[quote=« Jack! »]
Sinon, c’est pas très bon. [/quote]
Je serai pour ma part nettement plus enthousiaste : malgré des défauts indéniables, j’ai beaucoup aimé.
J’avais déjà adoré « Red State », où Kevin Smith se montrait contre toutes attentes excellent metteur en scène (ce que ses films antérieurs, friqués ou pas, ne laissaient pas du tout présager…), mais confirmait aussi son talent unique pour les dialogues. La grosse nouveauté (en plus de cette mise en scène nerveuse et pêchue à défaut d’être vraiment virtuose), c’était cette volonté de se frotter au cinéma de genre tendance hardcore, et de secouer le cocotier, avec un film qui changeait pratiquement de tonalité, de focus et même de genre à chaque scène ou presque…
Smith remet ça avec ce « Tusk » qui a beaucoup en commun avec son prédécesseur.
Elle est si savoureuse que ça vaut le coup de rappeler l’anecdote : en panne de projets cinématographiques dignes de ce nom, Smith a beaucoup écumé le net avec ses podcasts (très drôles à mon sens). Durant l’un d’eux, Smith et un acolyte délirent sur la fameuse petite annonce retranscrite par le Doc dans sa présentation. A tel point qu’ils ébauchent carrément le canevas d’un film en devenir, pour se marrer (faut dire que Smith aime beaucoup les cigarettes qui font rire).
Ils vont finir par prendre la blague au pied de la lettre, et bon an mal an, le projet se monte, avec ce délire en guise d’embryon de script (Smith diffuse sur le générique de fin un extrait de ce podcast, comme un dernier contrepoint au film).
A l’instar de « Red State », donc, le film est totalement imprévisible, passée une introduction brillante, à la fois tordante et intrigante. Elle est ponctuée par un échange fabuleux entre les deux acteurs principaux (Justin Long et le génial Michael Parks, tous deux énormes tout du long), un échange à la longueur défiant les normes en vigueur (comme l’intro de « Red State » s’achevait par un prêche long comme un jour sans pain signé Parks, déjà).
Passé ce point, impossible de prévoir la suite, et c’est un sentiment assez rare et grisant. Smith aurait pu se contenter de ce huis-clos suffocant, mais de son propre aveu il a eu besoin de « sortir » un peu de la maison au centre de l’intrigue. D’où (toujours comme dans « Red State ») l’apport incessant de nouveaux personnages et l’adjonction de sous-intrigues parallèles (la copine et le meilleur pote, incarnés par la bomba Genesis Rodriguez et Haley Joel « Sixième Sens » Osment, qui a beaucoup, euh…grandi).
La principale surprise survient aux abords du troisième acte, où par le biais d’un double changement de braquet, le film devient « autre », dans tous les sens du terme, assumant complètement sa dimension grotesque. Certains spectateurs ont pris ça pour un déballonnage en règle de la part de Smith : ce virage révélerait le manque de « courage » du cinéaste. N’importe quoi.
Smith aurait pu partir dans une bonne dizaine de directions différentes après son exposition : d’une certaine manière, il choisit de les suivre toutes. S’il avait négligé la dimension comique, le film aurait pu être insupportable de glauquerie (il l’est déjà pas mal, hein). Le « panachage » choisi, s’il entame l’unité du projet, a le mérite de la cohérence avec le sous-texte du film. Le plus gros défaut de cette option, c’est de se reposer sur Johnny Depp, au-delà du cabotinage ici (même s’il est objectivement très drôle à trois ou quatre occasions ; pour le reste…). Le tout se termine sur une chute d’une noirceur abyssale, où j’ai pourtant ri comme un goret (je dois avoir un problème dans ma tête).
Il y aurait une sorte de « morale » (la dimension moraliste est loin d’être absente du projet de Smith) à tirer du film, qui serait en gros « tel est pris qui croyait prendre » avec une mise en boîte féroce du cynisme ambiant (spectateurs compris…). Tout ça n’est pas faux mais bien plus intéressant me semble le parallèle que Smith semble établir entre deux types de storytelling différents, chacun étant porté par un des deux principaux protagonistes : il y a le second degré dans l’air du temps, où les histoires sont « au service » de celui qui les raconte (qui se fait mousser au passage), et il y a un amour des histoires à l’ancienne, considérées avec un premier degré…qui confine à l’horreur.
Le film est au final beaucoup moins con que son pitch débile ne le laissait présager.
Cerise sur le gâteau, Smith se montre toujours inspiré en termes de mise en scène, à défaut d’être génial (certaines scènes sont vraiment admirablement découpées). Si Smith ne semble pas trop porté sur la portée « allégorique » purement visuelle du cinéma (pas de plans vraiment « signifiants » ici), il excelle par contre au niveau du montage (qu’il signe lui-même), avec des longueurs subtiles à la fin des plans dont il tire de puissants effets, tour à tour comiques ou glaçants.
Un sacré film, inégal mais couillu, qui a un peu les défauts de ses qualités, mais ces dernières emportent largement le morceau à mes yeux.
Regonflé à bloc, Kevin Smith enchaîne désormais les projets, avec son « Yoga Hosers » (qui met en scène deux ados aperçues ici), et bientôt « Clerks 3 », dans un tout autre genre. Et beaucoup plus proche de l’esprit de ce « Tusk », Smith envisage aussi une sorte de « Jaws » canadien avec un élan à la place du requin. Tout un programme !!