RÉÉDITIONS MARVEL : TPBs, omnibus, masterworks, Epic…

Hulk est une série pour laquelle je n’ai pas toujours eu une vue d’ensemble. Au même titre que Thor, Captain America ou Avengers, elle a été traduite dans le désordre et sur divers supports chez Arédit, et comporte une grande période inédite en France, entre l’abandon par cet éditeur et la reprise par Lug-Semic. De mon côté, en tant que lecteur, je subissais les problèmes liés à Arédit : un ordre chronologique VO pas respecté, une périodicité irrégulière, des sommaires pas stables, à quoi se rajoute le fait que je ne trouvais pas toujours les numéros qui sortaient, et que l’obligation de serrer le budget m’a conduit très vite à privilégier Lug. Si bien que j’ai complété mes collections chez les bouquinistes quand j’ai eu l’occasion et les moyens, et que j’ai lu la série dans le désordre, à mesure que je comblais les trous, sans parfois raccrocher les wagons.

C’est le cas notamment en ce qui concerne une péripétie découverte dans le numéro 17 de la série Gamma, la Bombe qui a créé Hulk, intitulé « Un monde devenu fou », et qui regroupe Incredible Hulk #206 à 209. Sachant que le précédent numéro que j’avais réussi à dénicher, c’était le #13, « 50000 Volts en fureur », contenant les numéros #183 à 185, j’étais un peu perdu, comprenant bien que Hulk fuyait, mais sans prendre la mesure du drame qui venait de se produire, tout ça.

Des décennies plus tard, j’ai été bon client de la collection « Essential » chez Marvel, qui m’a permis de resavourer certaines séries (et d’en découvrir d’autres). Cependant, les Essentials, c’est bien, mais ce sont de gros pavés, qu’en général je feuillette avec gourmandise avant de les ranger en me disant que je les lirai plus tard, d’autant que je connais la série, que j’ai d’autres trucs à lire, tout ça tout ça. Le grand plongeon nostalgique est souvent remis à plus tard. Et en l’occurrence, la péripétie découverte dans « Un monde devenu fou », j’ai longtemps continué à penser qu’elle n’avait pas de résolution. Même si j’ai lu la suite, dans le désordre et au fil des ans. L’anniversaire du Titan Vert a donc été l’occasion de reparcourir cette période. En ressortant mon Essential Hulk tome 6 (qui est le dernier dans ma collection, alors que le 7 existe, zutalor).

Donc, tout commence dans Hulk #208, daté de février 1977. Resituons le contexte : Len Wein est aux commandes depuis quelque temps déjà, Herb Trimpe a quitté la série pour être remplacé par Sal Buscema, qui entame alors l’une des plus longues prestations de sa carrière, l’une des plus longues prestations autour du personnage, et l’une des plus longues prestations tout court. Question histoire, Hulk déprime, et on le comprend : Jarella vient de mourir. Bon, moi, à l’époque, Jarella, je ne vois pas du tout qui c’est. Je dois avouer qu’avant de découvrir petit à petit le personnage, j’ai un peu mythifié la relation qu’elle entretient avec le héros et grossi l’importance de sa place dans le mythe hulkien : la lecture des épisodes concernés (et je dois avouer que c’est encore un peu flou : les apparitions de Jarella sont morcelées et dispersées dans la série) m’a un peu déçu. Mais bon bref. Donc Hulk ne va pas bien, faut pas lui chercher des poux.

Fidèle à son écriture en subplots, Len Wein continue à travailler le reste du casting, à l’occasion de courtes séquences qui permettent d’entretenir la familiarité du lectorat avec tout ce petit monde ainsi qu’un semblant de suspense. Le mécanisme est un peu mécanique, mais c’est efficace dans la logique de feuilleton que le scénariste impose à la série, une éternelle quête sans but, une fuite en avant, articulant des intrigues courtes dans un canevas plus grand. Et donc, dans cet épisode, l’un des subplots concerne Glenn Talbot, fraîchement sauvé de son blocage mental bien baveux à l’occasion dIncredible Hulk #200, où le (minuscule) géant de jade pratique une chirurgie du cerveau sur le militaire. Mais ce dernier ne va pas bien non plus (grosse déprime sur la série, à cette époque… heureusement que l’épisode introduit la pétillante April Sommers, logeuse de Bruce Banner et rayon de soleil de la période), il déprime, il engueule son beau-père le Général Ross, bref, ça tourne pas rond. Doc Samson, lui, il va bien. Il s’occupe des affaires de la base (parce que bon, s’il faut compter sur la famille Ross-Talbot, hein…) et découvre un malheureux tout déguenillé et déshydraté dans le désert.

Fort de son mystère, Len Wein va le dérouler dans les épisodes suivants. Dès Hulk #209, il consacre une page au couple Betty / Glenn, un tiers de page à Jim Wilson, et une page au mystérieux naufragé du désert, donc on apprend qu’il est amnésique. Diable. Qu’est-ce à dire ? Réponse plus tard. Pour l’heure, la page est placée au milieu d’un combat face à l’Absorbing Man (on a parlé de ce charmant personnage et de cette baston mémorable ici), afin de maintenir le suspense (Bruce Banner vient d’être précipité du haut d’un gratte-ciel en chantier). Accessoirement, c’est le dernier épisode encré par l’excellent Joe Staton. Ce dernier, qui est également dessinateur, a commencé à encrer la série vers la fin de la période Trimpe, renforçant la parenté graphique avec Kirby à l’aide de grosses masses noires aux reflets métalliques. Il fait merveille sur Sal Buscema, dont il respecte le trait énergique tout en donnant une clarté bien déliée à ses dessins. L’encrage de Staton est comparable à celui de Bob Layton (qui l’a encré sur certaines aventures de la Société de Justice), mais en plus nerveux, en plus cassant. Sous l’effet de Staton, les points communs entre le style de Sal et celui de son grand frère John sautent davantage aux yeux. Dès Hulk #210, c’est Ernie Chan qui le remplace : le résultat est à l’opposé, matiéré, riche d’ombres diverses, orné de volumes complexes… à la philippine, quoi. Exemple ci-dessous :

Écrire à l’aide de subplots, c’est bien, mais à une période où les comic books font dix-sept planches, quand on en consacre une à Betty Ross et une autre à Jim Wilson, fatalement, il ne reste plus grand-chose pour raconter la baston du mois. Sal Buscema compense par une mise en scène dynamique en diable et toujours parfaitement lisible, mais notre sympathique amnésique est un peu oublié au fil des chapitres. Wein consacre certaines de ces intrigues à rallonge à Jim Wilson (qui retrouve enfin son pote Bruce) et à Betty Ross (qui décide de changer de peau, le scénariste se débarrassant du personnage au moment où il lui promet pourtant un renouveau), et il faudra attendre Hulk #213 (encré par Tom Palmer) pour retrouver notre amnésique. Rasé et bien peigné, l’individu est toujours en quête de ses souvenirs. Une bulle de pensée laisse entendre que le matériel de pointe dont dispose la Base Gamma lui semble familier. Mais le lecteur et Doc Samson n’en savent pas plus.

Dans Hulk #216, après avoir consacré la plupart de ses pages de subplots à la mise en place d’une intrigue impliquant la Bi-Beast, Len Wein revient sur son mystérieux amnésique. Ce dernier se réveille, les yeux vides, somnambule ou contrôlé par quelqu’un d’autre, puis se glisse à l’extérieur, échappant à la vigilance des gardes de la Base Gamma, et se rend dans une pièce visiblement connue de lui seul. Le mystère s’épaissit, à grands renforts de clichés, mais ça fonctionne bien. On va bientôt avoir droit à la révélation.

Enfin, « bientôt », c’est peut-être un petit peu optimiste. Hulk #217 (sous une chouette couverture de Jim Starlin) est un récit où le Titan Vert croise une troupe de bêtes de foire dans une petite fable sensible dont Marvel avait le secret jadis, Hulk #218 est un fill-in dessiné par Keith Pollard (qui aurait fait un splendide dessinateur régulier pour la série, tonnerre) et George Tuska, récit pour lequel Len Wein signe l’intrigue (le plot) et Roger Stern les dialogues (le script), détail qui a son importance pour la suite. Les deux auteurs travaillent ensemble sur Hulk #219 et 220, qui voit le héros, à nouveau en voyage, rencontrer le Captain Barracuda. Stern est cité en tant que « co-writer » dans le premier volet, et en tant que « scripter » dans le second, ce qui laisserait penser qu’il a participé à l’intrigue du premier mais s’est contenté de rédiger les dialogues du second.

Et c’est dans Hulk #220 que les lecteurs peuvent retrouver le fil rouge que Wein tend à travers ses histoires depuis un an, à l’occasion d’une scène durant laquelle le Général Ross apprend à Doc Samson que son protégé a disparu. Les choses se précisent… à un train de sénateur.

Roger Stern est le scénariste de Hulk #221, sous la supervision d’Archie Goodwin (là où Len Wein était son propre editor). Le scénariste s’empresse de faire avancer la sous-intrigue de Wein, en consacrant presque deux pages à l’amnésique, enfermé dans son labo secret, ce qui inquiète de plus en plus les soldats et les décideurs de la Base Gamma. Il s’empresse également de clore les intrigues en cours, en l’occurrence le retour du héros et les dernières conséquences de sa rencontre avec le Captain Barracuda, dont une confrontation musclée avec Stingray et une scène d’émotion avec Jim Wilson.

Mais l’épisode #222, réalisé par Jim Starlin (avec Len Wein aux dialogues et à la supervision éditoriale : il doit sans doute s’agir d’un fill-in préparé par ce dernier, et constituant l’un de ses derniers travaux sur la série), décale encore un peu la résolution de l’intrigue.

C’est donc dans Incredible Hulk #223, daté de mai 1978, que Roger Stern met un peu d’ordre dans les trucs qui traînent. On connaît le travail de ce dernier, et on sait, pour l’avoir évoqué dans les commentaires de ses Captain America ou de ses Avengers, qu’il a pour habitude de régler les problèmes en cours. Stern a une écriture à l’opposé de celle de Wein. Ce dernier, on l’a dit, recourt souvent aux subplots afin d’établir une continuité sur la durée et d’entretenir le suspense. Au contraire, Stern construit un contexte et des personnalités qui lui servent de socle pour développer ses intrigues. Tous deux recourent aux cases de flash-backs, mais l’économie générale de leurs épisodes est différente.

Stern en profite également pour mettre en place un nouveau statu quo (et ça, ça fait partie des choses que je n’avais pas mémorisées, par exemple, et la relecture un peu plus attentive de cet Essential m’a permis de redécouvrir cette astuce). En effet, dans les épisodes précédents, les lecteurs ont assisté à des scènes surprenantes pour la série. Dans Hulk #214 (où Wein est seul à la barre), on remarque que Bruce est capable de retarder sa métamorphose, le temps de sortir à l’extérieur afin d’éviter de tout casser. Dans Hulk #221, premier chapitre de Stern, Bruce parvient à éviter la transformation malgré le stress. Donc, dans Hulk #223, le scénariste pousse l’idée au bout, et installe une nouvelle convention narrative : Bruce est débarrassé des énergies de Hulk, sa transformation ne se déclenche plus.

Ce nouveau statu quo (marqué par l’arrivée de Joe Rubinstein à l’encrage, pour une prestation des plus inspirées) étant posé, le scénariste, fidèle à sa méthode visant à résoudre vite les sujets en cours (« fidèle » étant une ici une figure du style, puisque ses épisodes de Hulk arrivent avant ses prestations sur Captain America ou Avengers), se dépêche et revient très vite à la fameuse porte fermée derrière laquelle se cache l’amnésique. Et les choses se passent mal.

L’épisode est construit d’une manière qui tranche avec ce que Wein a proposé pendant des années, à savoir un exil sans fin du héros, qui va de place en place, soit poursuivi par l’armée soit accueilli par quelque force hostile. Ici, Stern bâtit son récit sur le modèle des intrigues qui se croisent, en montrant d’un côté Samson face à une nouvelle menace (que les vieux lecteurs peuvent sans doute reconnaître à un indice visuel) et de l’autre Banner cherchant à informer ses traditionnels poursuivants et ennemis que la situation a changé.

C’est l’occasion d’ailleurs de retrouver un vieux personnage secondaire, l’aviateur Spad McCraken, aperçu durant la brève mais riche période Englehart. Arrivé sur la Base Gamma, Banner découvre que l’endroit est désormais aux mains… du Leader !!!

Le Leader ? Mais il n’était pas, genre… mort ? Tenant sa petite surprise (sans qu’on sache trop, d’ailleurs, si le retour du cérébral adversaire de Hulk était prévu par Wein à l’origine ou si Stern retombe sur ses pattes de son propre chef), le scénariste ne perd pas de temps et, dès l’ouverture de Hulk #224, propose un flash-back permettant de faire le lien avec Marvel Features #11. Notons que cet épisode, daté de septembre 1973, est l’œuvre de Len Wein et Jim Starlin, ce qui pourrait laisser entendre que Wein avait prévu de faire revenir l’homme au front surdimensionné. Stern explique que, téléporté depuis le vaisseau de Kurrgo mais coincé dans son corps, le Leader a fait régresser son enveloppe charnelle jusqu’au stade précédant sa métamorphose, afin d’accéder à un matériel situé dans la Base Gamma, sous l’effet d’ordres mentaux pré-implantés. L’explication semble longue, et pourtant le rappel écrit par Stern est à la fois efficace, concis et limpide.

Quoi qu’il en soit, revoilà Banner face au Leader. Sauf qu’il n’a plus de pouvoir, il ne peut plus se transformer en monstre destructeur. Pourtant, il se porte volontaire après de Ross et Samson afin de contrer le Leader, désormais à la tête de l’un des plus puissants arsenaux de l’univers Marvel de l’époque.

Si bien que, quelques pages plus loin, on voit Hulk affronter à nouveau son ennemi de toujours. Mais certaines images semblent bizarre : Hulk ne saute plus, il vole ? Il serait propulsé par un rayon qui émane… de ses pieds ?

La vérité, c’est que Banner a pris les commandes d’un robot Hulk (Stern connaît sa continuité !), mais la destruction de l’automate se répercute sur le savant qui tombe dans le coma à la fin de l’épisode, un récit frénétique, à couper le souffle, où le sens de la synthèse et du suspense du scénariste fait merveille. Et qui en plus me fournit une réponse à une question lancinante depuis que, gamin, j’ai lu la scène où l’amnésique se réveille, et qui me permet de remettre de l’ordre dans ma perception de la série.

Roger Stern conclut son récit du Leader sur le même rythme, en trombe, avec une ouverture des plus dramatiques, Banner inconscient dans les bras de Samson. Tentant de ranimer le savant, Samson ne fait qu’actionner le mécanisme qui provoque sa transformation : Hulk est cette fois-ci de retour. Ce qui nous vaut de jolies cases où ce dernier et Samson combattent côte à côte face à leur ennemi commun.

Dans les crédits, on note cette fois la présence de Jim Shooter dans le rôle de rédacteur en chef. L’ancien assistant d’Archie Goodwin a pris ses fonctions. Cela soulève une question : est-ce que Stern avait prévu que l’émancipation de Banner par rapport à Hulk allait durer aussi peu, ou bien Shooter tenait-il a revenir à un statu quo plus classique, et peut-être plus populaire ? On peut se poser la question.

Toujours est-il qu’à l’issue de cet épisode là aussi très rythmé, Hulk semble plus incontrôlable que jamais. C’est là que se clôt l’Essential #6. Va falloir que je me trouve le suivant. En attendant, je vais ressortir mes Hulk, en collection « Flash », où sont placés les épisodes de Stern, et m’y replonger : ce sera sans doute la première fois que je vais les lire dans l’ordre…

Jim

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