- Éditeur : Calmann-Lévy (8 mars 2023)
- Langue : Français
- Broché : 208 pages
- ISBN-10 : 270218331X
- ISBN-13 : 978-2702183311
- Prix : 23 EUR
« écrit des comics pour les incultes ».
Ça commence bien.
Alors oui, c’est vrai, et oui, c’est comme ça qu’elle voyait les choses, mais bon, un chouïa de formulation pour rendre cela moins abrupt n’aurait pas fait de mal…
Jim
Dans la présentation U.S., ils utilisent le terme lowbrow (que l’on peut traduire je crois par « sans prétentions intellectuelles »)…
Flung Out of Space opens with Pat begrudgingly writing lowbrow comics. A drinker, a smoker, and a hater of life, Pat knows she can do better.
Oui, je me doutais que ça venait de l’édition US. Et on peut traduire pas « bas du front », en quelque sorte. Mais quand même. [Grommelle grommelle…]
Sur le sujet, y a la formidable évocation que François Rivière consacre à Patricia Highsmith, Un long et merveilleux suicide (chez… Calmann-Lévy, justement), que je recommande vivement.
Jim
Bon, je vais continuer à faire mon chieur, mais j’ai trouvé la bio des autrices en anglais, et je constate que si Calmann-Levy a le bon goût d’éviter les âneries orthographiques inclusives (en anglais, c’est « they », ici c’est « elle », ouf !), « interior artist » est quand même traduit par « dessinatrice de décors ». Ce qui est un joli contre-sens.
Ayant vu quelques pages, notamment de scènes consacrées à la période où elle écrivait « Spy Smasher », je crains le pire d’avance quant au traitement éventuel du jargon que l’on peut trouver dans ce genre de séquences. Mais je suis sans doute paranoïaque.
Jim
Sois rassuré, déjà : ce n’est pas un comic-book, mais un roman graphique.
Mouahahahahahahaha.
Alors que le texte américain dit : « This is not just the story behind a classic queer book, but of a queer artist who was deeply flawed. It’s a comic about what it was like to write comics in the 1950s, but also about what it means to be a writer at any time in history, struggling to find your voice. »
Jim
Il y a quand même une différence de taille : en VF, c’est « des comics pour les incultes », alors qu’en VO, c’est « lowbrow comics » : dans un cas, on dénigre le lectorat, dans l’autre, on émet un jugement sur les comics, ce qui n’est pas la même chose…
Tori.
Oui, voilà, on passe des « comics bas-du-front » aux « comics pour les incultes ». Franchement, je suis très curieux de le feuilleter. Très curieux, et très inquiet.
Jim
J’ai feuilleté l’album. Déjà, c’est un chouette objet. Ensuite, on s’en doutait un peu avec les extraits mais ça se confirme sur la durée : le dessin est très agréable, la narration limpide, avec des trouvailles et des effets, sans trop rouler des mécaniques.
En parcourant, je trouve quelques choix de traduction bizarres (« le Timely » ?) et je vois déjà quelques pétouilles de lettrage (des lignes trop longues qui cognent contre le bord de bulle alors qu’il suffisait de faire disposer sur une ligne de plus pour éviter le problème) qui sentent bon le manque de relecture.
Mais n’empêche, c’est tentant.
Le portrait d’une forte tête doublée de lesbiennes dans un monde de machos sous-payés, ça remue. Et la scène de la rencontre avec Stan Lee est vraiment très chouette, assez subtile, toute en non-dits, comme si deux personnalités se loupaient tout en ayant conscience de ce rendez-vous raté. Vraiment bien écrit.
Bref, aurais-je la force d’attendre de le trouver en VO, ou bien vais-je craquer tout de suite en VF ?
Jim
Je suis en train de le lire, mais en VO (ma libraire est parvenue à le commander ainsi, quel plaisir quand même que d’aller chercher ce genre de petite pépite en boutique), et c’est vachement bien.
Le texte d’intro est intéressant : Grace Ellis explique en quoi la vie de Patricia Highsmith est une sorte de modèle LGBT, mais elle précise également que le caractère mal embouchée de l’écrivaine (pour dire ça pudiquement) fait qu’elle se montre aussi misogyne que misanthrope, tout en étant un brin antisémite et raciste. La scénariste en arrive donc à admettre qu’elle n’a pas cherché à rendre sympathique son héroïne, mais à peu près aussi sociopathe que les personnages qu’elle anime dans ses romans.
Cependant, elle brosse le portrait de quelqu’un qui cherche sa place. Rivière, dans son bouquin, prend le temps de préciser que l’exploration de la sexualité et de la vie amoureuse, dans les jeunes années de l’auteur, n’est ni exclusivement homosexuelle ni réellement hétérosexuelle, mais plutôt… curieuse. Et on peut sentir dans cet album la volonté de montrer un personnage en quête de reconnaissance : littéraire, mais aussi affective.
Bon, je n’ai pas fini, j’en suis à une bonne moitié, mais y a vraiment de chouettes passages. La séance de psy, par exemple. Ou encore la formidable séquence de la rencontre avec Stan Lee, merveilleusement mise en scène (la double page est brillante), et qui est ensuite commentée dans une autre séquence : homme, hétéro, juif et éditeur, Stan Lee agace Patricia Highsmith non par parce qu’il est l’opposé ou l’incarnation de ce qu’elle déteste, mais parce qu’il lui renvoie l’image d’elle-même qu’elle refuse.
Vraiment, très prenant, très fin. Et méchamment drôle.
Jim
Je trouve que ça manque le coche, mais je ne saurais plus te dire pourquoi, ma lecture est trop lointaine.
Je viens de le finir, et vraiment, j’aime beaucoup.
Le bouquin parle d’un écrivain en quête de statut et de reconnaissance, professionnelle mais aussi affective. La narration tisse des liens entre les deux dimensions de la vie de l’écrivaine, et l’intersection, c’est la publication de son roman Carol (sous le premier titre de The Price of Salt). Donc l’intrigue est entièrement dirigée vers ça, avec les étapes que l’on connaît (évoquées chez Rivière, chez Meaker, chez tous les gens qui parlent de Highsmith) : ses boulots à la con, la rencontre à Bloomingdale, l’inspiration qui revient…
Dans cette logique (qui, donc, n’est pas de raconter la vie de l’autrice, ni de s’intéresser à sa carrière de comic book writer, qui n’est là que pour fonctionner dans la logique de « repoussoir » de la trame, même si Ellis en tire des scènes proprement savoureuses, dont cette double page avec Stan Lee que je ne cesse d’évoquer), les autrices s’intéressent à Carol et à Highsmith pour le rôle important que le livre et l’écrivaine ont tenu à ce moment-là auprès de la communauté lesbienne.
C’est donc un positionnement qu’on peut qualifier de militant, en tout cas d’historien. Moi, ça me va. Ça me semble être le contrat de lecture proposé dès les premières pages, et je trouve qu’elles s’en sortent plutôt bien. C’est aussi un portrait du conservatisme de l’époque, à travers le monde de l’édition, et j’aime beaucoup la dernière partie, où elle reprend son bâton de pèlerin afin de caser son bouquin quelque part. C’est très éloquent.
Y a aussi de chouettes idées de composition, de lettrage (en tout cas dans la VO que j’ai) et de mise en scène. J’aime bien les bulles noires de pensées de l’autrice, qui nourrit ses fantasmes de meurtre au rythme de ses rendez-vous avec les éditeurs. Très drôle.
Et graphiquement, je trouve ça plutôt joli. Cette touche mangaïsante n’est pas trop envahissante, ça donne une qualité semi-réaliste, un peu cartoony, sans être mièvre. Ni même excessivement girly. Ça compose un bel album, pour moi.
Jim