. Le premier épisode nous montre qu’il a perdu sa famille quand sa maison a été détruite, qu’il n’a plus que son fusil, et que ce dernier va définir son existence. Bill Savage, c’est un mélange entre le Punisher et Nick Fury, une brute épaisse et déterminée qui incarne, pourrait-on dire, « une certaine idée de l’Angleterre », un patriotisme d’en bas qui fait fi de toute considération politique : pour lui, les Volgs (ou Volgans, c’est selon) sont des salauds qu’il faut éradiquer.
La série suit donc le parcours de Bill Savage, qui s’associe bien vite à un réseau de résistance qui se développe de manière clandestine. Il apporte avec lui sa vision du monde, manichéenne, et autant dire que les espions et les collabos le sentent passer. La lecture de la série fait apparaître des astuces narratives qui pourraient laisser croire que c’est du Garth Ennis. Pourtant, ce dernier a sept ans quand la série commence. Malgré tout, on retrouve des trucs qu’il fera sien, et notamment la présence d’ennemis qui sont physiquement grotesques et mentalement fanatisés (un gros dur deux fois plus large que Savage, une sadique adipeuse qui ferait passer Rosa Klebb pour une marraine de patronage), autant de figures qu’on retrouve dans Punisher, dans Hitman, dans Rifle Brigade…
« Invasion », c’est aussi la marque 2000 AD, une irrévérence criarde, outrancière, de mauvais goût, punk pourrait-on dire. Si elle a infusé dans l’écriture de Garth Ennis, elle a aussi eu son influence sur une partie de la bande dessinée américaine.
Je n’ai pas lu la nouvelle version. D’après ce que dit Mills dans sa préface de l’édition 2007, c’est Matt Smith, le rédacteur en chef de 2000 AD à l’époque, qui lui a fait savoir que la série « Invasion » arrive en tête des récits que les lecteurs seraient ravis de voir revenir. L’action de la première série se déroule en 1999 (lointain futur à l’époque de sa réalisation). Je ne sais pas si la nouvelle série est une suite ou un « reboot ». Va falloir que je me penche dessus.