Je suis en train de lire William S. Burroughs - SF Machine , de Clémentine Hougue, et au début de son ouvrage, elle fait la liste des romans de SF que Burroughs a cités comme étant sinon des influences du moins des lectures marquantes. Parmi ces ouvrages, Twilight World de Poul Anderson.
Dans le résumé qu’elle fait, elle utilise l’expression « homo superior ». Et je me suis pris à me demander quelles étaient la première occurrence du terme et la généalogie de l’expression, car on a déjà vu, un peu plus haut, qu’elle était déjà présente dans un texte d’Otto Binder paru en 1953.
Hé bien, je crois que je viens de trouver la source à la base de l’idée. Il s’agit d’un article illustré . Le texte est dû à Otto Binder, et les illustrations sont signées Kurt Schaffenberger. Vous trouverez en première page le texte resaisi par l’auteur du blog. C’est assez rigolo, il faut bien l’avouer, et je pense que dès le départ, en 1953, c’était à prendre à l’énième degré.
Car, en effet, rappelons qu’Otto Binder est scénariste de bande dessinée (il a travaillé de nombreuses années sur d’innombrables histoires de Captain Marvel, de Superman ou de la Legion des Super-Héros, et il a créé Brainiac, Krypto, Supergirl, c’est quand même pas rien), et qu’il est également romancier de science-fiction. C’est sans doute dans cette perspective qu’il faut prendre le texte, derrière son vernis de prophétie journalistique. Quant à Kurt Schaffenberger , c’est un dessinateur qui s’est illustré sur des séries comme Ibis the Invincible ou Lois Lane .
cet article, donc, a été publié en décembre 1953 (soit quelques douze ans avant la scène montrant Xavier lire le journal) dans Mechanix Illustrated . Si vous cliquez sur le lien situé plus haut, vous pourrez voir l’ensemble des pages, mais je vous mets ici les deux premières d’entre elles, celles qui contiennent les illustrations de Schaffenberger. Parce que ça me semble plus qu’éloquent !
Si les mutants de Schaffenberger sont chauves, et ceux de Kirby seulement dégarnis, la parenté demeure évidente. On retrouve la scène typique, les mutants torturant et agressant des humains en haillons dans des décors de ruines, sur la première image que regarde Xavier.
Plus intéressant encore, Binder utilise l’expression « Homo Superior », popularisée par la série X-Men , ainsi que l’appellation « Mutant Man », dont l’allitération évoque les procédés stylistiques chers à Stan Lee, dont le « Mutant Menace ! » de la manchette de journal semble être une déclinaison naturelle.
Cependant, on sait que Jack Kirby était bien davantage lecteur de science-fiction que Stan Lee. Donc il n’est pas impossible que ce soit lui qui ait réinvesti le souvenir (voir plus : on peut imaginer qu’il avait ce numéro dans sa collection, sait-on jamais…) de cette image pour la régurgiter à sa sauce, laissant Stan Lee broder des sonorités marquantes sur les images.
Je n’arrive pas à me décider : idée de Lee, idée de Kirby, idée née de la discussion des deux ? Toujours est-il que la concordance des deux images me semble aussi frappante que troublante. Et quand on sait que Binder et Schaffenberger ont travaillé pour Timely / Atlas et connaissaient Stan Lee (et que le milieu de la bande dessinée américaine de l’époque était assez petit, tout le monde connaissant tout le monde), il n’est pas du tout absurde de penser que les deux auteurs de X-Men aient eu connaissance du travail de Binder et Schaffenberger sur cet article.
Concernant Twilight World , il s’agit de ce qu’on appelle un fix-up , une expression attribuée à A. E. Van Vogt, et qui recouvre une pratique éditoriale datant de la période où les romans de science-fiction deviennent plus populaires et remplacent peu à peu les pulps (durant les années 1950 et 1960, disons) : les différents textes d’un auteur, situées dans un même univers, étaient agglomérés dans un seul tout littéraire, parfois agrémenté d’un prologue, d’un épilogue ou de textes intermédiaires faisant office de ciment narratif. En gros, on prenait des nouvelles disparates, on renforçait les fils rouges permettant de les tricoter ensemble, et on revendait l’ensemble sous l’apparence d’un bouquin cohérent.
Donc, Twilight World fait partie de ces remontages tardifs. Le bouquin est sorti en 1962 (Hougue dit 1961 dans son bouquin), mais la plus ancienne des nouvelles compilées, « Tomorrow’s Children », date de 1947 (dans Astounding Science Fiction de mars, précisément).
Et le bouquin semble, selon toute apparence, contenir le mot « homo superior ». Je trouve notamment une description en anglais :
Anderson, Poul. TWILIGHT WORLD. London: Victor Gollancz Ltd, 1962. Octavo, boards. First British edition. Fix-up novel comprising « Tomorrow’s Children » (1947), Anderson’s first published story, and « Logic » (1947), with a new final section. « Dour adventure in a world of genetic mutations caused by an all-out nuclear war. In its early form this was one of the first sf stories to deal with this theme. » - Pringle, The Ultimate Guide to Science Fiction, second edition (1995), p. 390. The final section of the story, however, is upbeat, Earth’s mutants, now Homo superior, have colonized most of the Solar System and have begun a project to terraform the blasted, ruined Earth. A fine copy in fine dust jacket. (#88820 ).
Cependant, la formulation me semble signifier que l’expression « homo superior » apparaît dans la dernière section du recueil, et daterait donc du début des années 1960. Et non de la première nouvelle.
Celle-ci, qui d’après Hougue est la seule partie du cycle accessible au lecteur hexagonal, a été traduite sous le titre « Les Enfants de demain » dans le recueil Le Chant du barde , en 1988. Faut que je regarde si je l’ai, mais je ne crois pas… Si quelqu’un l’a, je serais curieux de savoir si l’expression « homo superior » y figure.