Pas vu tous les Dupieux, mais « Steak » et « Rubber » donnent déjà une bonne idée des capacités du cinéaste / musicien (Mr Oizo, c’est lui), excellent filmeur avec trois bouts de ficelle et créateur d’univers complètement barrés. Néanmoins, j’ai toujours eu du mal à voir chez lui en quoi consistait la veine « surréaliste » souvent évoquée ; un film barré et décalé n’est pas forcément surréaliste pour autant. Avec « Wrong Cops », il me semble que Dupieux atteint pour le coup véritablement cette dimension : Bunuel a pu être évoqué au sujet de ce film, et c’est pas idiot du tout…
Le film se compose de différents segments entremêlés tournant tous autour d’une brigade de flics de L.A. qui en viendrait à faire passer Harvey Keitel dans « Bad Lieutenant » pour un angelot zen : vulgaires, méchants comme des teignes et corrompus jusqu’à la moëlle, les flics de Dupieux n’ont rien pour eux.
Le type d’écriture particulier choisi par le cinéaste, un peu « marabout - bout de ficelle » sur les bords a les avantages de ses inconvénients : impossible de prédire la course de ce film. Ceci étant dit, avec ce type d’écriture, il faut s’attendre (et c’est le cas) à un rythme un peu bancal et des hauts et des bas, bref des problèmes de dynamique : heureusement, l’extrême concision du film (78 mn !!) compense largement cet écueil.
Le film est donc très drôle, même si les gags se révèlent plutôt inégaux sur la longueur : mention spéciale à deux trois moments de pure hilarité (en ce qui me concerne, tout du moins), dont la photo dans le magazine porno gay se révèle probablement le pompon (j’ai cru crever…).
Pour ne rien gâter, Dupieux convoque un casting quatre étoiles, du français Eric Judor (excellent comme d’habitude, même si un peu gêné par l’utilisation de l’anglais on dirait) au shock-rocker Marilyn Manson dans un total contre-emploi, en passant par le fabuleux Steve Little (hi-la-rant dans la série « Kenny Powers », qu’on ne conseillera jamais assez). Dupieux convoque de plus deux acteurs que les amateurs de l’œuvre de David Lynch connaissent bien : Ray Wise et Grace Zabriskie, les parents de Laura Palmer dans « Twin Peaks ». Cette connexion est intéressante car elle est révélatrice des intentions de Dupieux.
En effet, comme Lynch, Dupieux parvient, derrière le dynamitage féroce des institutions et le comique outré qui en naît (à la Bunuel, donc, période « Le Charme discret de la bourgeoisie »), à instiller un climat anxiogène très subtilement. Le cinéaste joue comme personne des clichés les plus superficiels liés à la ville de Los Angeles (soleil, palmiers, diners, banlieues pavillonaires, etc…) pour faire sourdre derrière les images un univers parallèle noir et menaçant, à la Lynch.
Techniquement, Dupieux travaille toujours je crois avec une équipe réduite et du matériel léger, puisqu’il filme avec l’appareil photo Cannon 5D Mark II, réputé pour ses images qui claquent à peu de frais. Mais contrairement au cinéaste amateur qui croirait refaire « Matrix » dans son jardin simplement parce qu’il est bien équipé, Dupieux n’oublie pas que l’image numérique ne dispense pas d’éclairer ses films, bien au contraire, et il le fait bien, le bougre (il est son propre chef-op’, je crois) : avec un budget tout à fait raisonnable, Dupieux obtient donc une photo vraiment chouette, très proche du rendu 35 mm au final, très « américaine » (ce qui est indispensable à son projet, de même qu’il ne pourrait pas tourner un tel film en France…).
Quant à la musique du film, également produite par le cinéaste, elle est carrément au centre de son projet narratif : non seulement Dupieux utilise comme personne la musique à des fins comiques (des petites ponctuations de plans bizarres qui surgissent par ci par là), mais en plus elle est ici au centre des obsessions des personnages, et à l’origine des transitions d’une partie à l’autre, assurant une fluidité et une cohérence à la narration là où celle-ci est pourtant confrontée au double écueil du non-sens et de l’hétérogénéité (7 segments plus absurdes les uns que les autres mis bout à bout). On sent que le mec a passé du temps en salles de montage et de mixage, indéniablement.
Si les films de Dupieux sont limités dans leur intérêt par ce qui fait précisément leur sel (un univers fictionnel au-delà de l’absurde, et désormais très identifiable, après quelques films), on ne peut lui enlever son talent et son originalité dans une industrie de plus en plus frileuse habituellement face à ce type de projets. Pourvu que ça dure…