THE SHOOTING (Monte Hellman)

REALISATEUR

Monte Hellman

SCENARISTE

Carole Eastman, sous le pseudonyme d’Adrien Joyce

DISTRIBUTION

Warren Oates, Jack Nicholson, Millie Perkins, Will Hutchins…

INFOS

Long métrage américain
Genre : western
Titre original : The Shooting ; le film a connu une brève exploitation française sous le titre de « La Mort tragique de Leland Drum »
Année de production : 1965

SYNOPSIS

Will Gashade, un ancien chasseur de primes, retourne au campement qui jouxte sa mine d’or avec la désagréable sensation d’être suivi. Rendu chez lui, il découvre que son frère Coigne, soupçonné d’être responsable d’un accident en ville, a pris la fuite, et que son associé Leland Drum a été abattu. Seul demeure son dernier acolyte, Coley.
Ils sont alors engagés par une mystérieuse jeune femme pour l’escorter vers la ville la plus proche, mais elle insiste pour traverser le désert à cette fin. Le trio est finalement pris en chasse par un mystérieux cavalier…

En six semaines, Monte Hellman aura « shooté » (sans mauvais jeu de mots, bien sûr) non pas un mais deux westerns dans l’Utah. Ces délais serrés constituent bien sûr un obstacle à la conception des films, mais ils permettent aussi à Hellman de conforter certains options de tournage : peu de personnages, peu de sites différents, des scènes et des prises longues. Et ça tombe bien, c’est exactement ce que cherche à faire Hellman justement…

Jack Nicholson a signé, produit et interprété le rôle principal de L’Ouragan de la Vengeance : sa contribution à The Shooting sera cruciale, mais moindre. Il se contente d’y jouer un second rôle et de le produire, quand le scénario est signé Adrien Joyce, qui n’est autre qu’un pseudonyme courant de Carole Eastman. Cette dernière n’est pas encore la scénariste-phare du Nouvel Hollywood qu’elle deviendra plus tard, souvent pour des films avec Jack Nicholson d’ailleurs, mais son script pour ce film ne manque déjà pas d’ambition artistique.

Si les deux films sont tournés dans la même zone, avec quelques acteurs en commun (Nicholson rempile, ainsi que Millie Perkins, qui était la voisine de palier de Monte Hellman à l’époque), ils s’avéreront très différents. L’Ouragan de la Vengeance est un western d’allure classique, troué de quelques audaces narratives et conceptuelles (d’inspiration « européenne », notamment existentialiste), quand The Shooting largue complètement les amarres par rapport à ce modèle classique.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il convient de dire un mot sur le renfort de poids que Monte Hellman convoque dans le casting de ce film-là : le rôle principal est interprété par le très sous-estimé (et peut-être méconnu du grand public…?) et pourtant génial Warren Oates. Cet acteur, décédé prématurément au début des années 80, était l’un des plus grands talents de la génération du Nouvel Hollywood, pourtant pas avare en la matière. Il fut l’un des acteurs fétiches de Sam Peckinpah, qui le fit tourner notamment dans ses chefs-d’oeuvre La Horde Sauvage et surtout Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia (dans lequel Oates est époustouflant), mais aussi de Monte Hellman, qui le fit tourner dans son film le plus célèbre, Macadam à deux voies, et lui offrit peut-être son plus beau rôle dans son Cockfighter au début des années 70.

Nous l’avons dit, plus trace aucune de classicisme dans ce film très étrange qu’est The Shooting. S’il présente bien quelques points communs avec son « jumeau », outre ses conditions de production et son casting, on sent que sur ce film-là Monte Hellman a voulu aller beaucoup plus loin.
En effet, si l’exposition du film présente bien une situation relativement typique du western américain classique (un voyage périlleux, une situation tendue), ses enjeux sont presque aussitôt évacués, Hellman privilégiant clairement l’ambiance au détriment de l’action.
Il faut dire que le but avoué (par son titre) du film est de vider de sa substance l’un des éléments typiques du western archétypal : comme L’Ouragan de la Vengeance distordait le principe de la chasse à l’homme et de la confrontation entre criminels et hommes de loi, de façon plus radicale encore The Shooting va tenter de réduire à néant la portée des coups de feu. Les fameuses détonations de ces pistolets emblématiques du genre sont détournées, de manière très subtile ici, de leur emploi d’origine. On tire rarement pour faire mouche.
Le coup de feu devient code, signal ou signe. Une scène de L’Ouragan de la Vengeance (celle d’une fusillade anormalement longue et inutile, puisque tous les protagonistes sont soigneusement planqués) annonçait déjà ce détournement. Il est caractéristique du cinéma de son temps, où l’action devient incertaine, inopinée, où les personnages errent sans but apparent.

Toujours dans L’Ouragan de la Vengeance, Hellman semblait enclencher une réflexion subtile sur le notion de déplacement et de mouvement : elle est reprise ici. Se déplacer, c’est conserver une chance de survivre ; s’arrêter, c’est la mort assurée. Cette sorte de « promotion » du nomadisme contre le sédentarisme est évidemment là encore typique de son temps, et contribuera à lier profondément le cinéma de Monte Hellman à la contre-culture émergente.

Les deux films, à l’énumération de ces points communs, semblent proches, mais la ressemblance s’arrête là. The Shooting est bien plus radical et moins conventionnel dans son approche que son jumeau.
Par exemple, Monte Hellman semblait peu intéressé par l’environnement des personnages dans son autre film ; ici, s’il refuse toujours de magnifier les décors et les personnages (peu de plans à la « Monument Valley » type John Ford), il s’adonne quand même à la composition de plans larges somptueux, mais plus angoissants que « réconfortants ». Pas de « grand tout » susceptible d’accueillir une communauté ici, mais un environnement étrange et hostile qui semble destiné à perdre les individus.

Le type de narration privilégié par Hellman est à l’avenant : dès la première séquence, où Gashade semble observé par une présence invisible, une sorte de malaise impalpable s’empare du spectateur pour ne plus le lâcher jusqu’à la « résolution ». Pour nourrir ce malaise quasi « existentiel », Hellman et son équipe optent pour des ellipses brutales, des dialogues sibyllins, de longues plages d’inaction. Les espaces deviennent anonymes et impossibles à identifier, et de plus en plus au fur et à mesure de la progression du récit.

The Shooting en vient même à flirter allègrement avec le fantastique pur à de nombreuses occasions, comme le feront de nombreux westerns italiens à peu près à la même période (on peut citer Tire encore si tu peux et son héros / revenant, ou encore évoquer l’ambiance presque gothique d’un Avec Django, la Mort est là). Cette sensation, nourrie par l’ambiance globale du métrage, est également renforcée par le choix de Hellman de se ressourcer auprès de ses débuts au théâtre, notamment auprès de ce que l’on a appelé le théâtre de l’absurde. Comme au théâtre, Hellman opte pour l’épure et l’abstraction : les décors sont presque totalement évidés, les personnages ont des fonctions et pas forcément des noms (Millie Perkins joue simplement « the Woman »), et ce qui se passe hors-champ, comme au théâtre, a presque autant d’importance que ce qui se passe devant la caméra.

Au niveau allégorique, on peut dégager une lecture simple mais très porteuse du film ; elle est d’ailleurs couramment évoquée. La Femme sans nom ne serait autre qu’un avatar de la Mort en personne, qui chemine en plein Purgatoire (ou est-ce carrément l’Enfer ?) avec des personnages condamnés. Mieux, il semble que la Mort se livre à un petit jeu cruel en opposant deux rivaux, deux prétendants au rôle de meilleur serviteur, deux personnages en apparence très différents, mais identiques au final (ceux de Nicholson et de Oates). De manière très typique pour du Hellman, un glissement s’opère entre les deux personnages, l’un se mettant à occuper la place de l’autre (ce type de glissement était déjà présent dans L’Ouragan de la Vengeance).

La fin du film, très troublante, et à laquelle l’aura du film doit beaucoup, est un tour de force scénaristique et cinématographique. Elle permet de concilier de manière exemplaire deux niveaux de lecture apparemment antagonistes, la fable existentialiste type L’Etranger de Camus et le pur film fantastique.
Sa mise en images étonnante d’autre part (un ralenti extrême au rythme d’une ou deux images par seconde), une fois mise en relation avec une scène intrigante vers le début du métrage, éclaire un sous-texte propre au film plus délicat à débusquer.
C’est Jean-Baptiste Thoret, dans son livre 26 secondes - l’Amérique éclaboussée (consacré à l’assassinat de JFK et au film d’Abraham Zapruder le représentant), qui lève ce lièvre. Au début du film, Leland Drum (personnage totalement secondaire ; bizarrement l’éphémère titre français La Mort tragique de Leland Drum semblait relever l’importance de sa mort dans le récit…) est abattu d’une balle dans la tête. Coley, le personnage qui a assisté à la scène et en fait le récit, insiste sur le fait que la moitié de son visage a été arraché par le coup de feu. Une référence évidente au triste sort du président américain abattu à Dallas peu de temps avant. A la fin du film, lorsqu’un autre protagoniste meurt à l’occasion de ce fameux ralenti final, c’est cette fois la mort du principal suspect, le célèbre Lee Harvey Oswald, abattu devant les caméras par Jack Ruby, qui est évoquée.
Impossible de ne pas accorder de crédit à cette piste de lecture ; elle accrédite d’ailleurs la thèse de Thoret selon laquelle la mort de JFK a constitué un changement de paradigme majeur dans le cinéma américain, tant au niveau du fond politique (la paranoïa s’invite désormais) qu’au niveau de la représentation de la violence à l’écran…

Dans ce film, Jack Nicholson joue un personnage à des années-lumière du cow-boy injustement traqué de L’Ouragan de la Vengeance : ici, il est effrayant, tout en restant très sobre, mais on reconnaît déjà un peu mieux l’espèce de version live du loup de Tex Avery que l’on retrouvera dans un Shining de Stanley Kubrick, par exemple. Millie Perkins est parfaite dans le rôle de cette femme mystérieuse et anonyme, entre caprices enfantins et froide détermination ; quant à Warren Oates, il est comme d’habitude touchant dans l’ambiguïté, une caractéristique de la plupart de ses compositions.

Film difficile mais sublime, The Shooting se pare des atours d’une oeuvre aride et minimaliste, mais multiplie en fait les pistes de lecture. Très riche, le film est considéré comme le véritable prototype de la vague Acid Western, et influencera autant un Pat Garrett et Billy le Kid de Sam Peckinpah (qui deviendra un proche de Monte Hellman, jouant pour lui, quand Hellman sera son monteur…) qu’un Dead Man de Jim Jarmusch, sorte de queue de comète du genre.
Au final, Roger Corman ne sera pas convaincu par ces deux westerns atypiques ; il finira par en vendre les droits à la télévision pour une diffusion sans tambour ni trompette à la fin des années 60, alors que les deux films (notamment grâce aux efforts de Jack Nicholson, qui se promenait partout avec les bobines des films…) avaient réussi à se tailler une belle réputation auprès des cinéphiles dans divers festivals internationaux. Dommage, sans compter que ce relatif anonymat concernera pratiquement tous les travaux de Monte Hellman, qui n’a pas volé son surnom de « secret le mieux gardé d’Hollywood »…

Il avait également une méthode de travail très différente de Jack Nicholson. Le producteur Gary Kurtz (Star Wars), qui assistait Hellman à l’époque, a souvent parlé de Nicholson comme d’un acteur intuitif, qui n’avait pas besoin de beaucoup de prises pour trouver le bon ton (ce qui explique que le tournage de Shining s’est souvent révélé frustrant pour lui). Alors que Oates avait l’habitude de construire son personnage pendant les répétitions…
Et à cause de cela, Oates et Nicholson n’ont quasiment jamais répété ensemble pendant le tournage de The Shooting

Voilà, il me semblait bien que j’avais oublié de préciser un truc : Gary Kurtz, l’un des principaux architectes de la première trilogie Star Wars, a fait ses armes en tant qu’assistant-réalisateur de Hellman, donc.
Merci, Doc !! :wink:

Intéressant, cette anecdote sur les « méthodes » des acteurs, Oates et Nicholson dans le cas qui nous occupe.
Le réalisateur Gérard Oury disait, au sujet du tournage de La Grande Vadrouille, que la même dichotomie frappait Louis de Funès et Bourvil. Alors que de Funès était bon d’emblée voire meilleur sur les toutes premières prises, Bourvil avait besoin d’une bonne dizaine de prises pour trouver le ton juste et « se chauffer ». Tout l’art de la direction d’acteurs d’Oury consistait donc à trouver le juste milieu, où les deux comédiens étaient à l’aise.

Encore une fois un article très intéressant, et** Le Doc** y va de son anecdote, pas inutile du tout, loin s’en faut.

Bref, un sans faute ?

Je crois bien que oui.