Afin de me décider à acheter l’omnibus qui regroupe l’ensemble du run, j’ai relu quelques classiques de la série signés Roger Stern, et en particulier cet arc que j’affectionne, qui est sans doute mon diptyque favori des années 80 à égalité avec le mariage de Wolverine au Japon par Paul Smith.
La simplicité du pitch et l’importance des enjeux amènent une dimension presque de l’ordre du conceptuel à propos de cet affrontement, qui pourrait se résumer à la question suivante: que se passe t’il lorsque l’on oppose la force incommensurable d’une brute épaisse impitoyable et cruelle à l’esprit ingénieux voire brillant de quel qu’un qui est réputé pour ne jamais renoncer ?
Le scénariste se sert de ce postulat pour user d’une certaine surenchère dans l’affrontement, un peu comme si le blockbuster lambda rencontrait Bip Bip et le Coyote, le tout axé autour d’un récit façon David et Goliath avec des super-pouvoirs en supplément, où l’outsider essaie tant bien que mal de stopper son assaillant, l’aspect dramatique prépondérant n’étant pas oublié, étant donné que la survie de Madame Web dépend de l’issue du combat.
Concernant le choix de l’ennemi, il ne s’agit pas d’un échange un peu gratuit d’adversaires façon Acts of Vengeance (quoique Red Skull vs Magneto c’est assez logique) car Stern se sert d’une menace peu commune dans l’univers de la série afin de montrer ce qui caractérise Peter Parker en tant que héros, à savoir quelqu’un qui n’abandonne jamais tant qu’il y a un maigre espoir de réussite, et cela peu importe l’envergure du défi et les dangers encourus, sa ténacité étant finalement récompensée (grâce à sa « Parker luck ») rappelant ainsi son serment du « no one dies » utilisé plus tard par Dan Slott.
L’utilisation du frangin du Professeur Xavier est pertinente à plus d’un titre, puisque il incarne véritablement un obstacle en apparence insurmontable, un élément récurrent des meilleures histoires de la série (la saga du Master Planner qui fonctionne sur des caractéristiques similaires) et qui permet d’instaurer une réelle impression de dangerosité lié au personnage, plus encore que dans la plupart de ses apparitions précédentes et suivantes dans les séries des mutants (cette scène mémorable où il sort des flammes à la façon d’un Terminator modèle T-800 avant l’heure).
Malgré tous les actes accomplis et les vies sauvées, Peter semble toujours motivé par son besoin de rédemption, sa culpabilité liée à la mort de son oncle, qui le pousse à surmonter tous les dangers pour éviter un autre drame, symptomatique de son angoisse de répéter les erreurs du passé, et à ce sentiment de culpabilité et de faute à expier, qui ne le quitte jamais vraiment (d’ailleurs en feuilletant le Strange 186, je me suis rendu compte qu’une scène pourtant cruciale liée à cela avait été enlevé en raison de la censure).
Au niveau de la partie graphique, JRjr (qui était alors encore très influencé par le style de son père et aidé par Jim Mooney sur les finitions) fait du très bon boulot, notamment dans la représentation du Fléau, sa version étant celle que je préfère car il arrive remarquablement à illustrer l’aspect massif et imposant du personnage, sa dimension de colosse kyrbien, qui fonctionne très bien dans cet arc par effet de contraste par rapport à une figure relativement plus frêle à la Ditko/Romita Sr.
Il y fait déjà preuve d’une gestion efficace du storytelling, grâce à un scénario qui va à l’essentiel tout en ménageant des pauses dans le récit qui permettent de se consacrer au développement du supporting cast (le retour de Betty, la rivalité entre Peter et Lance Bannon) et qui permettent de mettre en avant un point de vue global sur les divers éléments de l’intrigue.
Cet arc est bien représentatif je trouve de l’orientation choisie par la scénariste lors de sa reprise du titre, qui consiste à partir dans une nouvelle direction tout en regardant dans la rétroviseur, sans oublier ce qui a précédé, dans une logique similaire à ce que faisait Simonson sur Thor à savoir apporter du sang neuf tout en puisant son inspiration dans les débuts du titre, essayant de renouer avec ce qui fait l’essence du personnage et ce qui constitue les fondamentaux de la série, s’instaurant ainsi dans une démarche de droit d’inventaire et d’une volonté manifeste de revenir à un certain type d’intrigues influencées par l’ère classique (tout le mystère autour de l’identité du Hobgoblin qui renvoie à l’ère Ditko).
En ce sens, Stern n’oublie pas que Peter Parker est quelqu’un de profondément humain, et donc une figure faillible et vulnérable, mais aussi un héros qui mérite amplement le qualificatif d’amazing vu ses exploits, et cette histoire en est un des exemples les plus mémorables, montrant bien ce qui fait la force de caractère de Spidey face à l’adversité.