AN EVENING WITH SUPERMAN (Barry Windsor-Smith)
Dans la seconde moitié des années 90, Barry Windsor-Smith soumet à Paul Levitz un projet de graphic novel de 120 pages consacré au plus iconique des super-héros. Pour cette occasion spéciale, BWS ne souhaite pas en faire une énième oeuvre mainstream publiée dans le cadre des séries mensuelles, à l’instar de son célèbre Weapon X , mais plutôt quelque chose de vraiment à part, dans le style plus sophistiqué selon lui de son Storyteller ; et éloigné de ce fait des conventions inhérentes au genre, sans combats ni scènes de voltige, pour pouvoir ainsi se cantonner dans une veine plus intimiste.
L’artiste voulait ainsi appréhender le personnage d’une façon plus terre-à-terre, par le biais de sa rencontre avec Lois Lane, qui apprend à le connaître en se chargeant de son interview.
Au cours de cette histoire, la journaliste devait en effet se voir accorder la toute première interview exclusive du kryptonien, qu’elle ne peut s’empêcher de voir comme une sorte de dieu, alors que celui-ci veut justement lui montrer à quel point il est humain, en tentant de démystifier l’image qu’il véhicule auprès du commun des mortels. Ce point de départ était un moyen pour l’auteur d’explorer les failles de tous les personnages, et pas seulement celles du héros.
Windsor-Smith avait également souhaité développer l’identité visuelle bien spécifique de son récit, en changeant le style d’architecture de Metropolis, via une sorte de patchwork visuel mêlant les objets et influences de diverses périodes distinctes, avec notamment l’esthétique et la technologie des années 40 qui cohabitent avec le style Art déco, tout en empruntant des éléments à l’ère victorienne, avec des touches de style d’ameublement de type Empire.
Avec un tel parti-pris, ce type d’approche rappelle quelque peu la fameuse série
Batman: The Animated Series , qui au-delà de son de son statut d’adaptation exemplaire, s’est distinguée grâce à son propre style visuel, inspiré par le Superman des frères Fleischer, et surnommé depuis le « Dark Déco ».
Ce visuel intemporel fut ainsi le meilleur moyen pour faire cohabiter la technologie contemporaine et des éléments plus rétro (la télévision en noir et blanc, les appareils photo munis d’ampoules flash), le tout plongé dans une esthétique de film noir du plus bel effet; notamment lors des épisodes qui se concentraient sur les gangsters de Gotham, tel les grandioses « It’s Never Too Late » et « The Man Who Killed Batman ».
D’après les dires de BWS, celui-ci a en réalité plutôt lorgné sur le premier Batman de Burton, et notamment le travail remarquable d’ Anton Furst sur le plan de la direction artistique, en particulier sur l’architecture de la ville, inspirée par l’expressionnisme allemand.
Malgré les retours positifs de l’éditeur, l’artiste a dû ronger son frein et contenir son inspiration débordante, car il lui a fallu attendre le feu vert pendant plusieurs mois, en attendant que le contrat soit finalisé. BWS considérait à ce moment-là qu’il aurait dû prendre de l’avance afin que le graphic novel soit quasiment prêt au moment de la finalisation du contrat. Le projet semblait alors en bonne voie de concrétisation, et une des planches était même présente à la fin de l’ouvrage Superman: The Complete History.
C’est en réalité la manière dont le dessinateur a abordé la figure du kryptonien qui explique cette longue attente, puisque selon lui il a été confronté à un problème lié aux personnages iconiques et hyper populaires, dont l’image de marque doit être préservé en vue du merchandising, pour que la licence reste abordable, voire plus ou moins immuable dans ses fondamentaux.
BWS a estimé qu’il était pourtant possible d’avoir une approche clairement plus axé pour le lectorat adulte, en citant comme précédent Superman: Peace on Earth de Paul Dini et Alex Ross.
L’angle choisi par l’artiste s’est heurté aux réticences de l’éditorial, qui a imposé une censure sur le plan de la caractérisation, empêchant ainsi Perry White de boire de l’alcool, ou encore de se montrer sexiste et chauvin. Son utilisation du mot « vierge » a également fortement déplu aux éditeurs, malgré que le terme soit utilisé dans le cadre d’une blague de journaliste à l’encontre de Lois Lane.
Ce n’était d’ailleurs pas une première pour l’artiste, puisque celui-ci a eu le même désagrément en ce qui concerne l’utilisation proscrite du mot « goddamn », dans le cadre d’un autre projet avorté, une histoire portant initialement sur la jeunesse du géant de jade, qui aurait dû être publié en 1984, et dont on aura sans doute l’occasion d’évoquer de nouveau sur ce thread. Mais ça c’est une autre histoire…
Source : barrywindsor-smith.com