WHO WATCHES THE WATCHMEN ?
Je ne vais pas revenir sur l’entière genèse labyrinthique du film mais rappelons juste les grandes lignes de cet incroyable périple :
en 1989, le succès du Batman de Burton pousse la WB a demander à son scénariste Sam Hamm une adaptation de Watchmen. Son scénar ne reprend presque rien du comics d’origine, le ton y est parodique, gentillet, comique et avec des trous narratifs béants (un peu entre La ligue des gentlemen extraordinaires et Mystery men).
Dieu merci, après des années de gestation et différentes équipes (dont Terry Gilliam, Paul Greengrass et d’autres), un nouveau scénario est commandé à David Hayter, scénariste des deux premiers X-men de Bryan Singer, mais surtout traducteur et voix officielle de Solid Snake de la saga des Metal Gear Solid.
Au départ Hayter propose une mini-série de 6 heures pour HBO (imaginez du Alan Moore traité par les équipes créatives des Sopranos !), ce qu’on lui refuse. ( aaaah l’ironie quand on sait ce qui en sera fait plus tard sur cette même chaîne ).
On lui demande aussi de moderniser l’histoire pour coller à une ambiance post-11 septembre en remplaçant Nixon par Bush en plus d’autres modifications qui bouleversent complètement son idée de départ : un scénario fidèle au boulot d’Alan Moore et de Dave Gibbons.
Avance rapide.
En 2007 Snyder débarque sur le projet, auréolé de son succès sur 300. Ce dernier demande une nouvelle mouture du script a Hayter et Alex Tse, qui reprendra les meilleurs éléments du scénar d’Hayter. Snyder doit cependant se battre avec les exécutifs de WB, notamment pour imposer que le film se déroule en 1985, pour garder une fin fidèle à celle d’origine (la WB voulait qu’Ozymandias soit tué par le Hibou a la fin du film, avec un happy end). Il doit se battre aussi bec et ongles pour conserver le ton adulte de l’oeuvre d’origine, notamment les scènes de sexe ou le pénis bleu du Dr. Manhattan, et il veut exploiter au maximum la violence graphique implicite dans les comics. Et il gagne son combat. Du moins en partie.
Son director’s cut (qui dépassera le montage salles de 50 minutes !) n’aura pas droit de cité en salles, ainsi qu’un autre montage comprenant le dessin animé Tales of The Black freighter, tourné pour l’occasion, avec la voix de Gerard-Leonidas-Butler et enfin un Ultimate Cut comprenant le dessin animé dans la narration du film, comme dans le comics, ce qui donne un métrage complet de plus de 200 minutes, un peu moins de 4h. Ouais, un film de super-héros, de studio, classé R (interdit aux moins de 17 ans), de près de 4 heures.
C’est là-dessus que se joue tout ce qui a été dit et tout ce qu’on pourra jamais dire sur Watchmen.
Car on n’a jamais entendu, ni vu, ni lu l’avis de quelqu’un qui a vu ce montage et en a déduit que Snyder était un raciste, un pervers, un homophobe, un facho, et ainsi de suite.
Qu’est ce qui a changé depuis 2009 ? Fondamentalement que dalle : The Dark Knight est devenu et reste aujourd’hui le film adapté d’un comic-book le plus respectable du milieu, côté professionnel comme côté geek, les franchises partent 9 fois sur 10 au reboot voire au gonzo, et rares sont les films de genre super-héros a pouvoir se vanter d’avoir apporter quelque chose de neuf au genre ou du moins d’assez solide pour résister à l’épreuve du temps. Et aucune franchise n’a tenu sur son seul nom une vraie continuité plus de 3 films depuis 15 ans.
Watchmen fait parti des rares élus qui resteront dans l’histoire du cinéma de genre parce qu’avant même d’être une adaptation ultra-complexe d’un comic-book qui a été jugé comme l’une des oeuvres littéraires les plus importantes et intelligentes du XXième siècle, c’est un film de pur cinéaste, une entreprise somme comprenant un travail de recherche et de création titanesque.
Au premier abord, même si on n’y connaît rien (et dieu sait que certains ouvriront jamais un comic-book de leur vie et n’auront jamais la moindre idée a quel point Alan Moore a influencé la pop-culture de ces 40 dernières années), on ne peut que constater la présence de thèmes matures pour la première fois dans un film de super-héros : un viol (filmé en champ), une scène de sexe avec de la nudité, de la nudité frontale masculine (celle qui est impossible dans un film de cette envergure), un génocide, tout sauf un happy end, de la maltraitance d’enfants, du gore qui tache et ainsi de suite.
Snyder aura été le premier de l’Histoire a faire ça, et a aller aussi loin.
Même les autres qui ont adapté du Alan Moore ont tous systématiquement viré de l’histoire les aspects les plus subversifs pour n’en garder que l’attrait commercial, même avec From Hell et V for Vendetta !!! Une oeuvre historique à charge et ésotérique contre la franc-maçonnerie et une ode à la révolution et à l’anarchie sont devenus des pubs ambulantes pour Johnny Depp et Natalie Portman entre deux contrats Chanel et Dior et l’idolâtrie des multinationales et des industries pharmaceutiques, c’est quand même un truc de dingue !
Et qui s’en prend plein la gueule au final ? From Hell ? V for Vendetta ? Non, c’est Watchmen, et Snyder qui a signé un contrat a vie pour être crucifié quoi qu’il tourne et quoi qu’il fasse.
D’abord les non-geeks lui sont tombés dessus. Parce qu’une histoire fantastique stylisée au premier degré semble être un sacrilège. À croire qu’une forme putassière et un fond volontairement débile a la X-men 3 aurait satisfait plus de monde (d’ailleurs ça a été le cas). Ensuite les Ayatollahs du geekisme ont rajouté la couronne d’épines et l’ont planté avec une enclume : Snyder ne serait qu’un opportuniste, un facho d’extrême droite, un homophobe pervers dénué de toute idée de mise-en-scène qui ne penserait qu’a sa b-o en laissant la caméra tourner à 120 images-seconde pour se faire des ralentis numériques en HD de la mort. Tout ça parce que le mec est un des seuls a ne pas être un yes-man, et qui ne baisse pas son froc devant les exécutifs des majors. Il a un style, un sens de l’image, une esthétique qui n’appartiennent qu’à lui et qui font de lui un metteur-en-scène au sens d’auteur, d’artiste. Il est un des seuls a prendre le soin de soigner son image, la composition de son cadre, à faire attention a chaque détail pour rester cohérent avec ce qu’il adapte, a prendre le matériau d’origine comme une bible sans en faire un copier-coller sans âme.
Et c’est pour ça qu’on le déteste et qu’on ne comprend pas son cinéma.
Car quand il montre la première scène de sexe d’un film de super-héros, il y aura toujours un ignare pour dire : « c’est vulgaire. ça salit l’image de la femme. »
Quand il reste fidèle à des morts violentes et gores comme dans le comics, on aura toujours quelqu’un pour dire : « c’est juste un bourrin sans idées. il sait pas raconter une histoire. c’est un ado qui fait boum-boum avec ses jouets. »
Le pire ayant été d’avoir reproché à Snyder d’iconiser ses personnages.
Rappelons la démarche d’Alan Moore : Envoyer se faire foutre tous les modèles de comics mainstream de son temps, prendre des héros désuets (Charlton Comics), les mettre dans un contexte réaliste et montrer les implications désastreuses qu’auraient ces personnages dans la vraie vie. Alan Moore vous dit : « Si Superman existait, on serait tous a la merci d’un Dieu inhumain et si Batman existait, sa réflexion l’amènerait à devenir un vigilante tueur, un lâche impuissant ou un génocideur fou. Et c’est ça que vous voudriez dans la vraie vie ??? »
Le tout donnant une réalité alternative stylisée et caractérisée par un style cinématographique avec des moyens de comics.
Snyder a fait exactement la même chose avec le procédé inverse : il a filmé une réalité alternative stylisée par ses origines comics avec des moyens de cinéma.
On appelle ça de la cohérence.
Après les choix de style peuvent être discutés à l’infini (les tétons du costume d’Ozymandias, la longueur de la queue du Dr. Manhattan, le viol stylisé au ralenti, l’agencement des flashbacks, tout et n’importe quoi) mais personne ne peut s’appuyer sur le fond et la forme de l’oeuvre d’Alan Moore pour dire que Snyder a fait quelque chose de contraire à ce que Moore a conçu. Il est resté fidèle au comics et personne ne peut lui enlever ça. Et il osé le faire en employant des mouvements d’appareils beaux et élancés, un montage fluide, conserver les thèmes les plus ésotériques et profonds de l’histoire d’origine, osé évoquer de la philosophie, du sexe, de la guerre et de l’histoire d’une certaine Amérique devenue folle par une guerre froide interminable et un président mégalomane. Un film qui parle de physique quantique comme de communisme, d’art, de voyages dans le temps et d’existentialisme et oui, avec des scènes d’action.
C’est politique, c’est sexe, c’est violent, c’est philosophique, c’est adulte, c’est mature, ça dure 4 heures, c’est interdit en salles aux moins de 17 ans.
Et c’est un film de super-héros.
Et au fond c’est ça qui vous emmerde ou qui vous fait bander.
version salles :
Gros problèmes de montage et trous d’histoires béants ne doivent pas empêcher d’entrevoir une partie de quelque chose de bien plus immense qu’elle ne semble l’être.
version director’s cut :
Sans doute le juste milieu, environ 3 heures et un rythme encore assez fluide pour en paraître durer 2.
Un chef d’oeuvre marquant du film de super-héros.
version Ultimate cut :
Une œuvre somme, épuisante, éreintante, mais complète, et un des films les plus complexes et titanesques des années 2000. Snyder a signé quelque chose de monumental et d’unique dans toute l’histoire du cinéma.