THE STRANGERS (Na Hong-Jin)

La première bande-annonce:

Goksung sera présenté au prochain festival de Cannes sous le titre The strangers. Voici la bande-annonce avec les sous-titres français:

The strangers sortira le 6 juillet prochain au cinéma.

youtube.com/watch?v=VUWAgbXSJ4Y

« The Strangers » est incontestablement une des sensations de cet été au ciné, au vu de l’accueil critique assez délirant qui lui a été réservé (seul les « Cahiers du Cinéma » ont taillé le film). Si à l’aune de cet accueil très favorable je m’attendais à une claque d’une plus grande envergure peut-être, je vais quand même me joindre au concert de louanges. Voilà un sacré putain de film, si vous me passez l’expression.

Na Hong-Jin est un réalisateur relativement jeune, héritier des grands réalisateurs de l’exceptionnelle vague sud-coréenne du début des années 2000 (Park Chan-Wook, Bong Joon-Ho, ou les plus auteurisants Lee Chang-Dong ou Kim Ki-Duk). Ses deux premiers films, fabuleux, avaient la vitalité et la niaque de ceux de ses prédécesseurs : semblant ruminer le cinéma viscéral d’un William Friedkin pour distiller le sien propre, le cinéaste réinvente dans « The Chaser » et « The Murderer » (alias « The Yellow Sea » à l’international) la figure de la course-poursuite pour des résultats époustouflants et emprunte aussi à Friedkin son ambiguïté morale. Il y a comparaison moins flatteuse à effectuer.
C’est peu de dire qu’on attendait son troisième film de pied ferme, sans compter que l’attente a été démesurément longue : 5 ans, dont 3 ans d’écriture très compliquée pour le jeune auteur (scénariste et réalisateur) qui fait un gros travail de documentation théologique et accouche d’un script proprement époustouflant.
Sorte de grand huit narratif au souffle peu commun, le film démarre comme un de ces thrillers coréens mâtinés d’humour bas de front, pour un équilibre quasi miraculeux entre ces différentes tendances : on pense beaucoup, au début de « The Strangers », au génial « Memories of Murders », avec ce flic attachant mais incapable et gaffeur, confronté à des meurtres ignobles.

On se dit que le film est ainsi lancé sur des rails relativement connus (et pourquoi pas), mais le scénariste nous réserve un autre genre de « ride ». A la faveur d’un crescendo dramatique et émotionnel assez incroyable de puissance, le film glisse lentement mais sûrement vers l’horreur pure (de son versant le plus démonstratif à des ambiances plus « kwaidan-eiga » à la japonaise), et se conclut sur une note incroyablement noire. Sans toutefois verser, et c’est heureux, dans la glauquerie pure de certains péloches sud-coréennes assez hardcore (comme « J’ai rencontré le Diable », dont le titre aurait bien convenu pourtant au film de Na Hong-Jin).
Après « French Connection », c’est très clairement vers « L’Exorciste » que se tourne désormais le jeune cinéaste, avec cette histoire de possession enfantine et cette représentation très particulière du Mal, très frontale en apparences, mais aussi totalement diffuse (pour les deux cinéastes, c’est la « contamination » qui semble intéressante à décrire). Une vision assez misanthrope, pour le moins ; c’est un peu la limite du film à mon sens.

Demeure cette incroyable odyssée narrative, faite de retournements, de dénis, de marches arrière, de petites compromissions qui en deviennent de grandes… et de sacrés images qui restent en tête aussi. Na Hong-Jin est tout sauf un cinéaste tape-à-l’oeil, mais sa mise en scène sereine est aussi très puissante, toujours à la bonne distance des événements. On relève même un surcroît de stylisation par rapport à ses deux premiers longs. Certaines scènes frappent par leur impact, comme le long montage alterné avec le rituel du shaman, la course-poursuite en montagne ou la révélation finale, graphiquement d’inspiration « classique » mais glaçante.
Mention spéciale à quasiment tout le casting, mais surtout le japonais Jun Kunimura (vu chez Takeshi Kitano et Sono Sion, mais aussi chez Tarantino pour « Kill Bill »), magistral en ermite énigmatique, dont la nationalité vient évidemment jouer un rôle crucial dans le sous-texte du film (vu les rapports entre les deux nations, Japon et Corée, au cours des décennies). La fibre sociale de « The Chaser » et « The Murderer » n’a pas vraiment disparu, elle a plutôt mué.

Un film d’une grande tristesse et d’un grand pessimisme, révélateur à coup sûr d’une vision pour le moins noire de la condition humaine, mais aussi un film puissant comme un coup de poing et audacieux au possible.
Très remuant.

1 « J'aime »

Je suis retourné voir le film une deuxième fois ce weekend, essentiel à voir sur grand écran à mon avis tant l’expérience d’immersion qu’il procure est intense.

A la revoyure, j’ai été frappé par ces récurrences discrètes qui passent par l’image, comme cette plante desséchée que le flic observe au début avant de passer son chemin et qu’il retrouve à la fin dans sa maison, avec en sus la raison de sa présence et de son dessèchement. Plus subtil, cette façon de montrer la propagation galopante du mal qui ronge le village à travers le regard successif des personnages, sans distinction d’importance, via notamment ces répétitions scéniques dans la découverte des drames. Ainsi le flic qui découvre les premiers cadavres en passant par l’entrée, voit des gens effondrés quitter les lieux avant d’arriver à la scène de crime avec le meurtrier au regard inerte affaissé sur le palier, se retrouve substitué par son collègue quand le malheur frappe sa famille dans un effet de miroir visuel saisissant (le collègue franchit l’entrée de la même manière, voit des gens meurtris évacués avant de découvrir le héros) jusque dans cette même position affaissée du héros, inerte et le regard vide. L’ultime découverte macabre sera faite d’une façon similaire, lestée cette fois-ci d’un silence pesant, mais par le chaman qui vient conclure cette spirale en tant qu’observateur extérieur au village.

Le film profite également d’un sens du montage acéré ménageant des ruptures de ton millimétrées avec ces histoires abracadabrantesques, ces rumeurs, ces visions, qui proposent des chutes parfois comiques dans un premier temps avant de trouver une raison d’être plus insidieuse au fur et à mesure que le scénario s’épaissit. Entre autres qualités visuelles, il y aussi cette gestion impeccable du cadre qui s’éloigne du milieu purement urbain des précédents opus du réalisateur pour s’immerger dans cette campagne aux pluies torrentielles, sachant autant capter des plans larges superbes pour poser le décor que se faire plus étouffant dans ces maisons sombres et étriquées quand survient la tension, voire se resserrer à l’extrême pour dévoiler progressivement la véritable nature du mal à l’oeuvre avec ces plans tétanisants.

Oui, j’imagine qu’un deuxième visionnage livre pas mal de détails de ce type. Je ne l’ai vu qu’une fois pour ma part, mais j’ai hâte de le revoir (vraisemblablement pas en salles ceci dit).

Par rapport à ce que tu dis sur le cadre « qui se resserre », il est à relever que la principale figure formelle qui semble intéresser le cinéaste est le travelling avant (souvent lent), qui permet ce « resserrage » du cadre en cours de plan.

Il est toujours intéressant de voir un cinéaste urbain se pencher sur un cadre rural, et c’est bien le défi que se lance Na Hong-Jin sur ce film. Il renouvelle du coup un peu son découpage, incluant les plans larges dont tu parles, le rendant plus dynamique.

Et en trois films à peine, faut bien reconnaître que ça commence à lui faire une jolie filmo, au petit prodige coréen…