Incredible Hulk #222 (1978) :
Entre ses premières aventures (les six numéros du vol.1) et les itérations plus récentes (le récent titre Immortal Hulk), il est arrivé à Hulk de revenir dans le giron de l’horreur (son « berceau » originel). Cela a donné des résultats souvent efficaces, tant ce personnage malléable arrive à se fondre sans mal dans différents genres et registres (la variété du run de PAD avec Joe Fixit dans le milieu criminel de Las Vegas, les moments « péplum » dans l’exotique « Planet Hulk » de Pak, l’ère « Crossroads » chez Mantlo avec le carrefour des dimensions, le fameux épisode d’Harlan Ellison avec les débuts de Jarella, l’ambiance de série B décomplexée du run d’Aaron, l’aspect conspirationniste à la X-Files chez Jones).
Un des meilleurs représentants de cette veine n’est autre que ce stand-alone/bouche-trou de la fin des 70’s (période du début de la diffusion de la célèbre série tv avec la paire Bixby/Ferrigno) signé par Lein « Swamp Thing » Wein, Jim « Captain Marvel » Starlin et Alfredo « Conan the Barbarian » Alcala, soit tout autant de créatifs emblématiques de cette période pré-Jim Shooter (devenu Editor-In-Chief en 1978).
Après la fin de son monumental run sur Warlock (un cycle achevé peu après dans deux Annuals tout aussi mémorables) et avant son retour chez Marvel au début des 80’s (pour sa « Metamorphosis Odyssey » dans les pages d’Epic Illustrated, l’oeuvre de commande qu’est le GN La Mort de Captain Marvel ou encore son creator-owned Dreadstar, dont l’ongoing finira par migrer chez First), Jim Starlin a fait quelques courtes piges sur diverses séries (Eerie, Creepy, Vampirella) tout en faisant un tour du côté de la distinguée concurrence (où il a eu l’occasion de créer Mongul, un décalque de son Thanos).
Sans oublier ses courts passages chez Marvel :
-Ghost Rider #35 (la course poursuite de Johnny Blaze avec la Mort, rien que ça)
-Amazing Spider-Man #187 (team-up de Spidey & Cap face à Electro)
-Marvel Preview #10 (une histoire sur Thor avec DeZuniga, encreur à forte personnalité)
-Rampaging Hulk #4 & 7 (un team-up avec Gerber sur Man-Thing notamment)
-Doctor Strange #23-26 (dans lesquels l’Ancient One est réduit à un rôle de clochard alcoolique)
-Marvel Spotlight #31 (numéro pas du tout apprécié par Stan Lee paraît-il, expliquant les raisons du vieillissement ralenti de Nick Fury)
Et puis il y a cet Incredible Hulk #222 quelque peu oublié (un fill-in situé au début du run de Roger Stern) mais toutefois plus influent qu’il n’y paraît (Tom Brevoort: « It was a major influence on my thinking when developing the current Immortal Hulk series, actually, so it had an impact beyond its era. »). Starlin s’y charge à la fois de l’intrigue (le « plot ») et des esquisses (laissant à l’encreur philippin Alfredo Alcala le soin de s’occuper des finitions des planches), tandis que les dialogues sont laissés à l’editor & scénariste Lein Wein (une double casquette courante chez Marvel dans les 70’s, qui prendra fin sous l’impulsion de l’EIC Jim Shooter), alors sur le point de partir chez DC (plus tard rejoint par son pote Marv Wolfman et George Pérez, avec qui il s’occupera de la populaire relance des Teen Titans, hit mérité menant à Crisis on Infinite Earths et par ricochet au DC post-Crisis).
Il s’agit sans doute là d’un des numéros les plus sombres & horrifiques de la série (dans les limites permises par la censure, quand bien même celle-ci avait perdue une part de son emprise au cours de cette décennie), cultivant une atmosphère diffuse d’inquiétante étrangeté au parfum macabre et lugubre, le tout sur fond de cannibalisme (élément déjà présent dans la série via les origines du Wendigo), un thème remis en avant à ce moment-là (suite à la sortie des films La Colline a des Yeux de Wes Craven et plus tard Cannibal Holocaust), ici relégué au hors-champ plutôt que de montrer cela frontalement (hors la suggestion est justement un des outils les plus forts de l’horreur).
Au cours de ce récit, un géant de jade traqué et en position de faiblesse (celui-ci s’exclamant « Hulk is Hulk ! », une réplique remise au goût du jour ces derniers temps par Al Ewing dans son propre run) fait la connaissance de deux enfants (moins innocents qu’il n’y paraît au premier abord) dont la famille, après avoir été confrontée à un drame épouvantable, a fini par imploser en ne laissant derrière elle que les plus jeunes (mais pas forcément les plus démunis puisque le cadet de la fratrie est aussi le plus dangereux). Starlin a certes fait bien mieux au cours de cette période, mais cela n’en reste pas moins un numéro réussi, en particulier lors de sa partie centrale (les scènes de dialogues étant nettement plus intéressantes que les moments d’action) et de son final assez abrupt (teinté de poésie funèbre).
L’avantage d’un encreur comme Alcala c’est qu’il contribue énormément à l’atmosphère de l’histoire en ajoutant moults détails et effets de textures, mais cela peut aussi entraîner un inconvénient, celui de prendre le pas sur le style du dessinateur (d’autant plus qu’ici Starlin ne rend pas des crayonnés très poussés, ce qui renforce la mainmise de l’encreur sur la partie graphique).Un légal bémol qui ne nuit cependant pas trop à l’appréciation de ce numéro.