REALISATEUR
Michael Schultz
SCENARISTE
Steven E. De Souza, d’après les personnages créés par Will Eisner
DISTRIBUTION
Sam Jones, Nana Visitor, Bumper Robinson, Garry Walberg, Laura Robinson…
INFOS
Téléfilm américain
Genre : action
Année de production : 1987
Créé en 1940 par le génialissime Will Eisner pour la section comics des journaux dominicaux du Register and Tribune Syndicate, le justicier masqué The Spirit (l’identité héroïque du détective Denny Colt, qui se fait passer pour mort afin de lutter plus efficacement contre le crime) aurait pu devenir dès la première moitié des années 40 un héros de cinéma. En effet, le studio Republic Pictures était très intéressé par le personnage, mais les différentes parties n’ont pu parvenir à un accord valable et le contrat ne fut pas signé. Il se murmure que certaines idées prévues pour le film The Spirit furent alors réutilisées pour le serial (ou feuilleton ciné) du Masked Marvel, qui est selon les spécialistes du genre l’une des meilleures productions de la Republic.
On commenca à reparler d’une possible adaptation du Spirit dans les années 70. Après les succès de French Connection et de L’Exorciste, le cinéaste William Friedkin souhaita revenir à la télévision, média qui l’a vu débuter, avec un téléfilm centré sur la création de Will Eisner. Friedkin est un grand fan de la bande dessinée et comme il l’a souligné dans un article d’époque (que j’ai posté ici, avec quelques notes sur le projet avorté de film d’animation par Brad Bird et Gary Kurtz), « de nombreux réalisateurs ont été influencés par le Spirit…moi inclus ». Avant de révéler que ses idées pour la poursuite de French Connection viennent d’un épisode du Spirit.
Mais ce projet fut hélas abandonné sans plus d’explications…
Il aura donc fallu attendre les années 80 pour que les aventures du Spirit soient pour la première fois portées sur le petit écran. Conçu comme un possible pilote pour une série télévisée, The Spirit fut réalisé par Michael Schultz, un vétéran de la télévision que l’on retrouve au générique d’une flopée de téléfilms et de séries télévisées, de Starsky et Hutch à Arrow en passant par Charmed et Ally McBeal. Le scénario est signé par le « Monsieur Action » des années 80 et 90, Steven E. De Souza, qui a travaillé sur les scripts de 48 heures, Commando, Running Man, Piège de Cristal, 58 minutes pour vivre et Hudson Hawk, gentleman et cambrioleur pour n’en citer que quelques uns.
Bon, il a aussi co-signé le scénario du Judge Dredd avec Stallone et réalisé Streetfighter avec Jean-Claude Van Damme, mais personne n’est parfait.
Dans le rôle principal, on retrouve Sam Jones (Flash"a-ah, he’ll save every one of us"Gordon), dont l’interprétation très « collet-monté » tout en délivrant des dialogues tout droit sortis de la série TV Batman des années 60 (* “The ends never justify the means, and the road to hell? That’s paved with good intentions”*) fait merveille. Une critique a comparé sa performance à (grosso modo) « du Christopher Reeve avec une touche d’Adam West », ce qui est plutôt bien vu. Physiquement, Sam Jones a une vraie carrure de super-héros de comics et est parfaitement à l’aise dans les scènes d’action. Lors de montages qui mettent en scène le Spirit dans sa lutte contre le crime, le réalisateur s’est amusé à glisser de nombreux plans iconiques en utilisant avec efficacité la silhouette de Jones et à recréer des cases du comic-strip (notamment cette façon qu’avait Eisner d’intégrer le nom du Spirit au décor).
Parmi les personnages secondaires, les fans de Star Trek reconnaîtront Nana Visitor, la future Kira Nerys de la série Star Trek Deep Space Nine, dans le rôle de la fougueuse Ellen Nolan. La dynamique entre Ellen et le Spirit fonctionne très bien, il y a une véritable alchimie entre les deux acteurs principaux qui donne lieu à une mécanique comique assez savoureuse (même si à une ou deux occasions, le côté loufoque, à la « screwball comedy », est un chouïa forcé).
Le petit Ebony White est bien là, repensé à bon escient en gosse des rues débrouillard et un peu arnaqueur sur les bords surnommé « Eubie ». Et Laura Robinson incarne P’Gell, méchante sexy mais moins « femme fatale » que dans les pages des strips de Will Eisner.
Production télé à petit budget oblige, l’ambiance film noir est en effet mise de côté pour un mélange entre la comédie d’action digne d’un épisode de Batman et la fiction policière plus classique (l’intrigue tourne autour d’un trafic d’oeuvres d’art). L’histoire ne se déroule pas dans les années 40, mais reprend les caractéristiques de la BD tout en les incorporant à l’époque moderne, sans véritablement donner d’indication de date. Ce qui ne fonctionne pas à tous les coups…
Le superbe costume bleu du Spirit et les robes d’Ellen (véritable festival de couleurs primaires) ont l’air par exemple furieusement datés dans des décors traditionnels et moins stylisés. Par contre, les scènes se déroulant dans le cimetière de Wildwood et dans l’entrepôt du City Museum (avec un piège mortel hérité du serial) sont très réussies, dans la limite des moyens mis à la disposition de la production.
Je note aussi un beau travail sur le placement des ombres et lumières, notamment lors de la scène de l’interrogatoire musclé du Spirit par les hommes de P’Gell, évocatrice d’une couverture de Will Eisner.
Will Eisner n’avait pas apprécié le résultat final (qui n’a pas été retenu pour une série complète suite à une réorganisation au sein de la chaîne ABC), mais même si le téléfilm est inégal sur certains points, sa légèreté, son humour, son rythme (l’histoire est emballée en moins de 70 minutes) en font un divertissement tout à fait agréable et dans l’ensemble (et en tenant compte des ajustements effectués bien entendu) plutôt fidèle à l’esprit de la BD…
…en tout cas plus que le catastrophique long métrage de 2008 réalisé par Frank Miller.