Nom de dieu, quelle claque. Un putain de film, qui tient à peu près du jamais vu, je crois bien.
Premier point pour faire bref : les allergiques à « Primer », premier essai du bonhomme, peuvent allègrement passer leur chemin ; comme dans son premier long, Shane Carruth ne facilite pas la tâche de son spectateur, c’est rien de le dire.
Mais pour qui aura la patience d’attendre que le film délivre ses trésors (c’est-à-dire après au moins une deuxième vision, si d’aventure la première vous a suffisamment intrigué…), c’est un délice.
Le film raconte une étrange histoire à la lisière de la science-fiction (version Hard Science, mais rien d’inabordable) et du thriller, le tout racontant en sus une bouleversante histoire d’amour, sur fond de télépathie, hypnose, micro-biologie, botanique et…élevage de porcs.
On comprend bon an mal an les tenants et les aboutissants de l’intrigue, mais il est clair que Carruth aborde ici son script d’une manière très particulière, façon Nouvelle Vague (« faire le film contre son scénario » disait en substance Truffaut). Elliptique, fragmentaire, lacunaire, l’histoire que nous raconte Shane Carruth l’est vraiment d’une manière très particulière. Le script est une sorte de base de travail et Carruth travaille ses motifs à partir de là, sans chercher à forcément illustrer le scénario dans sa globalité (escamoter ainsi la rencontre entre les deux principaux protagonistes, il fallait oser). On imagine que le cinéaste a procédé par épures progressives, dégraissant son script d’abord à la fin de l’écriture, puis au tournage et surtout au montage (incroyablement travaillé, notamment aux niveaux des transitions, bluffantes par moments, et très cut aussi, le film est tout sauf chiant parce que le rythme est très soutenu).
Il bricole de plus, pour un budget paraît-il dérisoire (on parle de 40 000 dollars, mais Carruth ne souhaite plus communiquer sur ses budgets depuis « Primer »), des plans absolument magnifiques, ce qui est devenu possible par la démocratisation des caméras numériques HD pas chères et au rendu assez hallucinant. Le feeling global (voilà qui va en faire hurler plus d’un) rappelle un peu le Malick de « Tree of Life ».
C’est au niveau du son que le film se révèle le plus impressionnant : comme « Berberian Sound Studio » il n’y a pas très longtemps, « Upstream Color » est un grand film sonore. Carruth a du en avoir conscience / envie dès l’écriture, car il ménage même une mise en abyme intéressante sur le sujet (un des persos, le plus mystérieux, fait des « fields recordings » à la Chris Watson pour produire de la musique…). Le film est de ce point de vu-là une réussite absolue.
Chapeau. Je l’aurais bien bouffé mon chapeau, d’ailleurs, pour voir « A Topiary », le scénar’ de 240 pages (!!) jamais tourné sur lequel Carruth a bossé des années sous la houlette de David Fincher. C’était une sorte de thriller robotique totalement fou mettant en scène une bande de gamins fabriquant leur propre « machine » qui se trimballait une réputation de fou sur le web, mais justement, trop fou, trop barré, pas raisonnable, le film est tombé à l’eau.
A mon humble avis, « Upstream Color » est de nature à faire oublier cet échec, tant le film est abouti et extrêmement original…